A peine avais-je posé ma main sur la poignet que la porte s'ouvrit en un affreux grincement. Je ne l'avais pas verrouillée ?! Prise d'un coup de panique, j'entrais en trombe dans le studio heurtant une bouteille d'alcool qui alla rouler jusqu'au mur d'en face. Mais j'étais plus occupée à vérifier qu'il ne manquait rien, alors je n'avais pas remarqué ce détail-là. Ouf. Tout était là. La salle était plongée dans le noir, un long drap avait été fixé grossièrement contre la fenêtre et ne laissait passer aucune lueur. Ça empestait l'alcool. En retenant ma respiration, je traversais la pièce qui ressemblait à un genre de champ de bataille : un vieux canapé vert kaki était troué et percé de toutes parts chevauchant une table basse bancale qui soutenait un vieux réchaud au beau milieu du passage, le reste était recouvert de cartons pour la plupart écrasés au sol dans le désordre le plus complet. Je longeais le mur recouvert du drap pour ne pas déchirer mes vêtements contre le calcaire râpeux et atteindre le placard qui me servait de chambre. Son entrée était bloqué par un vieux téléviseur dont l'écran s'était percé à cause d'une de mes chutes. Mon dos en avait gardé quelques traces et lui avait retrouvé un nouvelle couleur. Le placard ne gardait qu'un coussin que je pouvais à peine poser au sol pour pouvoir m'étendre dessus. J'avais caché dans sa housse tout ce qui m'appartenait enfin volé mais ça c'était une autre histoire. J'attrapais mon masque qui était resté dessus toute la journée, un bout de tissu qui couvrait la moitié inférieure de mon visage s'accrochant à mes oreilles, je l'avais même personnalisé en dessinant grossièrement des crocs avec un marqueur que j'avais emprunté à Ruby. Je vis du coin de l’œil que ma photo n'était plus là. Deuxième coup de panique, je cherchais dans le coussin et ne trouvais rien, en regardant la pièce derrière moi je me décourageais presque. Où pouvait-elle bien être ?
- C'est ça que tu cherches ? Lança une voix rauque venant de la réserve.
Non, me dites pas que c'était lui qui l'avait … ! Mon corps entier se paralysa à cette seule idée, la peur prenait tout à coup possession de ma pensée. Et pourtant c'était le cas, un homme d'une quarantaine d'années sorti de la pièce adjacente, portant un short et un T-shirt aux innombrables tâches brunes et aux cheveux gras, non rasé et avec un air méchant tenait ma photo sur bout du bras. Il était venu fouiller dans mes affaires !
- Ça pue ici, lâcha-t-il en me lançant un regard accusateur.
- C'est toi qui parle ? Répondis-je du tac au tac.
Un rictus nerveux marquait le coin de sa bouche, on aurait dit un chien enragé. Tout mon être voulait partir, s'enfuir en courant mais seulement mes jambes refusaient de bouger et il avait ma photo. Je ne pouvais pas partir sans. Mais il sentait l'alcool à plein nez, l'odeur était même plus forte que celle de la colle que j'avais appliquée il y a quelques temps, qui sait s'il n'était pas aussi sous son effet ?
- Tu es sortie ? Demanda-t-il d'un voix neutre.
- Et qu'est-ce que ça ferait si j'étais sortie ? Le provoquais-je.
Ce n'était pas très intelligent mais c'était sortit tout seul, je parvenais avec grand mal à retenir mon tremblement. Il lâcha la photo et tapant des pieds il s'approcha de moi. Non, je ne voulais pas qu'il s'approche, je sautais sur le côté opposé à lui, m'écorchant un peu la main gauche contre le mur et voulus continuer ma course mais je fus retenue par la capuche et balancée en arrière contre le mur, me mordant par la même occasion la langue.
- Où est-ce que tu crois aller ?! Hurla-t-il.
Il me souleva par le col et me secoua tel un jouet.
- De toute façon, on ne peut pas vous faire confiance à vous les femmes, râla-t-il devant mon nez, Vous êtes les premières à me trahir et disparaître.
