Bleu, rouge, bleu, rouge, bleu...
Il fallu que Nathanahel ferme ses yeux, les cachants derrière une main sale et tremblante, car les lumières des voitures de police commençaient à lui faire mal à la tête, à la longue.
Dès que l'appel de Caleb fut interrompu, et que l'homme eut entendu des coups de feu, il su qu'il devrait y aller le plus rapidement possible. Que la police aille chier, il trouverait le gars lui-même!
Il lui prit seulement quelques minutes avant de deviner que cet entrepôt abandonné à l'allure délabré était sûrement celui où Caleb était allé. Il savait qu'il y avait de la contrebande qui se passait dans le quartier autour, il y a depuis quelques années de cela. Un endroit parfait où aller quand un cyborg amnésique vous poursuit après que vous ayez volé des pièces de l'atelier de sa figure paternelle.
"Fermez-donc vos lumières, estie. Ça dérange!" Grogna Nathanahel à un officier de police qui était en train de prendre des notes sur une tablette. Il acquiesça, et se dirigea vers la voiture pour éteindre les gyrophares.
Nathanahel porta son attention à Caleb, qui était maintenant assis par terre, accoté sur le mur de béton, des bandages sur les cuisses et des pansements sur son visage et son corps.
Il était toujours inconscient.
Nathanahel avait retiré ses jambes de son corps et avait bandé le tour de ses cuisses, qui étaient, à son arrivée, rouges, la peau au vif, presque brûlée. Les jambes artificielles, maintenant sur le sol l'une par dessus l'autre, étaient aussi brûlées aux bouts, et le métal était un peu fondu, comme si quelqu'un avait essayé de les souder aux cuisses de Caleb de l'intérieur.
Mais le plus étrange dans tout ça, c'était l'homme inconnu - sûrement l'acolyte du voleur, vu qu'il fut reconnu par les policiers comme un criminel recherché - qui était en ce moment sur le mur, près de Caleb, menotté aux bras et aux pieds, ayant l'air tout aussi sonné que le jeune homme. Son visage avait l'air vaguement brûlé, pas autant que les jambes de Caleb, mais il était d'une couleur étrangement rougeâtre, et le bout de ses cheveux avait l'air roussi, comme si quelqu'un avait porté une flamme au bout juste un moment. Et, encore plus étrange, était que la brûlure sur son visage avait la forme d'une trace de main.
Mais qu'est-ce qui s'était donc passé?
Caleb bougea un peu et grogna, et Nathanahel souris, se redressant un peu. Le jeune homme cligna des yeux lentement, portant sa seule main à sa tête en regardant autour de lui.
"Aaahhh, qu-qu'est-ce qui s'est passé?" Il demanda, confu.
"Je pensais que tu pourrais me dire toi-même."
À part l'explosion, il ne savait rien. Comment avait-il su que ça allait avoir cet effet là? Comment était-il capable de se battre si aisément? Et, surtout, qu'est-ce qui c'était passé après qu'il fut tombé dans les pommes
Caleb porta une main tremblotante à sa cuisse et gémit un peu. "Aahhh, mes jambes, tabarnak…" il souffla faiblement, d'un air peiné. "Mes cuisses sont toutes brûlées, câlisse que ça fait maaal!" Il gémit, ses yeux fermants d'un coup sec, inspirant d'un coup.
Nathanahel soupira. "Ouais, c'est comme si le métal s'était soudé dessus, c'est bizarre. J'vais vraiment devoir les refaire pour plus que ça arrive, aujourd'hui."
Caleb fronça les sourcils, à la fois surpris et inquiet. "Aujourd'hui?? M-mais… mon travail..?" Il gémit.
Nathanahel lui lança un regard noir, ses gros sourcils s'enfonçant sur ses paupières. "Que j'te voit pas retourner au travail comme ça, mon maudit… t'es tout faible, là, tu veux encore te faire mal?"
"Mais si quelqu'un m'appelle??"
Nathanahel gronda "Qu'il aillent à la boîte vocale, et tu prendras leur messages après, c'est tout! T'a le droit de faire une pause, tu sais ça, Caleb!"
