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Les Murmures d'Ys [ FR ]

Chapitre 7 - La maison de la lande (2/2)

Chapitre 7 - La maison de la lande (2/2)

May 10, 2020

Ils n’échangèrent plus un mot. Le religieux semblait décidé à respecter ses préceptes sur le silence. Le paysan cheminait une vingtaine d’enjambées derrière, le visage fermé.

Ils marquèrent un arrêt pour le repas. Comme la veille, Ewyn déballa ses achats du matin. Malgré la faim, Killian n’eut pas envie d’y toucher. La contrariété le brûlait. Il grignota des châtaignes insipides. Son estomac se nouait tant qu’il en avait la nausée.

Yuna laissa échapper une plainte.

— Même les menhirs sont plus bavards que vous, déplora-t-elle, exaspérée.

— Les menhirs ? répéta Killian. Ewyn les adore. Ils ont le même cœur de pierre.

— Cela me convient tout à fait, répondit l’intéressé.

La korrigane lui décocha un rictus narquois.

— Je t’ai entendu, tout à l’heure. Ta magie consume ta vie, pas vrai ? Voilà donc ton terrible secret. Les gens de ton église sont bel et bien prêts à tout.

Il pinça les lèvres. Pour la première fois depuis leur dispute, Killian daigna lui accorder un regard.

— Crache le morceau, ordonna Yuna. Sinon, je fournirai l’explication moi-même.

Ewyn resta muet. À côté de Killian, la créature semblait se délecter. Un long silence passa. Elle ouvrit la bouche ; il la coupa dans son élan.

— Mon pouvoir n’est pas illimité. L’énergie doit se concentrer dans un point précis pour être efficace. Plus je multiplie les sigils, plus la puissance se disperse. Je me retrouve donc obligé de compléter avec mes forces vitales.

Ses aveux lui arrachaient la langue. Yuna pouvait bien se moquer à présent. Il apparaissait petit, vulnérable, tout le contraire de ce qu’il s’évertuait à être.

D’un air détaché, elle mordit dans un bout de pomme. Avoir vaincu sa fierté la contentait. Elle connaissait les efforts à fournir pour pratiquer la magie. Il fallait une foi et un engagement respectables pour appliquer des méthodes si dangereuses.

Killian se rappela le mur de lumière, les deux salves de flèches. Il revit l’invocateur effondré, glacé comme un cadavre. L’effroi le frappa.

— Tes sortilèges peuvent… te tuer ?

— Oui. Mais il en faut plus que ce que tu as aperçu hier pour m’abattre.


Sans s’octroyer de sieste, ils reprirent la marche. Le retard du matin risquait de peser lourd dans la balance. Ewyn pressait l’allure.

— Nous devons absolument atteindre l’auberge des chevaliers avant la nuit. J’inspecterai l’extérieur pour m’assurer qu’aucun spectre ne rôde.

— Rappelle-toi que nous avons un accord, grogna Yuna sous sa forme de chien. Je veux gagner ton abbaye et sa bibliothèque au plus vite.

— J’ai des devoirs. Je ne peux pas laisser une telle possession se reproduire.

Yuna lui renvoya un rictus.

— C’est étrange. Je ne t’imaginais pas te soucier de tes semblables… À moins qu’une autre raison ne te motive.

Il fronça les sourcils. L’épagneul s’enfuit plus loin sur le chemin. Des nuages couvraient le ciel. Une bruine s’abattit.

À l’arrière, malgré lui, Killian s’inquiétait du sort du garçon en noir. Ses aptitudes, ses vêtements, toute sa personne lui avaient semblé formidables de prime abord. À présent, il éprouvait une désillusion similaire à celle qu’il avait connue quelques années auparavant, lorsqu’il avait compris les manipulations des bateleurs de foire. Nulle balle de liège n’apparaissait, ne disparaissait sous leurs trois gobelets opaques : les escamoteurs introduisaient juste deux autres boules en secret dès le début, puis bougeaient leurs outils avec dextérité, dans un ordre implacable. Pour percer le mystère, il fallait observer longtemps, calculer, analyser. Aucun miracle n’intervenait. Derrière le brillant spectacle, il n’y avait qu’une vérité décevante, de l’or à récolter.

