— N’avez-vous pas de nom de famille, jeune maître Ayden ? osa demander A-Hui d’un ton innocent.
Ses camarades lui firent de gros yeux, mais l’homme secoua la tête avec un sourire tranquille.
— Non, je n’ai pas de nom de famille. Là d’où je viens, seuls ceux descendant de bonne lignée ou parvenant à en intégrer une en possèdent et… « Jeune maître » ? s’amusa le rouquin.
— C’est normal ! C’est la moindre des politesses.
— Je vois. Pas de titre non plus, répliqua l’homme avec un sourire. Juste « Ayden ».
— Oh, s’étonna A-Hui en fronçant légèrement les sourcils. Est-ce la raison pour laquelle vous nommez votre père et votre contrée ?
— Oui.
Ayden eut un pâle sourire. Son expression se fit plus pensive.
— Ne vous en faites pas, je suis certain que notre chef de clan pourra vous aider, réagit A-Hui en voyant son regard.
Un son de gorge amusé échappa à Ayden qui offrit à Lu Dehui une tape affectueuse sur l’épaule. Même s’ils avaient pu s’expliquer brièvement, il ne leur avait pas raconté toute l’histoire dans les détails et avait préféré garder pour lui le fait que c’était un œuf de dragon qui était responsable de sa situation actuelle. Tout comme il n’avait pas tenté de les détromper sur un possible malentendu quant à ses origines d’autre monde. Simple prudence. Finalement, après réflexion, A-Hui avait décidé de l’inviter à rencontrer leur Grand Maître, le chef de clan, envers et contre l’avis d’A-Feng.
Lu Dehui était un jeune homme posé et amical. Son visage aux traits fins était sympathique et revêtait encore la douceur de l’enfance, toujours habité d’un sourire qui se voulait rassurant. Sa longue crinière noire était retenue en une haute queue de cheval qui lui battait presque la taille. Jamais Ayden n’avait-il vu de chevelure aussi soyeuse, et il était certain que les femmes de la cour auraient tué pour avoir pareille tignasse.
Même la frange légère qu’il portait semblait polie – oui, polie – en ne venant jamais gêner ses beaux yeux sombres. Lu Xiaofeng, lui, était un peu plus grand que son aîné et était bâti plus en force. Malgré sa tenue sans plis et ses cheveux parfaitement tirés en une queue de cheval basse, il se dégageait quelque chose de plus nerveux là où Lu Dehui était plus paisible. Ses traits étaient carrés, son visage plus volontaire, et son regard plus aiguisé. Le jeune homme était visiblement taciturne et bien moins formel que Lu Dehui, mais en dépit de sa mauvaise tête, il était curieux et suivait la conversation attentivement.
— Et donc, ce Qi… ? C’est ce que je ressens partout, là ?
— Oui, répondit A-Hui avec un sourire. Le Qi habite et forme tout, aussi bien le monde que nous-mêmes. Chacun d’entre nous en possède, de manière plus ou moins importante, et certains endroits sont naturellement pourvus d’un puissant Qi. Certains objets détiennent également du Qi, devenant de ce fait des artefacts.
— Par exemple… ?
A-Hui émit un son de gorge pensif avant qu’A-Feng ne claque la langue avec agacement.
— Votre arme absorbe le Qi, non ?
Ayden regarda son épée à deux mains par-dessus son épaule. Lu Xiaofeng leva les yeux au ciel.
— Elle absorbe l’énergie des créatures que je tue avec.
— Alors elle absorbe du Qi. Le Qi est énergie. Une énergie spirituelle. Les sentiments, la vie, la mort et même une simple existence, tout est énergie et donc, tout peut être imprégné. Votre arme a été forgée par une ambition suffisamment puissante pour l’en saturer, puis elle a été utilisée par des gens ayant un esprit non moins fort. Au fil du temps, elle a pu absorber tellement de force spirituelle, grâce à ses porteurs ou ceux qu’elle tuait, qu’elle a enfin développé une volonté qui lui est propre, continua A-Feng sous l’œil admiratif des trois plus jeune.
A-Hui ne put s’empêcher de sourire largement : A-Feng avait réussi à expliquer tout ceci sans avoir l’air de vouloir cracher sur l’autre. Ayden semblait aussi l’avoir remarqué.
— Jolie analyse, félicita-t-il d’un ton amusé.
A-Feng rougit subitement, embarrassé, et détourna le regard.
— N’importe quel imbécile pourrait deviner ça ! N’avez-vous jamais ça, là d’où vous venez !
Ayden eut un furieux rictus, dents serrées. Un jour, il allait craquer et passer la bouche de ce sale gosse à la brosse et au savon.
— A-t-elle un nom ? demanda A-Hui.
— Un nom ?
— Oui. Les armes possèdent des noms lorsqu’elles sont détenues par des guerriers. N’y en a-t-il pas chez vous, jeune maître Ayden ?
— Hm… Il y en a, oui, mais… Ce sont généralement des armes légendaires ou maîtrisées par des personnes ayant accompli des exploits.
Ayden fixa la route pensivement, tout à fait conscient des cinq paires d’yeux rivés sur lui. Les garçons attendaient impatiemment qu’il dise quelque chose et au bout d’un moment, le rouquin sourit et tourna la tête vers eux à nouveau.
— Pourquoi pas « Sans-Nom » ?
Les cinq jeunes se jetèrent un regard surpris.
— « Sans-Nom » ? demanda A-Feng, l’air incertain.
— « Sans-Nom ». Je ne sais pas qui l’a forgée, mais elle m’a été transmise après avoir été portée par mon père. Puisque son créateur est inconnu, tout comme les autres possesseurs, pourquoi pas « Sans-Nom ».
Les cinq jeunes échangèrent un nouveau regard incrédule : à leurs yeux, une appellation pour une arme était tout aussi importante qu’un nom pour une personne. Pour qu’une lame soit désignée ainsi, ils en étaient quelque peu désolés. Mais c’était parce qu’ils ne pouvaient pas entendre le murmure réjoui de Sans-Nom aux oreilles d’Ayden tandis qu’elle s’en délectait. Sans-Nom était parfait pour une épée aux origines inconnues !
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