Son souffle était rauque et rapide, le corps fumant. Son armure était brisée ici et là, révélant des bouts de chair brûlés et saignant. Raffermissant sa poigne sur son épée, Ayden finit par la déloger de la nuque du dragon et se recula de quelques pas lourds pour observer la créature terrassée. Si sa lame était étincelante, vibrante d’énergie après avoir absorbé le sang d’une telle bête, sa main, elle, était encore poisseuse de plasma chaud. Il la passa pourtant dans ses cheveux, les plaquant en arrière en les maculant d’hémoglobine. Rogan descendit du dos de la bête sur lequel il s’était perché et il se frictionna les bras avec – Ayden le devinait – une grimace.

      — Un jour, tu auras ma mort sur ta conscience.

      — Arrête de marmonner, Ro’, ou tu finiras par avoir des rides. Et les femmes n’aiment pas les hommes ridés.

      — Quel rapport ? Et puis, j’ai déjà des cheveux blancs à cause de toi.

      — Themis, où est-ce que vous en êtes ? demanda mentalement Ayden en ignorant sciemment les lamentations de son ami.

      — Grodyr et moi sommes en route avec quelques soldats, Monica est restée pour s’assurer que la tête soit récupérée selon les rites, répondit aussitôt le mage. Et Rogan, arrête de râler, c’est fatigant…

      — C’est tout ce que tu as pour moi ? Tiens, allez, un dragon en plus… C’est tout ce que tu as pour moi, par tous les dieux…, marmonna le rôdeur en tournant le dos au berserker.

      Ayden pouffa avant de toussoter pour se reprendre.

      — Rogan, reste ici et attends Themis. Ne laisse pas les sangsues s’approcher du cadavre, elles pourraient le dessécher en un rien de temps. Je vais continuer à fouiller, avertit le rouquin mentalement afin que tout le monde puisse entendre.

      — Je vais continuer à fouiller, mais oui, mais oui… Espèce de maniaque, marmonna le rôdeur en essuyant ses lames pour ôter le sang.

      Le cliquetis de son armure sur la pierre accompagna les chuchotements de son ami dont la voix disparut à mesure qu’Ayden s’engouffrait dans le souterrain. La grotte, naturelle au début, avait ensuite été agrandie par les bêtes qui en avaient pris possession. L’endroit avait été creusé par les griffes puissantes, laissant des sillons que le temps avait amoindris sans parvenir à les faire effacer. Mais plus il s’enfonçait, plus le tunnel décroissait et après de longs instants, Ayden finit enfin par s’arrêter.

      Ce n’était pas uniquement à cause du chemin qui se terminait dans le nid, mais aussi parce que son regard restait rivé sur ce qu’il y avait au centre de ce nid. Souffle retenu, il observa silencieusement la surface doucement brillante, les écailles lisses à l’œil nu. Là. Un œuf. Un œuf de dragon.

      Le seigneur de Roch les avait engagés pour traquer et rapporter cette légende. Malgré son âge avancé, il avait continué à dilapider la fortune des Roch au cours des dernières décennies dans sa quête de l’immortalité, ignorant les moqueries de la cour du roi et attirant l’ire de ses sujets. Infructueuses avaient été ses tentatives jusque-là et à l’aube d’un autre conflit avec une contrée voisine, il avait lancé une nouvelle campagne afin de recruter des mercenaires non pas pour soutenir Sa Majesté, mais pour trouver ce trésor fantastique. Les dragons se faisaient de plus en plus rares, discrets, leur espèce lentement décimée par les Hommes et leur nature féroce qui rendait les accouplements difficiles.

      Silencieux, Ayden finit par s’approcher du nid. La pierre avait été aplanie, le sol couvert de divers os et branchages écrasés par le poids des créatures au fil du temps. Et lorsqu’il fut devant l’œuf, il posa un genou à terre, son épée à deux mains penchant de côté dans son dos.

      Il avait raison.

      Les écailles étaient si fines que la surface paraissait presque lisse. Il faisait plus ou moins la taille de la moitié de son tibia et cependant, habillé de cette discrète lueur bleuâtre, il semblait éminemment délicat. Et il ne put expliquer ce qui le saisit et lui noua la gorge. C’était comme s’il retrouvait quelque chose qu’il avait perdu, sans jamais l’avoir pourtant eu. Et durant un instant, Ayden resta ainsi, à observer cet œuf.

      — Ayden ? Ayden ! retentit soudain la voix de Themis dans son esprit.

      Il cligna des yeux subitement, sortant de sa transe, et détourna le regard de cet objet légendaire.

      — Themis ?

      — Cela fait depuis tout à l’heure que l’on te parle et tu ne réponds pas. Tout va bien ?

      — Oui… Oui, tout va bien.

      Sans vraiment savoir pourquoi, Ayden se tut tandis qu’il fixait à nouveau cet œuf.

      — Je l’ai trouvé…, murmura-t-il.

      Le silence régna dans son esprit. Puis des cris de joie éclatèrent.

      — Riches ! Nous allons être riches !

      — Ne bouge pas, nous arrivons avec le sac, répondit aussitôt Themis.

      Ayden ne put s’empêcher de sourire : malgré la retenue du mage, il pouvait sentir le soulagement et la jubilation de ce dernier à travers leur lien. Même Grodyr et la discrète Monica semblaient heureux malgré leur silence et durant un moment, il se laissa porter par la satisfaction du travail bien accompli. Ainsi que par la voix de Rogan qui ne cessait de louer la beauté des femmes de la cour.

      Il ne fallut que quelques instants à Themis et Rogan pour le rejoindre et, comme lui, les deux hommes restèrent ébahis à la vue de l’œuf. Ayden s’écarta même pour leur permettre de mieux l’admirer et, devant leur expression saisie, l’allégresse finit par le gagner et chasser l’étrange sentiment qui l’habitait depuis tout à l’heure. Il rit tout bas, la grotte répercutant sa voix grave de manière flatteuse.

      — Magnifique…, souffla Themis.

      Le rouquin sourit, pris d’une fierté incongrue, et tourna la tête vers l’œuf. Il acquiesça, récupérant le sac jeté à son attention.

      — Magnifique, oui.

      Et il posa la main sur l’objet de leur quête. L’instant d’après, une lumière aveuglante éclata dans la caverne, l’inondant entièrement, émanant de l’œuf sous sa paume. Ayden entendit Themis et Rogan hurler son nom puis…

      Ce fut le noir complet.