Ayden avait bondi sur ses pieds, manquant de renverser la nourriture, et en deux, trois larges foulées, il était à côté du cultivateur, les yeux ronds : ce dernier vagabondait avec une plaie ouverte sur le flanc comme si de rien n’était ! La robe blanche avait absorbé le sang, teintant grossièrement le tissu. Ayden n’avait remarqué la blessure que lorsque l’autre s’était retourné pour s’en aller.
— Assieds-toi et reste tranquille. Qu’est-ce qu’il te prend d’errer comme ça ? Tu cherches la mort ? Votre Grand Maître Zhongyou m’a laissé des soins, j’arrive. Et enlève tes vêtements.
L’homme fronça légèrement les sourcils.
Mais Ayden était déjà reparti dans son pavillon prendre le nécessaire à peine ses mots lancés au cultivateur et, en moins de deux, il fut de retour. L’inconnu avait tout juste commencé à se déshabiller et Ayden aperçut la peau blanche se découvrir peu à peu sous ses yeux. Il en resta muet de stupeur. Ce n’était pas seulement le flanc, mais des rosaces bleu-violet qui maquillaient le dos de l’homme. Comme s’il avait été battu.
Son regard s’assombrit.
Silencieux, Ayden pénétra dans le pavillon et poussa la porte pour la refermer. Il saisit la bougie tout en se rapprochant et, sans un mot, il s’agenouilla derrière l’autre. Tirant sur les vêtements en partie défaits pour découvrir complètement la taille du cultivateur, il parcourut des yeux les fleurs bleuâtres. L’inconnu ne bronchait même pas, comme si tout était absolument normal, et le rouquin fronça les sourcils avant de commencer à nettoyer les blessures pour pouvoir ensuite appliquer le baume. Sous ses doigts brûlants, la peau pâle lui paraissait presque fraîche en comparaison.
~*~
Le silence dans le pavillon n’était brisé que par les froissements de tissus. Le cultivateur ne laissait pas un seul son franchir ses lèvres alors qu’Ayden avait passé les dernières minutes à frotter le baume puis à le bander. Quand le pot fut refermé, le léger tintement sonna comme la fin de cet interlude.
Ayden recula tandis que l’autre remontait ses robes sur ses épaules. Il se tourna vers lui après avoir attaché ses vêtements et joignit sa main dans sa paume pour s’incliner. Enfin. Il l’aurait souhaité, mais c’était sans compter Ayden qui lui avait saisi le bras pour le redresser et l’empêcher de continuer. Ce fut là que le rouquin remarqua ce détail.
Il avait cru qu’ils étaient noirs, mais non. Les iris étaient d’un brun sombre piquetés d’or au centre, flattant les pupilles de leur lumière.
— C’est bon, pas besoin.
Cette fois, il avait vu le sourcil du cultivateur tressauter et Ayden ne put retenir un sourire d’étirer ses lèvres : il réagissait enfin, et c’était seulement pour une histoire de code de conduite ? Cet homme était incroyable.
— Je te laisse les affaires ici, continua Ayden en se redressant. N’oublie pas de changer les bandages.
Et tandis qu’il allait partir, la voix de l’autre retentit.
— Merci. Pour votre aide.
Si Ayden possédait une voix chaude, grave et chantante, la sienne était claire, posée et harmonieuse semblable à une douce brise. Le rouquin se retourna pour lui faire face et, après un battement de cœur à le détailler, lui décocha un sourire en coin.
— J’ai failli croire que tu étais muet.
L’autre sembla se renfrogner légèrement. Même ça, il parvenait à le faire avec grâce. Les lèvres du guerrier s’étirèrent un peu plus.
— Ayden. Mon prénom.
Cette fois, il ne l’empêcha pas de s’incliner.
— Guan Yi, nom de courtoisie Lu Yuntu, se présenta enfin le cultivateur.
— Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Ayden en se rasseyant.
Lu Yuntu fronça légèrement les sourcils, mais le rouquin continua, sans gêne et familier alors qu’il venait à peine de le rencontrer :
— A-Hui m’a expliqué que vos prénoms avaient toujours une signification. Le sien s’écrit avec les caractères de « vertueux » et de « splendeur », c’est ça ? Et le tien ?
À nouveau, Lu Yuntu sembla hésiter un peu avant de finalement se redresser. Il rejoignit sa table d’écriture et lorsqu’Ayden le vit s’y installer, il le suivit pour se mettre face à lui. Le temps de préparer le nécessaire en choisissant consciencieusement son pinceau, Lu Yuntu en trempa délicatement la pointe et commença à rédiger. C’était la première fois qu’il observait quelqu’un calligraphier devant lui et Ayden examina attentivement ses gestes tandis que le papier se noircissait de traits. Il n’était pas un connaisseur, mais il était certain de pouvoir affirmer que le cultivateur avait une belle calligraphie. Lu Yuntu tourna la feuille vers lui lorsqu’il termina et rangea soigneusement son outil.
— Le caractère « Nuage », dit-il en indiquant le premier ensemble. Et le caractère « Peindre ».
Ayden haussa un sourcil, l’air charmé, et prit le parchemin pour étudier les symboles complexes qui formaient le prénom du cultivateur. La calligraphie et l’interprétation étaient toutes deux magnifiques et Ayden ne put s’empêcher de sourire. Il posa le papier après un moment et leva son regard sur Lu Yuntu.
— Et comment est-ce que tu écrirais « Ayden » ?
La question semblait compliquée et Lu Yuntu réfléchit un instant avant de saisir son pinceau. Ayden l’aperçut hésiter, la pointe à un cheveu de la feuille. Puis il traça le premier trait. Et les uns après les autres, Ayden vit son prénom apparaître sous ses yeux dans cette langue qu’il comprenait sans jamais savoir pourquoi. Lorsque Lu Yuntu termina, il prit le document de lui-même sans attendre pour pouvoir regarder, se faisant l’impression d’être un enfant guettant impatiemment sa pâte de fruits. Il siffla, épaté.
— C’est beau. Vraiment.
Il n’avait aucune idée des caractères qui avaient été utilisés, mais le résultat lui plaisait et il n’avait pas besoin de plus. Pliant soigneusement la feuille, Ayden leva les yeux sur l’autre et lui offrit un sourire discret, mais sincère.
— Merci. Je garde ça en paiement pour le coup de main, dit-il en montrant le papier avant de se redresser. N’oublie pas de changer tes bandages. Si tu as besoin d’aide, tu sais où me trouver.
Lu Yuntu n’eut même pas le temps de réagir qu’Ayden était déjà sorti sur un « Bonne nuit ! » lancé d’une grande voix avenante avant que la porte ne ferme dans un claquement qui fit trembler le battant. Il resta là, assis devant sa table d’écriture, complètement abasourdi après le passage de la tornade écarlate. Ayden était parti de manière aussi turbulente qu’il était arrivé. Le chef de clan Lu Lisong avait raison : le rouquin était décidément un étrange personnage.
Tout était subitement silencieux.
- Le nom de Lu Yuntu s'écrit : "綠雲圖" en chinois traditionel, "绿云图" en chinois simplifié.
Son prénom de naissance "Yi" signifie "Ferme/Déterminé".
- Lu Yuntu a écrit le nom d'Ayden "艾登" et cela signifie "Vert/Vert pâle/Armoise chinoise/etc" et "Monter/Grimper/Réussir l'examen impérial/etc.".
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