"Mais…". Caleb s'arrêta, et fixa le vieil homme du regard, yeux écarquillés, sidéré par cette réaction soudaine, puis regarda en bas, penaud, et soupira.
Il s'inquiétait vraiment. C'était étrange, de savoir ça.
Après quelques secondes de silence, le jeune homme releva les yeux, et regarda Nathanahel de nouveau. Il sourit faiblement, en voyant le visage inquiet de l'homme, qui fixait à présent le corps du brigand brûlé. C'était un peu comme son père, en fait.
Caleb regarda le corps par la suite, curieux, et ses yeux s'écarquillèrent.
C'est lui qui avait fait ça?
En plus du corps évanoui du brigand, il y avait une tache de brûlure sur le sol de béton, et un trou dans le plafond, en plein au même endroit.
Il savait qu'il avait utilisé une grande partie de ses habiletés, plus que d'habitude - après tout, ses jambes n'avaient pas court-circuité pour rien - mais il ne s'était pas rendu compte des dégâts que cela pouvait commettre sur un objet ou un humain.
L'homme musclé avait encore l'air vivant, heureusement, mais il avait l'air plutôt mal en point.
"Il est juste évanoui, les policiers vont l'amener quand ils auront fini de prendre l'autre gars en photo."
Il pointa en la direction du voleur, assis, menotté aux bras et aux jambes, avec un bandage sur la jambe. Il avait l'air assez grincheux. Deux policiers étaient autour de lui avec leur analyseurs, lui scannant le visage.
Soudainement, Nathanahel se redressa, et inspira profondément.
"Les médics sont passés pendant que t'étais dans les pommes, et ils m'ont dit que j'vais pouvoir te ramener chez toi."
Il s'arrêta, l'air confus.
"Uh… va falloir que je sache où tu restes, par contre..."
"En ce moment? Un hôtel au 726. J'peux te donner les directions."
"Non, ça va, j'ai un GPS. Mais, euh…" l'homme eu l'air un peu perturbé. "T'a toujours pas de vraie maison?"
"Eh, c'est quoi le but? J'me promène tout le temps de ville en ville, ça aiderait pas d'avoir à payer une maison en plus des hôtels et des restaurants."
Nathanahel soupira, et, prenant Caleb dans ses bras, l'aida à se relever. "Ouais… J'te rapporte au bureau, j'vais chercher tes jambes, et après j'vais à ton hôtel, ok?"
"Ok"
Dès que Caleb fut revenu à l'atelier, assis sur sa chaise, il soupira, et regarda les plans de Nathanahel. Le visage avait l'air plutôt simple à faire. Il fallait seulement qu'il se colle aux muscles encore intactes du visage, et puisse être capable d'enregistrer les mêmes sensations qu'une peau humaine. Plein dans son champ d'expertise, heureusement.
Caleb se promena autour de la pièce, et trouva des écouteurs. Rapidement, après avoir glissé ses lunettes sur son nez, il les enfila sur sa tête, partit la musique, s'empara des retailles cachées dans les boîtes de la remise, et se mit au boulot.
Il fallait dire qu'il faisait de cela plusieurs semaines depuis la dernière fois qu'il fût capable de bricoler de son propre gré. Pour Caleb, même si son travail était très bien, et il ne le changerait pour rien au monde, les faits étaient qu'il était souvent plus heureux à bricoler plus librement, sans contraintes de temps ou d'argent. En y pensant bien, les dernières trois semaines avaient étés consacrées entièrement au travail, sans relâche, et Caleb se disait que Nathanahel avait eu raison, tout à l'heure; il était grand temps de prendre une pause.
La musique classique aux oreilles, il travailla sur la base du visage, suivant de près les plans de Nathanahel, mais changeant quelques petits détails ici et là.
Après au moins dix minutes, Caleb se recula dans sa chaise, et regarda le plafond. Il était déjà fatigué même avant d'avoir commencé à travailler, alors maintenant, il était épuisé.
