Je me réveillais en sursaut, haletante, je palpais frénétiquement ma veste pour m'assurer que ma photo et la racine que l'on m'avait donnée étaient toujours là, puis soulagée, je balayais la salle du regard rapidement avant de sentir l'arrière de mon crâne me tirer vers le bas et m'obliger à me rallonger. Je tentais de soupirer mais mon épaule me lançait et m'interrompit en pleine inspiration. Génial, j'étais dans une salle que je ne reconnaissais pas et j'étais immobilisée à cause des coups de mon idiot de père. Comment pouvais-je m'enfuir ? De ce que j'avais vu, il n'y avait qu'une seule sortie : une porte métallisée. Peut-être y avait-il des personnes à l'extérieur qui montaient la garde juste devant. Enfin je ne pouvais rien faire à part attendre de tout façon.
Un clic significatif résonna dans la salle avant que la poignée soit enclenchée, laissant passer l'officier qui marchait à pas décidés jusque devant le lit sur lequel on m'avait étendue.
- Tu es étonnamment calme pour quelqu'un qui s'est fait attraper, remarqua le soldat en croisant les bras comme pour prendre une position qui lui donnait de l'importance. Je suis Yuu Tsuboshi, officier dans l'armée frontalière, mais ça tu l'avais deviné, non ?
- Bah il faut savoir renoncer de temps en temps, tout le monde n'en est pas capable, avouais-je avec une pointe de sarcasme. Ton nom ne m'intéresse pas le moins du monde, tu sais.
- Pff, ce genre de provocation ne m'atteint pas vraiment, la violence résout rarement les conflits bien que cela défoule, c'est vrai, ricana l'officier.
- Sinon j'aimerai bien savoir pourquoi je me retrouve ici, moi.
- Ah ? Tu n'en as pas une petite idée quand même, If c'est ça ? Je ne sais pas moi, aller à la Monster City ? Espionner des forces de l'ordre ? Ou alors semer le trouble dans l'avenue ?
Instinctivement, j'ai pesté en grimaçant ce qui la fit plus rire qu'autre chose. Elle reprit :
- Si tu veux que je passe l'éponge, ce serait bien si tu me donnais des infos sur le Mugetsu.
Je la regardais à présent droit dans les yeux, elle était sérieuse ? Je sentais ma colère resurgir d'un coup.
- Jamais je coopérerai avec l'armée, démerdez-vous tous seuls, crachais-je avec toute la hargne que j'avais accumulée.
- Oh du calme, c'était juste une proposition, on peut toujours t'ajouter une marque, se résigna le soldat en levant les bras devant elle pour me demander de reprendre mon calme. C'est pas comme si tu ne les collectionnais pas déjà.
- Tu me fais bien rire, que tu m'ajoutes ou non une marque, je m'en fiche, assurais-je en cachant bien mes rires. Ça ne m'empêchera pas de recommencer.
- C'est vrai que tu es différente de tous les autres marqués, tu es bien la seule à oser me répondre comme tu le fais, remarqua-t-elle avec un rictus en coin. Dommage pour toi, on a l'autorisation de te garder.
- Ouh là là, je crois que je vais pleurer, attends je sens la larme couler, ironisais-je en frottant doucement mon œil.
Alors que je ne pouvais m'empêcher de rire, l'officier s'impatienta. Qu'est-ce qu'elle pouvait être naïve, croyait-elle vraiment que les gens allaient se plier à sa volonté comme elle l'entendait ? Encore un rejeton inutile du centre. Elle ne savait décidément pas ce qui l'attendait …
- Silence ! Tonna-t-elle en frappant le mur de son poing.
Au même moment, une détonation résonna non loin de là. Bientôt, une nouvelle explosion envoya voler la porte contre l'officier. Une silhouette élancée fondit sur moi et me souleva pour m'emmener hors de la pièce. C'était Ruby ! Le soldat était un peu sonné, mais ne put pas bouger car elle était coincée entre les décombres. C'était étonnant qu'elle soit encore consciente après avoir reçu une telle explosion de plein fouet mais cela la retiendrait un moment. L'elfe me plaça dans son dos et parcourut les différents couloirs à une vitesse hallucinante.
- Je ne t'avais pas dit de rester tranquille ? Lança-t-elle sur un ton de reproche.
- Mais c'est pas ma faute là ! Répliquais-je en enfilant ma capuche.
