La maison était grande. C'était une maison dans laquelle la famille avait l'habitude de se réunir, on aurait presque cru à un manoir. Il y avait deux étages, deux salles de bains, une grande cuisine avec une salle à manger immense, et de multiples chambres, ainsi qu’un jardin qui présentait quelques arbres. Une maison pareille, se dit Adriel, devait couter un bras.
A peine arrivés, ils eurent droit à de grands bienvenus, des calins et des baisers de retrouvailles. Adriel n'affectionnait pas particulièrement les réunions familiales, mais il faisait avec.
Après les bonjours il alla poser son sac dans la chambre ou il dormait habituellement. Elle était située au deuxième étage, et il dut emprunter un long escalier en colimaçon en bois pour s'y rendre. Essoufflé, il arriva à sa chambre tant bien que mal et déposa son sac sur le lit. C'était un petit lit une place, assez confortable, dans lequel il avait passé beaucoup de vacances. La chambre avait l'odeur de son enfance, une de ces odeurs qu'on n’oublie pas, et qui nous transporte comme dans une autre dimension lorsqu'on la respire à nouveau. Après avoir humé l'air, Adriel s'assit sur son lit. Le voyage avait été long, et il avait volontiers envie de prendre une douche. Il s'empara de quelques habits, d'une serviette et d'un gel douche, et se dirigea à la salle de bain la plus proche.
Sur le chemin, il eut la tête qui tourne. « sûrement la fatigue ou l'entaille dans mon pied » pensa-t-il. Mais sa tête tourna de plus belle et il n'eut pas le temps de gémir qu'il tituba.
En se relevant il observa autour de lui, mais rien n'était pareil. De long tuyaux en fer rouillé bordaient des murs noirs de crasse et d'algues, et le sol était devenu visqueux. Il se frotta les yeux, sur d’être entrain de rêver, et lorsqu'il les ouvrit, tout était redevenu normal. Il songea alors qu'il devait dormir éveillé et aurait du passer plus de temps à se reposer qu'à dessiner la nuit précédente. Ce genre d’hallucinations ne lui étaient jamais arrivé, mais vu le manque de sommeil qu’il accumulait, il décida de ne pas y preter plus attention que ça.
Il ouvrit la porte de la salle de bain c'était une belle pièce, blanche, remplie de plantes grimpantes et tombantes, avec une baignoire au centre, entourée d'un paravant en dentelle métalique, qui faisait plus office de décoration que de protection pour l’intimité. Un grand mirroir ornait un des murs blanc. Adriel enleva pull et son t-shirt et se contempla dans le miroir. Il observa son visage. Sa barbe avait poussé. La dernière fois qu’il l’avait taillée devait remonter à deux mois. Il sourit. Elle avait commencé par pousser sur le menton de manière assez chaotique avant de s’épaissir et de s’étendre aux joues et à la moustache. Il leva la tête et contempla sa mâchoire qui s’était épaissie. Le souvenir lointain de son adolescence l’envahit soudain. Il se fit la remarque que plusieurs années auparavant, quand sa mémoire lui faisait remonter de tels moments, il était paralysé. Aujourd’hui, il était juste reconnaissant. Sa main s’abandonna sur son torse, quelques poils s’y balladaient ici et là. Il frissona en passant sa main sur les deux cicatrices qui ornaient sa poitrine. Elles etaient encore sensibles, mais avaient commencé à blanchir.
Alors qu’il s’apprêtait à enlever le reste de ses vêtements, son téléphone vibra dans sa poche.
Yo Adri, il parait que t’es de passage, ça te dirait de boire un verre ?
Le message venait d’Anna, l’amie d’enfance du jeune homme. Elle habitait en banlieue, de l’autre coté de la ville. Ils s’étaient rencontrés à l’âge de six ans, dans un camp de vacances et étaient très vite devenus amis. Ils se voyaient chaque été depuis. Ils avaient en quelque sorte grandis ensemble, à temps partiel. Comment faisait-elle pour déjà savoir qu’il était dans le coin ? Il venait à peine d’arriver.
Adri : Hey :) Avec plaisir, on se retrouve où ?
Anna : Le Karry’s ça te va ? 20h ? C’est proche de chez ta tante il me semble, et ça m’arrange, j’dois passer pas loin en fin d’aprem ! J’te présenterais ma copine !
Adri : J’ai hâte ! A ce soir !