Il glissa ses écouteurs sur son cou et ses lunettes sur son front, et soupira. Il faudrait peut être qu'il aille faire une sieste...
Il se retourna et se dirigea vers la porte de l'atelier.
"Nathanahel m'en voudra pas si j'emprunte son lit un bout, non?" Il pensa, baillant longuement en se dirigeant vers les escaliers menant à la chambre de son mentor.
Mais, avant qu'il puisse monter, une voix tonitruante résonna dans la salle.
"MIKHAEL!"
La voix semblait paniquée, mais tout autant choquée et soulagée. Comme la voix de quelqu'un qui voyait un visage familier dans un endroit étranger.
Caleb se retourna, curieux, et fut surpris de voir une femme, d'environ une soixantaine d'années, des tatouages sur les bras, se diriger vers lui. Elle avait l'air de le reconnaître, étrangement, vu son visage. Mais Caleb ne la reconnaissait pas.
"Mikhael, oh, depuis des années que je vous ai cherché, et vous voilà enfin!"
Caleb plissa des yeux, confus. "D-désolé madame, j'm'appelle Caleb, pas Mikhael." Elle s'était sûrement trompée, non?
"N-non, votre visage est méconnaissable! Vous êtes Mikhael!!" La dame s'agrippa au bras de Caleb et le tira. "Tout le monde m'ignore quand je dit que vous existez encore, mais vous voilà! Vous devez revenir, Shamayim a besoin de vous!" Ses mouvements se faisaient plus saccadés et paniqués. "Allez, Mikhael!!
"Madame, je ne suis pas Mikhael. S'il vous plaît, lâchez moi." Caleb essaya de s'extirper de l'emprise que la dame avait sur son bras. Il commençait à sentir ses ongles rentrer dans sa peau, tellement elle le tenait fort. C'était quoi son problème?
"Nous avons besoin de vous, Mikhael!!! Jezebel est un faux dieu!" Elle était à deux doigts d'être en train de hurler son nom, le ton de sa voix fébrile et cassante. "Shamayim a besoin de vous!!"
Deux travailleurs la tirèrent hors du chemin de Caleb et la traînèrent vers la porte, alors qu'elle continuait de crier et de hurler le même nom à tue-tête, jusqu'à ce que la porte se ferme, et que l'atelier fut rentré dans le silence. Une travailleuse s'approcha de Caleb et lui toucha le bras. "Ça va? C'était qui ça?" Elle demanda.
Caleb regarda son bras, encore marqué de la pression des ongles de la dame, et haussa des épaules. "J-je sais pas…"
Elle l'avait appelé Mikhael… Mais il savait bien que ce n'était pas son nom...
Caleb soupira. "J'vais faire une sieste. Dis à Nath que je suis dans sa chambre."
"D'accord."
Caleb monta dans la chambre de Nathanahel, et, tout autant confus qu'avant, il s'endormit.
*****
Caleb fut réveillé par Nathanahel, qui le secoua doucement. Caleb se leva, et regarda le cadran. Il était 19:07.
"Oh, désolé de t'avoir réveillé, mais y'a Cindy qui m'a dit que tu t'es fait harceler par une vieille dame." Dit Nathanahel, agenouillé devant le lit. Caleb grogna et s'étira, s'essuyant les yeux du revers de sa main.
"Mmhh, ouais."
"Ça va?"
"Elle m'a griffé le bras un peu, sinon ouais ça va."
Caleb regarda par la fenêtre. La nuit, la ville était tout en couleurs, quoique sale et mal en point, les néons des pancartes et voitures éclairaient les rues, rendant de la vie à une atmosphère d'habitude plutôt sombre. Il pleuvait, encore une fois, et Caleb se dit qu'il devra rester à l'atelier jusqu'à ce que la pluie cesse.
"Ma moto?" Il demanda.
"Je l'ai mise dans l'entrepôt avant qu'la pluie commence à tomber. Elle est en bonne état, t'inquiètes pas."
Caleb acquiesça.