L'hécatienne prit rapidement le chemin vers le toit du dédale et sauta de dédale en dédale avec une facilité déconcertante. Ce n'était pas la première fois qu'elle venait à ma rescousse quand j'avais des ennuis, que ce soit avec des marqués ou avec l'armée, elle me retrouvait toujours.
Ma rencontre avec l'elfe était dû au hasard. Je devais avoir alors six ans, c'était l'un des rares souvenirs de mon enfance que je conservais encore. Je déambulais dans les rues du bidonville sans but précis mais je me souvenais être très triste. C'était alors que je cru reconnaître ma mère de dos. Je m'élançais alors à sa rencontre et attrapais sa main. Quelle surprise quand je vis une elfe se retourner et non ma mère. On était resté quelques instants à se regarder sans rien dire avant que l'une de nous réagisse. Ruby fut celle qui fit le premier pas, elle se baissa à ma hauteur et me sourit.
- Quelque chose ne va pas ? S'enquit-elle.
- Je ne suis pas sûre, avouais-je.
Je ne savais pas si c'était par fierté ou par honte mais je refusais de lâcher sa main, elle-même était bien embêté mais n'insista pas plus, elle proposa alors :
- Où est-ce que tu veux aller ?
Mon regard s'illumina à cette idée et ainsi on passa l'après-midi ensemble à jouer un peu partout dans le bidonville. Le soir venu, je ne voulais plus la quitter et elle dut m'accompagner jusqu'au studio de mon père. Elle resta même après que je sois rentrée. Ça, elle me l'avoua plus tard, car elle avait remarqué les bleus et autres blessures que je cachais sous les manches de ma veste. Ainsi elle put confirmer que c'était bien mon père qui me les infligeait. Jamais elle ne m'avait obligé à rester avec elle, mais elle faisait tout son possible pour rester tout le temps avec moi. Était-ce par pitié ? Je n'en étais pas sûre, mais même malgré ça, j'avouais que j'aimais cette attention qu'elle me portait. Ruby était pour moi, comme ce genre de grande sœur qui vous regarde de loin et prend soin de vous tout en le cachant. Un peu ténébreuse, elle ne me confiait pas grand chose mais je chérissais chacune de nos rencontres. Était-ce mal de penser ainsi ?
Quand je sortis de ma torpeur, je vis que nous étions déjà arrivées jusqu'au dédale du Mugetsu. La soirée était déjà bien avancée, Ruby alluma le lustre du salon et j'allais me jeter dans le sofa. Ses coussins me firent rebondir un peu en l'air avant de redevenir moelleux à souhait. L'elfe préféra s'installer dans un fauteuil pour feuilleter quelques dossiers qu'elle avait placé sur une table basse juste en face. Elle faisait mine de ne pas faire attention à moi, mais semblait déjà avoir remarqué les hématomes qui s'étaient formés sur mon visage. Je décidais alors d'engager la discussion.
- Alors, cette mission c'était quoi au juste ?
- Un ministre, dit simplement l'hécatienne en posant le dossier qu'elle tenait sur l'accoudoir.
- De quoi ?!
La surprise était telle que j'avais failli décoller du sol. Que venait faire un ministre ici ? Et surtout, pourquoi le gouvernement aurait voulu s'en débarrasser ?
- Il venait en visite aujourd'hui, ils avaient même préparé un banquet en son honneur, précisa Ruby impassible. Rin voulait qu'on attende qu'il soit le plus entouré possible pour « l'adrénaline ».
- Ah, les autres ne voulaient pas s'en occuper ?
- Ah ah, non ! Personne n'a assez de courage pour ce genre de contrat.
- N'empêche, elle aurait pu choisir une mise en scène plus … discrète.
- Tu sais bien qu'elle adore ça, pour elle cela permettait d'asseoir son influence et d'éviter les soupçons pour notre employeur.
- Et elle a fait venir cette Tsuboshi juste pour qu'elle lui remette la prime ? J'espère qu'elle en vaut la peine.
- Tu n'imagines même pas ! On est tranquille pour un moment avec ça.