Chez Ewyn aussi, les ficelles se dévoilaient. Tout en lui reflétait le combat. La robe courte lui permettait une liberté de mouvement. Les ceintures aux poches nombreuses abritaient son matériel. La croix d’argent servait-elle à repousser des attaques frontales ? Une chose était sûre : sa rapidité et son agilité cachaient un entraînement assidu. En combien de temps avait-il appris ses formules, jusqu’à les enchaîner sans hésitation ? Combien d’énergie avait-il consumée afin de maîtriser leur pouvoir ? Sa façon de courir, de bondir, la précision avec laquelle il lançait ses projectiles... Combien de jours, d’efforts et de sueur avait-il dépensés pour les acquérir ? À chaque nouvelle confrontation, il risquait sa vie. À son âge, l’envoyer combattre revêtait peu de sens. Pourquoi ne le laissait-on pas à l’abri, le temps qu’il entre en possession de tous les savoirs, de ses pleines capacités physiques ? S’il mourait demain, aussi jeune, à quoi auraient servi ses sacrifices ?

Une charrette les dépassa. Le blond héla le conducteur. Après un bref échange, il fit un signe du bras.

— Dépêche-toi ! Ce brave homme va nous transporter !

Avec le chien, ils s’installèrent parmi des caisses. L’opération leur fit gagner plus de deux lieues. Devant un croisement, ils prirent congé de leur bienfaiteur.

— Dieu vous garde, dit Ewyn en opinant.

Leur route s’abîma dans une lande. Le paysage changea vite : champs et forêts se transformèrent en étendues grises, en buissons bas et en rocaille. Les bruyères se mêlaient aux ajoncs épineux. Parfois, les plantes formaient des buttes coiffées de tiges démesurées. Masquées par leur foin, des eaux traîtresses exhalaient un parfum de décomposition.

Ils ne rencontrèrent pas un vilain. Quelques moutons sales broutaient près d’un rocher. Plus tard, ils aperçurent un cheval errant. Ils l’approchèrent, avec la pensée vague de l’utiliser comme monture ; ils renoncèrent en avisant ses jambes, ses flancs d’une maigreur extrême. La teigne le dévorait en laissant des trous dans son pelage.

Une trace d’humanité se profila enfin. Surgissant du désert, une bâtisse de pierres sombres se découpait contre le ciel. Ses murs hauts, droits, s’agençaient d’une manière austère. Des fenêtres perçaient la façade au rez-de-chaussée et à l’étage. Le toit se brisait en pentes abruptes couvertes d’ardoises. Une cheminée dominait les deux pignons, de chaque côté. Au bord de la route, un panneau indiquait le mot « Auberge ».

— Serait-ce la demeure dont a parlé Sire Carloman ? questionna Killian.

Ewyn haussa les épaules.

— Sûrement, puisque c’est écrit.

Son compagnon vira au rouge.

— Je ne sais pas lire, figure-toi. Les gueux n’ont pas accès à ta science.

— Ah, c’est vrai.

Il se détourna. Ses yeux bleu gris se fixèrent sur le bâtiment. Il l’examina un moment, puis ferma les paupières. Autour de lui flottaient des émotions éparses. Il perçut du chagrin, de la peur. Des murmures très faibles lui parvinrent. Il se concentra, tenta de reconstituer les syllabes. Les mots se disloquaient, comme emportés par le vent.

— Je n’aimerais pas habiter ici, commenta Yuna. Tout le pays a l’air malade.

Ewyn acquiesça.

— Il y a bien quelque chose, mais je n’arrive pas à identifier une source. Cet endroit me rappelle les tourbières des monts d’Arrée. On les surnomme « la porte de l’Anaon », car ces marais aspirent les âmes vers l’Autre Monde.

— Cette maison en elle-même n’a rien de spécial, s’insurgea Killian. Ce n’est pas parce qu’il pleut et que la contrée est laide qu’il se passe forcément des choses horribles. Les gens d’ici n’ont pas de chance. Inutile d’en rajouter.

Ewyn se sentit piqué. Cependant, le raisonnement n’était pas faux.