Son haleine me donnait la nausée, je me débattais et lui donna un coup de pied dans l'entre-jambe, ce qui eut un effet immédiat : il se plia en deux, me lâchant par la même occasion. Je pus me rattraper sur le sol mais il réagit plus vite et m'attrapa par les hanches et me lança contre la table-basse tête la première si bien que je reçus le meuble en pleine épaule et le réchaud contre ma bosse. Je laissai échapper un cri ce qui eut pour effet de l'énerver encore plus. Il me souleva par le bras et me gifla du revers de la main alors que j'essayais de me protéger le visage encore tremblante. Ma peur mélangée à ma haine se mélangèrent et sortirent en un nouveau cri :
- Sale connard ! Hurlais-je de toutes mes forces alors que des larmes germaient sous mes yeux sous l'effet de la douleur.
Ce cri le stoppa net et le fit sortit de son état d'ébriété. Je rassemblais tout mon courage et courus sans regarder derrière moi, attrapant au passage ma précieuse photo. J'ai couru ainsi, je ne pourrai dire combien de temps à vrai dire. Mais je l'avais fait jusqu'à me sentir totalement hors de danger.
Et mes pas me guidèrent instinctivement jusqu'à la Monster City. Je me trouvais à présent au milieu d'un parc et me laissa tomber devant un banc. A bout de souffle, je m'étais mise à cracher du sang et convulser. J'avais la tête qui tournait et avais du mal à me relever, je pris appui sur le banc et m'installais dessus lentement. J'avais mal partout et pris quelques instants pour me calmer. Tout allait bien, il n'était plus là.
Je ne savais pas vraiment pourquoi je continuais à rentrer là-bas chaque soir, la plupart du temps il dormait déjà quand je rentrais, je pouvais donc revenir sans crainte mais il y avait bien des fois où il se déchaînait sans vraie raison sur moi comme il venait de le faire. Je me demandais combien de temps Ruby ou les garçons allaient tenir avant de m'obliger à rester avec eux même la nuit. Mais comment pouvais-je laisser ma seule famille seule ? Quelque part au fond de moi, j'espérai qu'un jour je reviendrai dans le studio et le trouverai changé et souriant. Beau rêve.
Quand était la dernière fois qu'il s'était comporté comme un vrai père ? Je ne savais plus, mes souvenirs étaient flous, peut-être était-ce à cause de ces nombreuses fois où il m'avait frappé au crâne. J'avais au fur et à mesure perdu des bribes de souvenirs. Je ne me souvenais même plus du visage de ma mère, c'était pourquoi je gardais précieusement cette photo que j'avais récupérée . C'était une photo de famille, il y avait mes parents et moi quand j'étais beaucoup plus jeune, je ne saurai dire quel âge. On souriait tous. Où était ma mère maintenant ? Je ne le savais plus. Pourtant ça me taraudait tout le temps et j'avais beau demander à Lon et Haru aucun des deux ne désiraient en parler, à la place ils me regardaient avec un air désolé. Pareil pour leur père ou n'importe qui d'autre dans la zone. Ruby m'avait toujours assuré ne rien savoir et l'autre ne voulais pas partager ses informations.
Je ne savais pas si c'était à cause de la fatigue ou de l'atténuation du stress mais mes larmes se remettèrent à couler. Il n'y avait rien de pire qu'un marqué faible …
Quelques hécatiens s'approchèrent de moi, peut-être avaient-ils suivi les traces de sang au sol.
- Ça va petite ? Me demanda l'un.
Ils ne purent pas cacher leur étonnement et leur inquiétude lorsque je relevais la tête pour les rassurer.
- De vrais barbares ces humains, qu'est-ce qu'ils font avec leurs enfants … ? Murmura une autre.
- Hé c'est la gamine dont tout le monde parlait l'autre jour, les enfants disaient l'apprécier, évoqua un dernier. Ils l'appelaient Violette ou un truc comme ça, maintenant je comprends pourquoi.