"... La dame… elle m'a appelé… Mikhael." Il dit tout bas, avant de regarder Nathanahel. "Je sais pas c'est qui… le nom me dit rien…"
Nathanahel fronça des sourcils, et se gratta la barbe. "Hmmm, nan, je sais pas non plus."
Caleb soupira.
"J'ai apporté du takeout, si t'en veux." Fit le vieil homme, se levant. Caleb souris, et se hissa sur sa chaise, plaçant ses lunettes sur son front. "Ouais. Merci." Il dit doucement,
Les deux se dirigèrent vers l'atelier, et s'asseyèrent à la table.
"J'ai vu que t'a bricolé une base pour la prothèse pendant que j'étais parti." Dit Nathanahel, son ton de voix redevenu jovial. Caleb soupira. "Ouais, m-mais c'était juste pour me défouler, c'est pas vraiment-"
Nathanahel lui lança un boîte de nouilles sautées au poulet sur les jambes, et fit un signe de la main. "Nah nah, fait pas ton modeste, le gros, c'est super bien fait!" Quoique peu surpris, Caleb eu de la misère à accepter le compliment. Mais Nathanahel continua. "Faudrait que je te demande plus souvent de venir ici, tu pourrais bien m'aider." Il se pointa avec le revers de ses baguettes. "J'deviens pas meilleur avec l'âge, t'sais."
Caleb sourit tristement et ouvrit sa boîte. "Ouais…" il dit simplement, avant de manger.
Nathanahel resta silencieux, regardant la table un instant, puis Caleb, et puis sa nourriture.
"T'a quelque chose à dire?"
Caleb releva la tête, surpris. "N-non, pourquoi?"
Nathanahel haussa les épaules. "Chai pas. T'a l'air, euh, préoccupé, tiens."
Il se gratta la barbe. "C'est la dame de tantôt? Ou bien les voleurs de ce matin?"
"Ou bien les Anges d'hier." Fit Caleb, simplement en train de fixer ses nouilles.
"Oh."
Un moment de silence passa entre les deux
"Tu veux élaborer, ou…"
Caleb resta silencieux. Nathanahel soupira, et passa sa main dans ses cheveux, s'étirant. "Bon. On en parlera plus tard." Il finit sa nourriture, et se leva. "J'vais commencer à travailler sur tes jambes. Tu peux aller te recoucher quand t'a fini, ou bien tu peux rester dans le coin, ça me dérange pas."
Caleb acquiesça, et continua à manger lentement, pendant que Nathanahel se préparait, allant de vas-et-viens entre l'atelier principal et son bureau, prenant des matériaux, mesurant les jambes, et se mit au travail.
Caleb jeta sa boîte de takeout dans la boîte de recyclage, et regarda Nathanahel travailler un peu.
Le problème n'était pas autant qu'il ne voulait pas en parler, même si ça aussi, ce n'était pas trop tentant. Le problème était que même Caleb lui-même avait de la misère à comprendre ce qui s'était passé depuis les derniers jours. C'était comme si, depuis qu'il avait parlé à ces deux Mages- non, en fait, depuis qu'il avait surchauffé ses jambes en réparant le E-canine, c'était comme si tout était devenu bizarre. Il se bat, il cours après de voleurs, deux Mages de Jezebel lui parlent, une femme étrange l'appelle par un autre nom et lui crie après, ses pouvoirs deviennent plus fort et il fait mal à quelqu'un…
C'était… étrange.
Il voulait en savoir plus, mais… est-ce que ça valait vraiment la peine?
Après quelques instants, Caleb s'étira, et se dirigea en dehors de l'atelier. Il regarda autour de lui, admirant la pièce silencieuse et sombre, puis monta vers la chambre, et s'endormit.
Lorsqu'il se réveilla, le matin suivant, Caleb décida de continuer à travailler sur le masque. Il s'était dit que ça serait bien utile pour Nathanahel, qui avait déjà du pain sur la planche, et donc, il fit de son mieux pour aider. Lorsqu'il eut finit, le jour d'après, il travailla sur un bras de rechange. On sait jamais si il en aura besoin.
Et puis, enfin, après des jours, Nathanahel finit ses jambes.
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