1-Rencontre
Sept ans plus tard, sur cette même route, au même endroit.
Dans l’obscurité de la nuit, apparait une silhouette frêle. Il s’agit d’une femme, d’une pâleur cadavérique, portant une robe de nuit blanc terne qui est un peu salie par endroits. Ses cheveux, long, raides et noirs, cachent une bonne partie de son visage. A la faveur d’un coup de vent, ils se soulèvent légèrement. On peut alors découvrir le visage d’une femme qui avait l’air à la fois jeune et vieille. Un peu comme si elle n’avait pas dormi du tout depuis des semaines ou qu’elle menait une vie épuisante. Ce visage était marqué de cernes, avait des joues creusées, des yeux plus que fatigués, à moitié fermés. Et aussi, une petite blessure au crâne.
En entendant une voiture approcher, elle se tourne vers la route et tend son pouce, signifiant qu’elle fait du stop.
Alex rentre chez lui dans la Ford Ka noire de sa mère. Il avait passé l’après-midi à la bibliothèque communale d’une ville à une quinzaine kilomètres de l’université. Elle lui laissait toujours la voiture car les horaires de bus n’étaient pas adaptés à ceux de la bibliothèque. Et il ne rentait pas vraiment chez lui. C’était chez sa mère, Carrie, et chez lui, plus exactement. Elle vit pratiquement là depuis un an. Et elle a quitté son appartement le mois dernier puisque « je vis ici, maintenant, je ne vois pas pourquoi je payerai 2 loyers ». Ce qui n’arrange pas le jeune homme, qui essayait justement d’échapper à sa mère, un peu trop invasive à son goût. Malgré toutes ses protestations, Carrie avait amené ses dernières affaires chez son fils et avait rendu les clés de son appartement. La relation mère-fils qu’ils entretenaient avait toujours été particulière et leur cohabitation continue empirait la situation.
La route défilait sous les roues de la petite Ford. Puis quelque chose capta l’attention d’Alex. Dans la lumière des phares, il y a un poing fermé, le pouce tendu. Le jeune homme ralentit. Laisser quiconque dehors, dans le noir, au milieu de nulle part ne lui plaisait pas. Arrivé à la hauteur de l’inconnu, il s’arrêta et se tourna vers la silhouette.
Bien que surpris par l’aspect de revenante de la femme, Alex n’hésite pas et baisse la vitre.
-Bonsoir madame.
-…
Un peu désarçonné par la non-réponse de la femme, Alex continue néanmoins.
-Hum, … Vous… vous allez bien ?
-…
-Je… Je vous dépose quelque part ?
La femme hoche lentement de la tête.
-Vous allez vers où ? Moi, je continue dans cette direction sur 10 km.
-…
-Euhm, vous savez quoi ? Montez, je n’ai pas très envie de vous laisser ici, toute seule dans le noir. Je vous déposerai quand vous voudrez.
Joignant les gestes à la parole, le jeune homme tend le bras pour ouvrir la portière côté passager. La femme hésite une seconde, puis s’installe sur le siège et ferme la portière. Alex redémarre la voiture.
-Et sinon, vous vous appelez comment ?
-…
-Moi, c’est Alex.
-…
-Vous voulez de l’eau ? J’ai une bouteille qui doit être dans le vide poche, si vous avez soif…
-…
Le conducteur comprend rapidement que sa passagère ne lâchera pas un mot. Pour combler le silence qui l’oppresse, il allume la radio. La musique se répand dans la voiture.
-AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !
C’est la femme qui hurle.
Alex se crispe et freine de toutes ses forces. A ce moment, un animal,
probablement un cerf, bondit devant eux et traverse la route. Un courant d’air
passe dans la voiture, alors que toutes les fenêtres sont fermées.
Abasourdi par l’enchaînement des évènements, Alex est figé. Au bout de quelques secondes, il se tourne vers sa passagère.
-Tu… Tu viens de me sauver la vie ?
-…
-Me… Merci…
-…
-Je sais… Tu… Vous ou tu ?
-…
-Va pour « tu » alors. Tu crois que je peux repartir, maintenant ?
La femme hoche la tête.
Alex se remet au point mort, puis démarre et passe la première. La petite Ford noire reprend son trajet comme si de rien n’était, tranquillement.
Après cet évènement, la passagère reste égale à elle-même, elle ne prononce pas un mot. Elle semble à peine remarquer les regards en coin que lui lance Alex, qui ne sait pas si et pourquoi il doit s’inquiéter. Il se serait presque attendu à sa disparition mais elle reste à ses côtés dans la voiture.
Une fois dans la ville, Alex s’arrête.
-Ehm, il vaut mieux que je te dépose ici. Ca ira ?
-…
-Bon, eh bien j’ai été ravis d’avoir fait ce bout de chemin avec toi.
Alex tend la main vers sa passagère. Celle-ci se crispe puis elle comprend l’intention et serre la main du jeune homme. Au contact de leur main, Alex est secoué d’un frisson. La main qu’il serre est glacée !
-Mais… Tu es congelée ! Ecoute, je ne peux pas te laisser sortir comme ça, sans rien d’autre que ta robe…
Il enlève son chaud pull en laine et le donne à la femme.
-Tiens, tu vas en avoir plus besoin que moi. Si, si, j’insiste, ajoute-t-il devant la confusion évidente de sa passagère.
Elle finit par enfiler le pull et elle sort de la voiture. Le claquement de la portière résonne un peu dans la rue silencieuse où Alex vient de déposer l’inconnue.
Puis il termine son trajet et rentre chez lui après avoir récupéré ses affaires dans le coffre.
-Maman, c’est moi ! lance-t-il en entrant dans l’appartement, parfaitement conscient de l’interrogatoire qui va suivre vu son léger retard.
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