Il verrouilla son téléphone, s’étira, et pris sa douche. L’eau chaude le fit tressaillir de douleur en passant sur sa blessure. Il baissa la température, et partit dans ses pensées pendant que ses mains savonnaient machinalement son corps.
***
Une fois le soir venu, après avoir passé l’après midi avec sa famille, il retourna dans sa chambre pour se préparer. Il enfila son jean le plus confortable, celui avec les trous au niveau des genoux, dont il avait peint les poches arrières. Il ouvrit la penderie, et scruta le miroir fixé sur la face intérieure de la porte. Le jean faisait ressortir ses hanches. Il grommela, et enfila un pull ample. Il était prêt à partir.
Il sortit après avoir prévenu sa mère qu’il retrouvait Anna et qu’il rentrerait surement un peu tard. Il ne manquait plus qu’à trouver le Karry’s. Il sortit son téléphone de sa poche, il avait un message non lu.
Anna : Hey bby, serais en retard, mais le bar est cool, choppe une table et commande à boire, profite du lieu !
Il hésita à faire demi tour. Il connaissait bien Anna, et il savait à quel point un “je serais en retard” signifiait en réalité “j’arrive dans 3h”. Il stagna sur place quelques instants en réfléchissant.
Son GPS lui indiquait 10 minutes de marche pour arriver au point de rendez vous avec son amie. Si elle disait que le bar était cool, c’est qu’il l’était sûrement. Il décida donc de l’attendre là bas.
***
C’était un endroit ridiculement petit au premier regard, ce qui amena Adriel à pousser son énième soupir de la journée. Il n’avait aucune envie de se retrouver dans un lieu où il serait collé aux autres en raison du manque de place et entendrait toutes leurs conversations. Quand il ouvrit la porte, il découvrit des murs de brique auxquels étaient accrochés, de manière assez chaotique, des dizaines de posters de concerts de hardrock, un petit comptoir derrière lequel était rangé un grand nombre de bouteilles d’alcool, un plafond avec poutres apparentes, un miracle qu’elles ne se soient pas encore écroulées tant elles étaient rongées, des tables et des bancs rustiques en bois massif, un canapé noir et un escalier qui semblait descendre vers une autre salle au sous sol. La pièce dans laquelle il se trouvait était certes peu large, mais elle était longue. Il slaloma entre les tables. Au dessus des escaliers se tenait une feuille d’imprimante sur laquelle il avait été grossièrement écrit au feutre des indications. A droite, les toilettes, en bas le fumoir. L’éclairage était tellement faible qu’il semblait inexistant. Les murs n’avaient pas de fenêtre. On pouvait deviner qu’une fois 22h passée, l’endroit devait devenir un genre de boite de nuit, en plus calme. Un riff de guitare électrique provenant de derrière le comptoir se mêlait doucement aux chuchotements.
Adriel scruta la salle. Un homme etait accoudé au bar, la tête entre ses mains. Deux femmes faisaient la queue pour accéder aux toilettes. Un couple se regardait en silence, et un groupe d’amis riait gaiement, assis au fond, à une large table. Le lieu n’était clairement pas bondé, et le nouveau soupir d’Adriel fut un soupir de soulagement. Il leva les yeux. La barman le fixait, les sourcils froncés. C’était une femme petite, large d’épaules, le genre de personne avec laquelle on n’a pas envie d’avoir d’ennuis. Elle avait les cheveux courts, dressés en pics sur sa tête par du gel, et un piercing à l’arcade. Les rides sur son front lui donnaient un air sévère, qui fit frissonner le jeune homme.
Il baissa le regard, et se dirigea en silence vers le fond de la pièce, à la recherche d’une table de libre. Une fois assis, il enleva son pull. Il faisait une chaleur étouffante. La barman qui le toisait plus tôt s’approcha de la table, un torchon sur l’épaule et un calepin à la main.
- Qu’est-ce que ce s’ra pour toi mon p’tit ? demanda-t-elle d’une voix rauque.
- Une pinte de bière brune s’il vous plait.
- J’te ramène ça tout de suite, clama-t-elle en s’éloignant.
Le temps qu’Anna arrive, il aurait probablement le temps de finir son verre et d’en commander un autre.
