LA CITÉ dans la vallée était ridicule à côté de Beiming. Cette dernière était bien trois à quatre fois plus grande et encore plus animée. Il leur avait fallu trois jours de marche avant de parvenir à la rejoindre et, en arrivant aux abords de la ville, ils avaient dû envoyer deux jeunes acheter quelques affaires pour Ayden. Si le groupe avait appris à connaître le berserker et à se faire à son apparence, l’homme restait trop remarquable dans leur paysage.
A-Hui avait dû passer de longs moments à rassurer un paysan qui avait croisé leur chemin, lui affirmant que le rouquin n’était pas un démon et qu’ils n’avaient pas été faits prisonniers par celui-ci. Ce ne fut que lorsqu’A-Feng entra dans la discussion et en prit le contrôle que les choses finirent par se calmer. Autant dire qu’aucun d’entre eux ne désirait créer la panique en entrant ainsi dans la cité avec Ayden.
Ce dernier commençait en outre à se familiariser à l’architecture tout en bois de cette contrée. Au milieu des nombreuses étales à ciel ouvert, il y avait quantité d’échoppes de toute sorte vendant aussi bien des vêtements que des herbes. Ayden s’était d’ailleurs fait une raison, tandis que son regard croisait le panneau sculpté de caractères bien particuliers : il pouvait comprendre les gens d’ici, lire leur écriture, sans n’avoir jamais vécu dans cet endroit. L’inconnu était devenu un ami familier ces derniers jours, mais, la vraie différence, c’était le réconfort. Le soulagement de reconnaître certains éléments comme les ânes ou les buffles qu’il apercevait passer.
Oui. À ce stade, il se réjouissait même de voir des poules.
Certains quidams le détaillaient curieusement, intrigués en remarquant cette grande silhouette encapuchonnée au milieu des jeunes disciples du clan Beiming Lu. Quelques personnes plus audacieuses osaient approcher A-Hui pour tenter de glaner quelques informations sous couvert de politesses, mais le jeune homme, rodé dans l’art de la discussion, parvenait toujours à contourner les questions de quelques courtoisies bien placées. Sans réponses et sans bonnes raisons afin de retenir les apprentis du clan Beiming Lu, les gens ne pouvaient que les regarder s’en aller.
Il fallut plusieurs heures de marches afin de réussir à traverser toute la cité et lorsqu’ils arrivèrent à l’autre bout, l’après-midi était déjà bien entamé. Ils pénétrèrent une nouvelle forêt pour remonter le long du sentier pour pouvoir rejoindre le Palais de Jade, à quelques heures de route encore. Ayden avait d’ailleurs enfin appris le nom de ces arbres longilignes et verts : des bambous.
Ces derniers étaient extrêmement pratiques : consommables au stade de pousse, ils pouvaient servir à toute sorte de fabrication après avoir grandi, tels que des gourdes, des flûtes ou durant des constructions en tant qu’échafaudages. Le bambou était droit, mais souple, ses racines puissantes profondément ancrées dans le sol tandis qu’il s’épanouissait en direction du ciel. Ses feuilles étaient tranchantes, mais elles participaient au cycle de la nature en venant nourrir la terre lorsqu’elles tombaient. C’était le symbole de la cité et, par extension, l’emblème du clan Beiming Lu.
Lorsqu’ils arrivèrent enfin au sommet de la montagne, dominant la forêt de bambous, Ayden s’arrêta pour se retourner, laissant le vent défaire sa capuche pour libérer sa chevelure de feu. À l’horizon, le soleil se couchait, nimbant le ciel de couleurs chatoyantes et flamboyantes. La ville de Beiming s’illuminait peu à peu à mesure que la pénombre s’installait et au cœur de cette verte vallée, elle scintillait toujours plus fort.
— Allons-y, notre chef de clan nous attend, l’appela A-Feng après quelques instants.
— Hm.
Ayden se détourna de la scène pour suivre les plus jeunes, le sentier s’élargissant continuellement, jusqu’à dévoiler enfin le Palais de Jade. Le domaine était en fait logé au sein d’une montagne, les flancs de roche constituant une barrière naturelle autour en n’offrant qu’une seule entrée. L’endroit était grand, formé de plusieurs pavillons de bois. Le bambou était omniprésent, permettant aussi bien de masquer certains bâtiments ou de séparer les zones.
Sans plus de capuche pour le préserver des regards, Ayden était une véritable cible mouvante et les jeunes en train de s’entraîner ou étudier tournaient tous leur attention vers lui à son arrivée. Et malgré leurs tentatives pour rester discrets, le guerrier pouvait entendre les chuchotements et autres murmures à son passage. Lorsqu’ils parvinrent au pavillon principal, c’était simple : tout le monde devait certainement être au courant de sa présence.
Devant le bâtiment se tenait un homme à l’air sévère, mais dont les traits s’adoucirent aussitôt à la vue de ses disciples qui le saluèrent respectueusement.
— Lu Lisong Shifu, dirent d’une même voix les jeunes.
Ayden leur accorda un bref regard puis les imita en posant sa main dans sa paume avant de s’incliner. Et puisqu’il ne savait pas comment il devait appeler cet homme, il préféra garder le silence.
Lu Lisong était un individu à la stature élégante, ses gestes toujours composés. Habillé de la robe typique du clan, il portait ses cheveux noirs et longs en partie détachés, retenus par une moitié haute en une basse queue de cheval. En dépit de ses traits, Ayden était incapable d’estimer son âge. Il se laissa étudier silencieusement, ne bronchant jamais sous le regard pénétrant qui le balayait malgré l’impression dérangeante. Ce ne fut qu’au bout de quelques instants que l’homme tourna les talons.
— Discutons à l’intérieur. Lu Bao, Lu Chen, restez avec nous. Les autres, allez-vous laver puis manger.
— Oui, Shifu !
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