Killian progressa dans la nuit sans flamme. Il voulait surtout rester discret. Les hommes rendaient des sentences réelles pour châtier les prétendus sorciers. De toutes les créatures du monde, ils constituaient bien la pire menace.
Aux abords des habitations, il redoubla de vigilance. Il craignait les aboiements d’un chien, un obstacle imprévu. Pressant l’allure, il marcha au milieu de la voie.
Après la sortie du village, sa tension s’apaisa. L’astre nocturne illuminait la piste. De part et d’autre, les prés s’habillaient d’un voile lactescent.
Le couvert d’une haie le força à ralentir. Il avança à pas prudents dans cette zone noire, puis dans les suivantes. Il n’avait pas envie de se blesser une cheville dans une ornière.
Enfin, après une marche longue, il reconnut la parcelle du vicomte.
« Je touche au but ! »
La forêt projetait son ombre sur les sillons. Il se dirigea droit vers le fond pour compter quatre traits.
Soudain, ses yeux perçurent un mouvement. Il s’immobilisa. La chose bougea encore ; d’instinct, Killian se baissa. Il chercha un buisson, une cachette. Le champ dénudé ne lui offrit aucune retraite. Son esprit bouillonna.
« Bon sang ! Quelqu’un m’a devancé ! »
Plaqué à terre, il réfléchit. Personne ne labourait à proximité lors de sa découverte. Qui donc avait pu le voir ? Comment ? À moins que Tresmor n’ait deviné son mensonge ?
Un bruit de grattement lui parvint. L’individu creusait vite, à un rythme saccadé. De toute évidence, il déterrait l’écrin de bronze.
Killian se mordit les lèvres.
« Pourquoi n’ai-je pas pris mon couteau ? »
Sans arme, il se retrouvait en position d’infériorité. Unique point positif : le brigand semblait ne pas l’avoir remarqué.
Il releva la tête. Le pillard travaillait-il à quatre pattes ? Sa manière de creuser l’intriguait. En rampant, il s’avança. Si le voleur ignorait sa présence, il pouvait jouer sur l’effet de surprise. Il devait fondre sur son dos au moment propice, s’emparer de la boîte et détaler.
L’attrait du gain renforça sa détermination.
« Peu importe si j’échoue. Je ne laisse pas filer ma chance. »
Il s’approcha encore. Sa vue s’habituait aux ténèbres. Les contours de son ennemi lui apparurent. Les oreilles en pointe, la queue touffue, un animal fouillait le sillon.
Killian bondit sur ses pieds.
— Un renard ! Un simple renard !
Soulagé, il ramassa une poignée de terre, la lança contre son dos.
— Allez, mon gros ! Va jouer ailleurs !
La bête grogna. Elle marqua un temps d’arrêt… Sans se retourner, elle reprit son activité.
Il haussa le ton.
— Je t’ai dit de déguerpir !
Le goupil l’ignora. Ses griffes heurtaient la boîte avec des raclements métalliques. Avait-il flairé de la nourriture ? Pourquoi ne s’enfuyait-il pas ?
Le garçon frappa dans ses mains. Une chouette s’échappa d’un arbre. Indifférent, l’animal continua. Son trou s’ouvrait sur plus d’une coudée de diamètre*. Intelligent, sûr de lui, il paraissait agir à dessein. Pire : il méprisait son adversaire.
Killian sentit un frisson descendre dans son dos. Les mots de Brigitte s’invitèrent dans son esprit.
« La nuit appartient aux anaons et aux korrigans. Malheur à tous les impudents ! »
Ses dents grincèrent. Il courut à la clairière, brisa une branche basse à coups de pied. Prêt à frapper, il revint, le bâton levé au-dessus de sa tête.
— Recule ! Ce trésor est à moi !
L’autre ne broncha pas ; il abattit sa canne. L’animal roula, retourna à sa tâche. Son comportement absurde sonnait comme un défi. Killian trembla de fureur.
— Qui t’a dressé ? Tu es censé être quoi ? une créature de la nuit ? Ton maître t’envoie pour effrayer les simplets ?
Les mains serrées sur son gourdin, il scruta la forêt.
— Montrez-vous ! Êtes-vous lâche au point de me craindre ? À moins que vous ne soyez un enfant vous-même, ou un vieillard sans force ? Votre chose ne m’empêchera pas de prendre ce que j’ai trouvé le premier !
À nouveau, le bâton fendit l’air. Le renard esquiva, fit volte-face. Ses yeux flamboyèrent dans le noir. La pupille verticale barrait un iris rouge sang. Ses babines se retroussèrent sur des crocs luisants. Entre ses mâchoires, des mots rauques, effroyables se formèrent.
— Arrête. Si tu me frappes encore, tu le paieras au centuple.
Killian se pétrifia. Sa canne lui échappa. Choqué, il considéra la bête.
« C’est impossible. Ce n’est pas vrai. »
Abasourdi, il observa la créature reprendre son œuvre. Comment avait-il pu rire des superstitions des villageois ? Se moquer de leur peur de la nuit ? Une chose inexplicable subtilisait sa trouvaille. Lui, l’humain indésirable, pouvait seulement contempler et se taire.
Cette impuissance, cette ignorance, il refusa de les admettre.
Le goupil fouissait sans méfiance. Un objet droit glissa contre son ventre. Il réalisa le danger, trop tard ; d’un coup, le bâton le repoussa.
Killian rafla le coffret. L’animal fit claquer ses mâchoires dans le vide.
— Reviens ! Ce trésor est à moi !
Le paysan s’enfuit. D’autres appels résonnèrent ; il les ignora. Il devait regagner son village. Là-bas, entre les hommes et les chiens, la bête n’oserait pas le poursuivre.
— Reviens, je te dis !
Exaspérée, la créature s’élança. Killian accéléra. Malgré ses efforts, il sentit la chose le rattraper. D’un bond prodigieux, elle lui barra la route.
— Par Ana** ! Tu comprends quand on te parle ?
— Je n’écoute pas les illusions.
— Une illusion ? Il me semble pourtant que je suis bien présente. Les renards ne t’inspirent pas ? Tu préfères peut-être traiter avec une bête plus épaisse, plus ventrue ?
Des spasmes soulevèrent sa toison. Son corps grandit, doubla, quadrupla de volume. La tête s’arrondit, dessina un museau long et de petites oreilles. Des griffes menaçantes poussèrent au bout de ses pattes énormes.
Le souffle coupé, Killian recula.
— Un ours !
— Exact. Maintenant, donne-moi ce que tu tiens là.
Il se crispa. Contre lui, le coffret lui rappelait le but de sa sortie. La fatigue troublait-elle ses sens ? L’un de ses frères avait-il versé dans la gamelle des champignons des bouses ? Puisqu’il fallait dialoguer avec un mirage, il choisit de gagner du temps.
— Qu’y a-t-il dedans ? De l’or ? Des bijoux ?
L’ours éclata de rire.
— Tu risques ta vie sans le savoir ? Cet objet est la propriété de mon peuple. Toi, l’humain aux mains crasseuses, tu n’es pas digne de le toucher.
— Sale bête…
— Dis donc !
L’animal disparut. À sa place, pas plus haute qu’un avant-bras, une minuscule jeune fille brandit un poing rageur.
— On ne t’a jamais appris à parler poliment aux dames ?
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* Une coudée = quarante-cinq centimètres environ. La coudée représente la distance comprise entre le coude et l’extrémité du majeur, bras placé en équerre et main ouverte.
** Ana = déesse-mère celte.

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