Je pouvais intégrer le Mugetsu ? Pour de vrai ? Cela faisait longtemps que j'en rêvais alors lorsque j'entendis Rin articuler ces mots, j'étais restée quelques instants stoïque, comme sonnée. Ruby prit peur et voulut s'approcher de moi, mais fut retenue par son amie assassin. Cette dernière lui indiqua qu'il était plutôt normal de réagir comme ça, ce n'était pas étonnant, cela faisait des années que l'elfe faisait en sorte que mon entrée soit refusée : pour elle une gamine comme moi ne devait pas se mêler des affaires d'un clan comme celui-là, ce serait prendre des risques inutiles pour sa vie. En effet comme le Mugetsu s'occupait de tout ce qui trempait de près ou de loin au monde de l'ombre, les représailles étaient monnaie courante et on ne pouvait jamais se sentir en sécurité. Laisser une fillette intégrer ce système, c'était contre les principes de l'hécatienne. Mais je me fichais de tout ça, je voulais participer aux missions du Mugetsu car il s'agissait pour moi de l'organisation la plus juste et donc celle qui se rapprochait le plus de ce que je voulais faire de ma vie. Même si elle envoyait des assassins partout dans le bidonville elle ne restait pas moins une organisation de marqués pour les marqués.
En voyant que je redescendais petit à petit sur terre, l'assassin aux cheveux sombres remarqua :
- Tu sais j'ai dû insister longtemps pour qu'elle accepte celle-là !
- Rin ! Je continue à penser que c'est une mauvaise idée … soupira l'elfe en croisant les bras.
- If est assez grande pour choisir ce qu'elle veut faire de sa vie, à moins que tu veuilles la laisser avec son père jusqu'à ce que tu la considères « grande », mima Rin avec un sourire bien à elle.
L'hécatienne fit la moue mais ne rajouta rien : comment pouvait-elle la contredire ? Elle-même cherchait un moyen pour m'éloigner de mon père sans me faire culpabiliser. Moi de mon côté, je me retrouvais avec un dilemme : bien que j'ai été très contente d'apprendre mon intégration, j'en avais oublié qu'il fallait que je me sépare de mon père. Même si la situation était à la limite de l’insupportable … L'assassin s’aperçut très vite de mon inquiétude.
- Ah non ! S'écria-t-elle assez fort pour que je sorte de ma torpeur. Tu ne vas pas trimbaler ton père jusque là-bas.
- Mais … ! M'indignais-je déstabilisée.
- Non , c'est non, fit Ruby qui avait repris un air sérieux.
- Et puis qu'est-ce qui t'oblige à rester avec lui ? Lança Rin en haussant le sourcil.
Encore cette question. Mais qu'est-ce que j'en savais ?
- Qu'est-ce qui t'obligerai à t'éloigner de ta famille, toi ? Lui renvoyais-je sans seconde pensée.
L'autre me regarda tout d'abord fixement avant de laisser échapper un rire nerveux qui ne cessait de prendre de l'ampleur. Elle était bientôt pliée en deux dans le fauteuil, presqu'à se rouler par terre.
- Je vois que tu nous connais encore mal, ricana-t-elle en essuyant la larme qui s'était formée au creux de son œil. Bah ce n'est pas plus mal. Tu sais …
- Rin arrête-toi maintenant, coupa Ruby sèchement.
Qu'est-ce qui semblait la préoccuper dans ce que venait de dire Rin ? L'assassin l'ignora et reprit, son regard planté dans mes yeux.
- Ruby et moi, on a sacrifié bien plus que toi pour arriver là où on est maintenant. Quitter sa famille ? Je trouve que tu te plains pour pas grand chose : on ne te demande pas d'y toucher, tu sais, marqua Rin dont le regard semblait s'être illuminé d'une lueur malsaine.
- Rin, ça suffit, tonna Ruby en tapant du pied contre le sol.