Rin était spéciale, elle aurait parut suicidaire dans d'autres circonstances, mais jamais cette fille ne prenait une opération à la légère. Ce pauvre ministre devait regretter ses actions de là où il était maintenant. La plupart des assassin préféraient agir dans l'ombre et rester discrets mais Rin agissait comme bon lui semblait. Elle adorait assassiner dans des places noires de monde et s'enfuir comme si de rien n'était. C'était ce qui la rendait particulièrement effrayante dans le milieu et ce qui lui a permis d'étendre le Mugetsu. Rien de mieux d'un clan respecté, non ? L'assassinat qui avait fait parler le plus d'elle était la fois où elle avait attiré une dizaine de ses proies dans un même endroit pour mieux les égorger ensuite. Elle avait alors gagné le surnom de « démon rouge ». C'était un monstre à la forme humaine : elle avait subi des modifications physiques pour pouvoir bouger plus librement, seul problème elle crachait du sang à s'en rendre malade. Du coup elle ingérait régulièrement des fortifiants militaires qu'elle conservait dans un petit ac accroché à ses hanches. Elle aurait été parfaite sans ce léger inconvénient. Et j'insistais bien sur le mot léger. Bref c'était ce qu'il y avait de mieux pour le chef du Mugetsu.
- Enfin fini ! S'écria une voix féminine.
Une jeune fille à l'air fragile entra dans la salle pour sauter dans le premier fauteuil à sa porté, c'est-à-dire celui où se trouvait Ruby. Elle fit ensuite mine de s'endormir après s'être bien installées sur les jambes de la demi-elfe et s'être couverte de son long manteau blanc. Malgré ses dix-neuf ans, elle agissait toujours comme une gamine.
- Alors Rin ? Lui demanda Ruby toujours inexpressive.
- Tout s'est bien passé.
- Ah bon ?
- Bon l'officier a bien essayé de m'embrocher mais son subordonné l'a arrêtée à temps. Dommage. Ça m'aurait donné une bonne raison de la supprimer.
- Aeon, hein ? Heureusement qu'il était là.
- Ah oui, c'est ça Aeon. Il a vite monté en grade celui-là.
Son désintérêt me sidérait, c'était pourtant elle qui avait sauvé le garçon quand il était plus jeune. C'était donc lui dont le nom ne me revenait pas. Elle avait l'habitude de récupérer les enfants de ses victimes si elle ne devait pas les éliminer. Ils allaient ensuite soit remplir ses rangs soit rejoindre l'armée. Aeon était différent, il voulait rester auprès de Rin mais il fut envoyé dans l'armée pour je ne savais pas trop quelles raisons. Pourquoi l'écoutait-il sans broncher ? S'il voulait quelque chose, il aurait dû le faire savoir !
Rin se retourna et m'aperçut alors que j'essayais de me faire discrète.
- Je peux savoir ce que tu fais là ? Me demanda-t-elle en faisant la moue.
- Elle s'amusait trop avec l'armée, fit Ruby en soupirant.
- C'est pas vrai ! Rétorquais-je aussitôt.
- Ah ? Et c'est quoi ces bleus ? Relança l'assassin.
- Je suis passée chez moi.
- En plein après-midi ? Alors que tu savais qu'il boit en journée ? Tu n'as jamais eu l'idée de le rapporter à l'armée ?
- Je ne veux pas me mêler à l'armée.
- C'est toi qui voit. En attendant tu ressembles à un vrai Schtroumpf … malade avec tes plaques.
- C'est … quoi ?
Je cherchais à rencontrer le regard de Ruby pour qu'elle puisse m'aider. Tout ce qu'elle trouva à dire fut :
- Laisse tomber, l'avant-guerre semble la passionner en ce moment.
- Je fis alors la moue, ce qu'elle remarqua immédiatement, elle s'empressa d'ajouter :
- Viens avec moi, j'ai le cadeau dont je te parlais ce matin.
Je bondis hors du sofa et suivit Ruby qui était passée derrière un bureau à l'arrière. Il était dos à une fenêtre qui portait sur une bonne partie du bidonville. Pas vraiment idéal pour une cachette mais Rin n'avait peur de personne et sûrement pas d'un assaut d'autres clans. L'elfe sortit une enveloppe d'un des tiroirs et me la tendit. Je pris l'objet à deux mains puis l'ouvrit délicatement. Je découvris alors une carte de marqué utilisable dans la première zone et un pass pour le centre. Je ne pus m'empêcher de m'émerveiller devant ces deux objets. Ruby semblait contente de son coup, tandis que Rin nous observait de loin. Je me retournais vers Ruby :
- Ça veut dire que … commençais-je
- Oui, tu nous accompagnes jusque dans la première zone, m'assura Ruby en mettant sa main sur sa hanche, là-bas je pourrais t'apprendre les bases de l'assassinat comme tu me l'avais demandé.
- En gros bienvenue au Mugetsu, annonça Rin en se relevant de son fauteuil.
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