— Nous allons faire le tour en restant discrets. Ensuite, nous signalerons notre présence et nous examinerons l’intérieur.

— Soit.

Ils s’engagèrent dans les buissons. Leur tracé décrivit un cercle en maintenant avec la bâtisse une distance respectable. Après un demi-arpent parcouru*, l’exorciste planta une petite croix d’argent dans le sol. Killian et Yuna lui jetèrent un œil interrogateur.

— Principe de précaution, invoqua-t-il brièvement.

Il répéta son geste à intervalles réguliers. À l’arrière, des dépendances masquaient une partie de la maison. La première, de forme rectangulaire et allongée, constituait sans doute l’écurie évoquée par le chevalier. Une remise la flanquait à droite. Un grand potager s’étirait à proximité. Killian plaignit les aubergistes d’être obligés de travailler une terre aussi mauvaise. Avec surprise, il constata ensuite que leurs cultures se portaient bien. Un carré fraîchement retourné laissait entendre un bon entretien.

Yuna plissa le museau.

— Beurk. Je sens une odeur de pourri.

— Sûrement du compost, expliqua son ami. Vu l’état du sol, les propriétaires doivent se donner beaucoup de mal pour obtenir un résultat. D’ordinaire, les pelures de légumes finissent dans l’estomac des cochons, mais je pense que ceux-là répandent tout sur le potager. Ils ne doivent pas avoir de bêtes à nourrir.

La suite lui donna tort. Une porcherie et un poulailler complétaient la basse-cour. Killian s’étonna, mais il garda ses réflexions pour lui.

Ils revinrent sur la route. Ewyn ficha une croix dans le muret de clôture. Un malaise croissant l’envahissait. Les extérieurs ne révélaient rien. La demeure ne dégageait pas d’aura particulière. Pourtant, il ressentait au moins une, voire plusieurs présences. La mésaventure des seigneurs sonnait comme un avertissement. Quel élément lui échappait ? Que se tramait-il en ces lieux désolés ?

— Tout ça ne me plaît pas, maugréa-t-il entre ses dents.

— Nous pourrions passer la nuit ailleurs ? suggéra Yuna. Je n’aime pas non plus cet endroit. Dépêchons-nous et éloignons-nous au maximum avant le crépuscule !

— Ce sera pire. Nous ne savons pas d’où provient la menace. Sire Carloman l’a bien dit : il n’existe pas d’autre pension aux alentours. Si nous dormons dehors, nous essuierons la pluie et nous serons très exposés. La lande est pleine de marais. En cas de fuite, un seul faux pas et nous finirons de la pire des façons.

Elle déglutit.

— Nom d’une souche ! Mais qui a eu l’idée de venir ici ?!

Killian esquissa un sourire bravache.

— Nous n’allons pas rester plantés là. Si cette auberge était la porte de l’Anaon, ça se saurait, non ?

Ewyn fut forcé d’en convenir.

— Bien ! Alors je ne vois pas ce qu’il pourrait nous arriver. Nous n’avons là qu’un gîte tout ce qu’il y a de plus normal. Votre monde se peuple peut-être d’entités louches et de fantômes noirs, mais le mien se compose d’êtres de chair et de sang. Et l’humain que je suis a besoin de bons draps et d’un repas chaud !

Sans tergiverser davantage, il se dirigea vers le perron.




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Un demi-arpent = trente-six mètres environ.

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Mélange d'action, de folklore traditionnel, d'aventure et de fantasy, Les Murmures d'Ys revisite la Bretagne du XIIe siècle, entre réalité et légendes aussi merveilleuses que glaçantes !

[EN] Les Murmures d'Ys (The Whispers of Ys) tells the story of Killian, a young and disenchanted peasant from Brittany, in the 12th century. One day, by accident, he unearths a mysterious object straight out from a distant past. It's the beginnig of a fantastic journey to the sunken city of Ys, where the treasures and the cursed souls sleep...

The Whispers of Ys is the first book I publish here ! Unfortunately, I don't feel comfortable with English yet, so it will be published in French. I hope one day I'll be able to propose a good translation !
Thank you for your caring !

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