Ce dernier geste me fit sursauter et Rin se retourna pour ne plus croiser le regard de l'hécatienne. Que voulait-elle dire par « on ne te demande pas d'y toucher » ? Qu'avaient-elles fait à leurs proches ? Mon regard croisa celui de Ruby et un frisson parcourra mon échine dans toute sa longueur. Je n'avais jamais vu son regard aussi sombre, comme s'il était vide. Pourtant Rin n'avait rien dit de particulier, enfin elle n'en avait pas eu le temps. L'ambiance était étrange, presqu'oppressante et je ne parvenais pas à bouger de là où je me trouvais. Pourquoi ? Peut-être la peur, mais de quoi ? Les deux m'avaient effrayée à vrai dire, pour l'autre elle y parvenait assez fréquemment mais Ruby ? C'était vraiment inhabituel.
L'elfe laissa échapper un soupire qui me rendit le contrôle de mes membres. Maladroitement, je me dirigeais vers la sortie et d'un simple geste gêné je les laissais seules. Mon rythme cardiaque se calma à mesure que je m'éloignais du dédale du clan pour regagner les ruelles du bidonville.
La soirée s'était terminée d'une étrange façon, c'était la première fois. D'ordinaire Rin me taquinait et Ruby me faisait sortir pour me changer les idées. Enfin ce genre de choses. Pour une raison qui m'échappait, je ne voulais pas revisualiser ce qui venait de se passer. Le visage des deux amies m'effrayaient plus que tout à présent.
Je ne revis Ruby que quelques jours plus tard, pas parce que je n'avais pas pu la voir plus tôt mais plutôt parce que je m'étais arrangée pour ne pas la revoir trop vite. Ruby avait dû s'en vouloir pour la dernière soirée qu'elles avaient passé ensemble et avait dû me chercher partout pendant ses précieuses heures de repos. Non, c'était mieux ainsi, si je l'avais revue trop tôt qui sait comment j'aurai réagi et ainsi elle pourrait se consacrer entièrement à ses missions sans problèmes. Enfin c'était ce que je pensais.
J'avais donc passé les derniers jours à l'atelier, je savais que Ruby ne pouvait pas y entrer car les soldats surveillaient la fabrique du matin au soir. Enfin, était-ce vraiment ce qui la retenait ? Peut-être avait-elle plus peur que je ne perde ma place dans l'atelier par sa faute. C'était donc devenu ma cachette quand je ne voulais pas la gêner.
Ruby m'attrapa dès que je sortis la tête de l'atelier souterrain et m'invita à la suivre jusque dans la Monster City. A vrai dire, j'étais un peu nerveuse maintenant, ça ne m'était jamais arrivé et j'en étais la première surprise, je tentais donc de le cacher tant bien que mal. L'elfe ne fit pas de remarques, même après avoir aperçu l'état de mes mains ou de mon visage. Je n'avais pas pris une minute de repos depuis cette nuit-là et la fatigue se sentait quand je maniais l’aiguille d'une main distraite.
On ne croisa aucun soldat dans le quartier, les dédales y étaient arrangés en immeubles parfaitement bien équilibrés qui bordaient de larges axes de circulation fleuris de cristaux magiques. Les hécatiens y déambulaient tranquillement, chacun vacant à des activités variées ne prêtant pas attention aux nouvelles venues. La plupart s'activaient autour de chantiers bien entamés, les matériaux étaient beaucoup plus résistants que sur les dédales classiques car le Mugetsu avait fait appel à des architectes adeptes des normes de l'avant-guerre pour assurer la sécurité de la zone. Pourquoi leur offrir tant de choses ? Rin avait toujours été très évasive sur la question.
L'elfe me guida à travers les rues droites jusque dans un jardin minéral. Une fois installées sur un large banc, le silence s'installa, Ruby engagea donc la conversation, voyant bien mon malaise.
- Tout va bien ?
Demanda-t-elle tout simplement, pourquoi n'était-elle pas plus directe ? Ce n'était pas comme si ça ne se lisait pas directement sur mon visage.