- Tiens, j'ai un peu d'onguent, laisse-moi en étaler un peu sur ta peau, repris le premier en ignorant les remarques de ses compagnons.
Je voulus refuser mais l'hécatien insista d'autant plus et je dus me résoudre à retirer ma veste pour le laisser s'occuper de moi. Les hécatiens étaient pour la plupart des gens pacifiques qui n'avaient retenu aucune haine envers le genre humain malgré les abominations qu'ils avaient dû subir à cause de l'armée. La Monster City était un quartier que le Mugetsu avait spécialement aménagé pour eux et ils avaient obtenus des autorités une totale indépendance. J'aimais y aller car les gens y étaient bien plus considérés que les marqués, mais ils n'acceptaient généralement pas les humains ici. J'étais un peu comme une exception. Les hécatiens étaient des peuples de différentes tribus possédant des capacité physique hors norme. On avait pris l'habitude de les différencier en races comme les elfes, nains ou tout autres créatures facilement identifiables. Ils étaient les seuls êtres vivants à pouvoir utiliser la magie comme bon leur semblait ce qui était impossible pour de simples humains. J'avouais les envier un peu.
L'hécatien recula d'un pas, surpris par ce qu'il venait de voir : les plaques avaient pris possession d'une grande partie de mes bras et de ma poitrine. L'une d'elle s'était ouverte sur l'épaule, sûrement à cause du choc et dégoulinait partout le long de mon bras et de mon dos. Le groupe se regarda entre eux puis l'hécatien sortit un tissu et m'essuya délicatement là où le sang coulait en demandant mon avis juste avant.
- Dis-moi petite, reprit-il, que t'est-il arrivée ?
Je restais murée dans le silence. Il fit la moue mais ne chercha pas à en demander plus. Sa compagne sortit une racine du panier qu'elle tenait et me la tendit.
- Tiens, mange ça, me conseilla-t-elle en souriant, c'est pour ces plaques. Ça les fera partir de ta poitrine et de ton cou pendant quelques temps. Le goût n'est pas super mais je t'assure que ça fonctionne.
J'essuyais les larmes d'un geste et la remerciais en penchant légèrement la tête, l'autre hécatien avait fini t'étaler la pommade. Soudain l'un d'entre eux semblait affolé, il murmura quelque chose à ses compagnons qui se redressèrent d'un coup.
- Je suis désolé petite, dit-il, mais l'armée est ici, pars te cacher, nous nous repartons de notre côté. Fais en sorte de prendre du repos et guéris vite !
Aussitôt dit aussitôt fait, ils partirent et libérèrent rapidement le parc. L'armée n'avait normalement pas le droit de faire des rondes ici et poussée par la curiosité je m'accroupis au sol et observais la scène tout en me rhabillant. C'étaient deux soldats qui marchaient à pas lents le long du chemin qui longeait le parc, ils semblaient discuter joyeusement.
- Hé tu savais qu'ils offraient des postes en tant que garde au dédale ? Déballa le premier.
- Ah ? Pour qui ? Demande le second intéressé.
- L'officier et ses bras droits.
- L'officier Tsuboshi ? Ici ? Qu'est-ce qu'elle est venue faire ici ?
- C'est le clan Mugetsu qui l'a convoqué.
- Le deux hommes marquèrent une pause.
- Hein ? Reprit le second.
- Pour une rançon, assura l'autre.
- Ils ont un otage ?
- Non, ils ont réussi une mission pour nous.
- Depuis quand le gouvernement fait appel à … ça ?
- Je ne sais pas trop, mais l'officier enrage !
- Tu m'étonnes, j'ai jamais vu un soldat aussi droit.
- Eh bien pour en rajouter une couche, le Mugetsu a demandé à ce que ce soit elle qui leur donne leur récompense.
- Juste pour la provoquer ?
- Exactement.
- Leur chef doit avoir peur de rien. Quoi qu'en même temps, il doit être sacrément balèze pour ne pas s'être fait chopper jusqu'à maintenant.
