TOUT ÉTAIT calme autour de lui. Mais ce n’était pas un de ces silences pesant ou vide. C’était une paix étrangement agréable. Peut-être était-ce ce qui finit par le réveiller : l’incongruité de la situation. Ayden gronda sourdement et roula sur le ventre pour pouvoir se mettre à genoux, se frottant le visage avec force pour tenter de chasser les cloches qui sonnaient encore dans sa tête. Il se sentait lourd et douloureux, comme écrasé par un poids invisible.
— Themis, Rogan, est-ce que vous allez bien ?
Sa voix était étonnamment éraillée et il se racla la gorge plusieurs fois pour l’éclaircir.
— Themis ? Rogan ?
Ayden ouvrit les yeux et… Il se pétrifia. Devant lui se dressait une forêt de végétaux qu’il ne connaissait pas. Et il était assis par terre, non pas sur de la pierre ou des os, mais sur de l’herbe.
— Mais qu’est-ce que…, murmura-t-il, sidéré. Themis ? Ro’ ? Répondez, par tous les dieux !
Il bondit sur ses pieds, les yeux ronds, le cœur commençant à battre la chamade. Car peu importe à quel point il pouvait espérer, prier, il sentait dans son esprit que le lien mental qui l’unissait à ses camarades avait été brisé : il ne ressentait plus leur présence. Il n’y avait que lui, au milieu de cet inconnu, devant cette forêt de choses. Sa main se porta immédiatement dans son dos pour se refermer sur la poignée de son épée à deux mains et il la dégaina, la lame brillant sous la lumière lunaire. À côté de lui se trouvait l’œuf et le sac que lui avait jeté Themis avant… Quoi ?
Avant qu’il ne soit transporté ailleurs ?
Ayden se tourna aussitôt vers l’œuf pour poser la paume dessus. Mais rien ne se passa. Aucun éclat, aucun mouvement. Rien, si ce n’est la chaleur qu’il pouvait sentir sous ses doigts. Absolument rien. Et Ayden resta ainsi, sans bouger, le temps d’une éternité. Un doux vent s’éleva, le sortant de sa stupeur, et il leva le nez au firmament.
Il blêmit.
Il se passa la main sur la figure, plaquant furieusement ses cheveux en arrière dans son geste tandis qu’il fixait le ciel, entre horreur et choc. Aucune des étoiles qui brillaient ne lui était familière. Même la lune lui était étrangère tant elle était anormalement grande et lumineuse. Son arme glissa d’entre ses doigts, lentement, avant de tomber fatalement par terre.
Il ne reconnaissait rien.
~*~
Ayden n’avait aucune idée du temps qu’il avait passé à rester ainsi, face à cette forêt. Son esprit patinait sans jamais parvenir à découvrir une réponse satisfaisante tandis qu’il fixait ces arbres – plantes ? – d’un air perdu.
La lune était toujours aussi brillante au-dessus de lui, éternellement immense et ronde. Elle semblait vouloir le réconforter de sa présence majestueuse alors que lui ne la trouvait que plus incongrue à mesure qu’il la voyait. Mais plus que tout, il y avait une sorte d’énergie dans ce monde. C’était comme si tout autour de lui pulsait d’une espèce de vie, l’entourant d’un murmure sourd. Ce n’était pas désagréable ; ce n’était pas agréable.
Il ne savait simplement pas quoi en penser.
Après un temps incalculable à rester ici, il finit par se reprendre et se redressa. Son épée à deux mains brillait encore de cette noire lumière, et il pouvait entendre son arme susurrer sa joie dans son esprit.
Peu importe à quel point autrui pouvait la trouver effrayante ou dérangeante, Ayden tirait de sa présence un soulagement certain. Elle, au moins, était toujours là avec lui. Il n’était pas complètement seul. Et il la ramassa pour faire face à ce bois. L’œuf avait été caché dans le sac et il avait dû se défaire de son armure, les pièces brisées le gênant à mesure que le temps passait en appuyant sur ses blessures. Ne lui restaient que sa chemise, brûlée par endroit, et son pantalon de toile dont il avait déchiré un bout de jambe afin de bander sa paume entaillée.
Durant tout ce temps, les environs étaient demeurés calmes et paisibles. Aucune route n’était visible et il était apparu au bord d’une falaise dont la hauteur ne lui permettait pas de distinguer ce qu’il y avait plus bas. En d’autres termes : il n’avait d’autres choix que de s’engouffrer dans cette forêt. Mais hors de question d’y aller sans découvrir de quoi elle était faite et d’un mouvement rapide, il fendit plusieurs troncs de son arme avant de refaire un geste pour trancher encore une fois.
Les bois incroyablement longs furent découpés en deux en un rien de temps et tombèrent au sol dans un son sourd tandis qu’il s’approchait pour les examiner. Ronds, les troncs d’un vert soutenu étaient d’un diamètre régulier d’un bout à l’autre et étaient creux en leur cœur avec à chaque égale distance une sorte de nœud. Les feuilles étaient étirées et fines, terminant en une pointe et formant des bouquets ici et là. Elles étaient dures, presque tranchantes et immangeables. Il avait même léché un bout de bois pour essayer, mais sans rien découvrir de plus, il avait fini par laisser tomber et était allé chercher ses affaires. Armure sur une épaule, sac sur l’autre et épée bien en main, Ayden s’était enfoncé dans la forêt sans un regard en arrière, marchant droit devant lui sans faire de détours, le pas ferme.
Peu importe à quel point il était perdu, il était aussi seul et ne pouvait compter que sur lui-même en cet instant. L’inquiétude avait beau gronder dans son cœur, il ne pouvait se permettre de rester apathique et ne rien faire. La première chose dont il avait besoin était de trouver de l’eau, de quoi manger si possible et de panser ses blessures. Ensuite, il pourrait réfléchir à un moyen de rentrer auprès des siens. Et fort de cette conviction, il pressa le pas.
Il lui fallut un demi-cadran avant de parvenir enfin quelque part, l’endroit inhabité et pourtant étonnamment bien entretenu. Après un moment d’observation, Ayden avait fini par approcher l’édifice érigé au milieu de cette forêt. Le bâtiment était simple, en bois sombre, les nombreuses colonnes de part et d’autre formant un couloir sans portes, mais couvert. Le toit était déjà plus complexe, fait de plusieurs étages dont les coins s’achevaient à chaque fois en pointe. Et Ayden avait beau réfléchir, jamais n’avait-il vu ou entendu parler de ce genre d’architecture.
Prudent, il s’avança lentement au sein de l’édifice sans structure offrant de quoi se mettre à couvert, son épée au poing. Et il s’approcha précautionneusement du centre, le seul endroit fermé. Lorsqu’il fut enfin devant, il put détailler les portes sculptées finement. Elles étaient habillées sur la moitié haute d’arabesques qu’il ne connaissait pas, dépeignant une scène florale et d’étranges courbes, les parties creuses ne lui permettant pas de regarder dedans. Déjà entrouverts, il poussa les battants du bout de son arme maudite et haussa un sourcil avec surprise.
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