- Qu'est-ce que c'était ça ? Lançais-je avec un courage soudain.
- Tu veux parler de la dernière fois ? C'était … Si tu as des questions, j'y répondrai volontiers. Mais je n'aime pas le fait que Rin puisse révéler des choses sans mon accord, soupira l'elfe la main sous le menton.
- Parce que tu as des choses à cacher ?
- Je pense que tout le monde a fait des choses avant qu'il regrette maintenant. Mais tu n'as pas assez vécu pour que ce soit le cas.
Elle tendit alors sa main pour me caresser le crâne.
- Il faudrait déjà que je m'en rappelle pour pouvoir m'en plaindre, râlais-je avec une moue.
- C'est comme ça, rit légèrement l'elfe.
Après avoir échangé quelques rires, Ruby en profita pour m'expliquer la raison de leur départ plus que soudain. Comme le Mugetsu avait rendu service au gouvernement, Rin avait obtenu d'eux qu'ils ferment les yeux sur certains de leurs actions. Cela comprenait un droit de libre circulation à travers tout le bidonville pour une durée indéterminée. J'avais un peu de mal à comprendre pourquoi elle désirait ce genre de droit, ce n'était pas comme si elle ne circulait pas déjà comme bon lui semblait. Ruby sourit, l'assassin voulait ramener plus d'hommes avec elle et permettre au Mugetsu de mieux s'organiser. Jusqu'à présent, le clan s'organisait autour d'un centre dans la première zone qui gérait de plus petits groupes indépendants mais la communication entre les différents éléments était difficile : le bidonville était divisé en une douzaine de zones, chacune éloignées les unes des autres et aussi grandes qu'une métropole d'avant-guerre. Le clan était bien sûr présent dans chacune d'elle et il leur fallait à chaque fois des messagers pour coordonner tout ce petit monde !
Rin avait donc fait venir l'officier pour mener les négociations, juste pour pouvoir savourer sa réaction car elle savait très bien que le soldat serait contre ces mesures, d'où le petit débordement dont l'assassin avait parlé la dernière fois. Ruby ajouta que comme je l'avais constaté, la Monster City était assez développée pour que le clan puisse la laisser devenir entièrement autonome.
Le clan avait donc fini tous ses devoirs dans la zone, le transfert tombait donc à point nommé. Il s'effectuerait par petits groupes car les voies principales leur étaient encore interdites, elles permettaient d'ordinaire de faire traverser des centaines de personnes et de biens dans tout Netherlon. Le gouvernement avait décrété que le fait de voir des groupes de marqués circuler sur de telles voies pourrait effrayer les marchands de passage. Le trajet s'étendrait sur un peu plus de deux semaines avec de nombreuses escales pour affaires avait appuyé l'autre qui avait très mal pris la décision du gouvernement. Je ne pouvais m'empêcher de pouffer à cette anecdote.
Une question me vint soudain à l'esprit, qu'est-ce que j'allais faire au juste après ces six mois d'entraînement ? Rin m'avait pourtant raconté que le traitement des nouveaux assassins se faisait autrement. A peine avais-je mentionné ce détail à Ruby qu'elle se releva d'un bond et se contenta de s'esquiver en me donnant rendez-vous à l'aube. Ne m'indiquant rien de plus, elle me laissa seule dans le parc. Ruby passait rarement aussi peu de temps avec moi, alors son départ précipité me surprit un peu. Sachant qu'en plus, elle m'attendait depuis un moment …
D'abord contrariée, j'ai fini par me résigner et lui pardonner. Bien que j'ai fui leur présence, j'avais bien réfléchi sur la dernière soirée que j'avais partagé avec elles et surtout sur ce qu'elles avaient dit. Peut-être qu'elles avaient raison, il fallait que j'accepte de perdre quelque chose pour pouvoir avancer dans la vie. Je rassemblais mon courage et passa le reste de mon après-midi à régler les dernières affaires qui me retenaient dans la zone, dont celle qui me liait à mon père .
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