- Un monstre quoi.
Alors que les deux soldats étaient en train de spéculer sur l'apparence du chef du Mugetsu, je ne pouvais m'empêcher de rire dans mon coin, ces commères alors ! Mais peut-être qu'ils avaient raison quelque part, l'autre était en effet une sorte de monstre. S'ils l'avaient vu à l’œuvre … Soudain leur conversation s'arrêta net. L'officier que j'avais croisé plus tôt dans la journée venait d'arriver avec ses subordonnés. L'un d'eux regardait aux alentours, vérifiant qu'aucune oreille indiscrète n'était restée sur les lieux, je n'avais pas fait attention tout à l'heure mais sa tête blonde aux cheveux ondulés me disait quelque chose. Mais impossible d'y associer un nom, pourtant il me semblait que je l'avais déjà vu quelque part, mais où ?
Les deux acolytes se dressèrent droit comme des piquets et se mirent au garde à vous.
- Mon officier ! Saluèrent-ils en chœur.
- Au rapport, déclara-t-elle d'un ton autoritaire.
- Rien à signaler, mon officier.
Je sais que vous autre les soldats punis n'êtes pas très doués, mais c'est pour ça qu'on vous fournis des détecteurs. Pour palier à votre incompétence, ironisa le soldat Kris.
Les deux soldats d'abord incrédules, s'énervèrent rapidement contre le jeune homme.
- Qu'est-ce que tu insinues ? Que tu nous es supérieur ? Cracha l'un d'eux.
- Et pas qu'un peu, assura Kris en haussant les épaules, vous n'êtes même pas fichu de voir qu'on vous épiait.
Ces mots m'étaient bien évidemment destinés, je m'étais préparée à décamper mais je sentis bientôt un objet lourd s’abattre contre mon crâne. Et bientôt tout devint flou autour de moi.
J'avais encore fait le même rêve, ces images me hantaient bien que je ne savais pas vraiment s'il s'agissait de souvenirs ou d'une pure invention. Je me voyais plus petite, j'avais alors des cheveux plus longs, je ne reconnaissais pas le studio, il devait se trouver dans une toute autre partie du bidonville, moins crasseuse. Je me trouvais au bord de fenêtre et pleurais. Une main se posa sur mon épaule et m'incita à me retourner, c'était mon père, enfin une version plus douce de lui.
- Que se passe-t-il ma chérie ? Me demanda-t-il.
- Ma fleur a flétri, je pleurnichais.
- Ah …
- Je m'en suis pourtant bien occupée, je t'assure !
- C'est comme ça, ces choses-là, ça vit un instant et si tu ne fais pas attention, ça disparaît.
Je regardais le pot de terre cuite avec tristesse. J'étais quasiment sûre de n'avoir jamais vu de fleur à part en photo, alors comment pouvais-je me la représenter aussi fidèlement ? La scène changea du tout au tout. Cette partie du rêve était inhabituelle. D'ordinaire la scène se rejouait en boucle et devenait de plus en plus oppressante. Mais maintenant, je me trouvais dans une salle blanche avec pour tout mobilier un lit de la même couleur dans lequel était étendu une femme à l'air malade. Elle m'aperçut du coin de l’œil et se retourna pour me lancer un sourire, pourquoi ? Intriguée, je m'approchais d'elle et saisis la main qu'elle avait en évidence au dessus du matelas. A peine l'avais-je touchée qu'un frisson parcourut mon échine, sa main était glacée. Le bip régulier des machines qui venaient d'apparaître sonnait à mes oreilles comme des cris stridents. Me sentant menacée , je reculais d'un pas mais la main de la femme ne me lâchait pas au contraire elle me retenait avec une force incroyable. En relevant la tête, je vis le sourire de son visage fondre comme une bougie au soleil, laissant apparaître un plus grand sourire sombre. J'entendais derrière moi les paroles de mon père se répéter en boucle. :« C'est comme ça, ces choses-là ça vit un instant et si tu ne fais pas attention, ça disparaît. »
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