***
Il arrivait à la fin de sa bière, et commençait à s’ennuyer. Un bâillement déforma son visage, et une larme perla au coin de ses yeux. Il l’essuya avec son poignet. Il avait fini de faire défiler le fil d’actualité de tous ses réseaux sociaux, et le temps commençait à se faire long sans que son amie arrive. Alors qu’il avalait sa dernière gorgée, Anna passait la porte du bar. Elle le chercha d’abord des yeux, mais le manque de lumière l’empêchait de voir le jeune homme qui lui faisait un geste de la main. Elle avança, et une fois son ami aperçu, alla s’assoir en face de lui. Elle enleva sa lourde veste et la jeta nonchalamment sur une chaise avant de s’y affaler, l’air exténuée. Puis son visage s’éclaira :
- Jo nous rejoint plus tard, elle est retenue au boulot ! Ah c’est bon de te voir, comment vas tu ?
Elle enleva son bonnet, découvrant son crâne fraîchement rasé, laissant deux mèches vertes de chaque côté des oreilles.
- Tu t’es enfin rasé la tête ? demanda Adriel. Ça te va tellement bien !
- Oui j’en avais marre de me coiffer tous les matins, ça c’est la liberté, s’exclama Anna en se caressant le cuir chevelu !
Le jeune homme brun était si heureux de retrouver son amie. Il ne l’avait pas vue l’année précédente, car elle était en vacances à l’autre bout du pays.
La jeune femme remonta ses manches et rajusta sa cravate. Elle se leva, et revint quelques instants plus tards avec deux pintes.
- Tiens, goûte ça, c’est de la blonde avec du sirop de pêche ! tu m’en diras des nouvelles
- Merci, répondit son ami.
- Alors, dis moi tout, j’ai tellement hâte d’entendre ce que tu deviens, lui dit-elle en se rasseyant.
Adriel prit une gorgée de sa bière et commença à parler :
- Eh bien, je suis en vacances depuis une semaine, ça fait du bien. Je souffle un peu. J’ai validé mes exams de justesse. J’ai eu beau retaper mon année, j’ai l’impression que j’aurais besoin d’au moins cinq ans pour tout retenir, et donner le meilleur de moi même. Et toi ?
- Oh, eh bien figure toi, que tu as devant toi, une infirmière qui a obtenu son concours !
- Non ! Trop bien ! Félicitations. Depuis quand ?
- Mars ! Je travaille à l’hosto de ma banlieue, c’est la merde mais ça me plait tellement si tu savais !
- En même temps, tu as toujours aimé le chaos, ça ne m’étonne pas.
- Non non, c’est pas ça. C’est pas le fait que ce soit compliqué qui me plait. C’est vrai qu’on manque de moyens, de matériel, d’effectifs, que les médecins et les internes sont vraiment odieux, en même temps avec les gardes qu’ils se tapent je les comprends, mais si tu voyais l’ambiance qu’il ya entre infirmières et infirmiers. Même sous la pression, on est hyper soudés !
Elle prit deux gorgées.
- J’suis au service pédiatrie. J’adore travailler avec les enfants. C’est comme si il étaient loins du monde, et qu’il planaient au dessus de nous. Ils n’ont pas conscience de la plupart des problématiques que l’on a, nous les “adultes”.
Elle avait fait des guillemets avec ses doigts. Elle continua sur sa lancée, donnant à son ami des annecdotes diverses sur son travail. Elle parlait tellement vite, et semblait vraiment surexcitée. Adriel était incroyablement heureux de la voir, de pouvoir parler avec elle, et l’écouter raconter ses aventures. Elle avait raté deux fois le concours, avant de le réussir cette année. C’était une grande victoire pour elle. D’aussi longtemps que le jeune homme se souvienne, Anna avait pour vocation de travailler dans la santé. L’entendre dire autant de choses, avec un tel débit, prouvait qu’elle se plaisait dans ce qu’elle faisait. En effet, les conditions de travail étaient loin d’être idéales. Mais la jeune femme s’accrochait à ce métier de toutes ces forces, avec passion.
- Bon, dit-elle soudain en posant ses mains sur la table de toute sa force, je vais fumer ! Tu m’accompagnes ?
- Avec plaisir.
Adriel ne fumait pas. Il avait déjà essayé, lorsqu’il était encore au lycée, mais avait juste toussé si fort qu’il avait eu peur de cracher ses organes. Il n’avait pas retenté l’expérience depuis. L’odeur de la cigarette ne lui déplaisait pas pour autant. De plus, il aimait l’odeur du tabac frais. La jeune femme sortit une cigarette déjà roulée d’une boite en métal, et l’apporta à ses lèvres. Les deux amis se levèrent en riant, et continuèrent leur discussion en descendant jusqu’au fumoir.
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