DEUX JOURS qu’Ayden était là, au Palais de Jade. Il avait commencé à s’y balader le lendemain de son arrivée et les apprenants avaient observé avec stupeur l’homme errer pieds nus et torse nu, la robe blanche battant ses jambes à chaque pas. Les jeunes – filles comme garçons – étaient passés par toutes les couleurs possibles avant qu’A-Hui ne l’aborde pour lui expliquer que, pudeur oblige, il ne pouvait pas vadrouiller avec seulement une robe sur les épaules. Surtout lorsqu’elle n’était pas fermée.
Que d’histoires pour un torse d’homme ! Heureusement qu’il n’était pas une femme ! Certains jeunes auraient tourné de l’œil. Et peut-être même les plus vieux.
Après négociations, A-Feng et A-Hui étaient allés lui acheter quelques tenues et Ayden pouvait enfin sortir ce matin sans risquer de mettre mal à l’aise qui que ce soit. Et puisqu’il refusait obstinément de porter un dessous de robe de crainte de mourir de chaud, les deux jeunes avaient convenu de lui prendre du noir, évitant ainsi que le tissu ne soit trop transparent.
Sans-Nom accroché dans son dos, Ayden traversa la cour pour monter sur le côté gauche de la montagne. La majorité des jeunes étaient en train de cuivre leurs cours dans le grand pavillon, mais Ayden avaient remarqué un autre groupe partir et, curieux, il avait découvert hier qu’il s’agissait d’une des zones d’entraînement.
Sans escaliers pour pouvoir rejoindre cette zone du Palais de Jade, un ne pouvait compter que sur son agilité et la maîtrise autant spirituelle que physique de son Qi. Arrivé au pied de la falaise, Ayden leva la tête. Cette partie devait faire dix ou douze mètres, à vue d’œil. Quelques jeunes bondissaient ici et là, prenant appui sur une excroissance rocheuse afin de sauter plus loin.
— Par la Mère… On dirait vraiment que ces gamins volent, soupira le rouquin avec un sourire.
Mais son regard accrocha une autre silhouette plus à l’écart et, tournant son attention vers elle, il reconnut Lu Yuntu. Ce dernier se trouvait dans un recoin plus calme, délaissé par les disciples : la falaise était trop haute pour eux. Et lorsqu’Ayden le vit prendre son élan, il écarquilla les yeux.
Dans une enjambée formidable, l’homme posa le pied sur une première excroissance avant de rebondir aussitôt et en l’espace de trois sauts, il était arrivé au sommet. Ce n’était pas seulement la puissance de ses voltiges qui avait stupéfait Ayden : c’était surtout la légèreté de ses mouvements. Jamais la roche n’avait-elle tremblé ou s’était effrité sous ses pas, comme si le cultivateur ne pas plus lourd qu’une plume. Et Ayden rit nerveusement, masquant son visage derrière une main tout en secouant la tête avec incrédulité.
— Non… Celui-là vole.
Comment est-ce qu’il parvenait encore à être surpris de quoique ce soit ? Vraiment. Ça en devenait ridicule. Se frottant la figure vigoureusement pour se sortir de son ébahissement, il leva les yeux sur la falaise avec une nouvelle flamme. Il ne pouvait pas bondir comme eux le faisaient, non pas pour une question de corpulence, mais parce qu’il n’avait jamais cultivé ce Qi ou ces techniques. Ce qui ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas grimper là-haut et après s’être frictionné les mains, il s’attaqua enfin à la paroi. Et il fut bienheureux de ne pas porter son armure.
L’exercice était difficile, rendu ardu par le manque d’habitude et pourtant il s’entêtait à escalader, choisissant ses prises avec soin afin de ne pas glisser. Sans en avoir conscience, son ascension avait fini par attirer l’attention et au bout d’un moment…
— Vous y êtes presque, jeune maître Ayden ! Allez !
Plusieurs autres voix rejoignirent la première et les encouragements éclatèrent à ses oreilles. Ayden leva la tête pour voir avec surprise A-Feng le regarder d’en-haut, penché sur le bord de la falaise. Il avait fait plus de la moitié du chemin sans même s’en rendre compte, concentré qu’il était sur la tâche.
— Dégage de là gamin, sinon tu vas tomber !
— Qui est-ce que vous traitez de gamin ?!
Ayden sourit et saisit un autre creux pour se hisser. Au même instant, le vent souffla plus fort, ses cheveux claquant contre son dos en tous sens en même temps que sa robe battait ses jambes. Mais ce furent surtout les cris qui le pétrifièrent. Levant la tête, il eut le temps de voir A-Feng tenter de rattraper l’un de ses camarades, ses doigts se fermant dans le vide alors que le jeune basculait. Tout se passa en un éclair.
Saisissant son épée à deux mains d’une seule poigne, Ayden poussa sur ses pieds et sa main libre pour se jeter de côté alors qu’il dégainait Sans-Nom. Sa main s’abattit sur le bras tendu, sa prise féroce. Celle armée planta la lame maudite dans la roche, les éclats minéraux bondissant contre lui.
Ils glissèrent, leurs poids combinés et la violence du choc les tirant dans le vide, avant que tout ne se stabilise enfin. Le gosse était blême, larmes au coin des yeux, mais tenait bon malgré la douleur de la collision qui avait dû abîmer ses muscles et disloquer son épaule. Ayden émit un grondement sourd, entre avertissement et effort.
— Reste tranquille, entendu ? siffla le rouquin entre ses dents.
Le jeune acquiesça vigoureusement et Ayden grogna à nouveau en encaissant les secousses. Dans leur position, la moindre vibration était perceptible et pesait sur sa prise bancale. Il ne pouvait pas non plus le lâcher, certain que le gamin se briserait la nuque ou les jambes s’il chutait de cette hauteur.
Mais toute recherche de solutions cessa aussitôt que son regard croisa la robe blanche du clan. Lu Yuntu arrivait, monté sur son épée. Il volait. Il volait vraiment. Son cœur loupa un battement. Le cultivateur se positionna juste sous le garçon et, lorsqu’il tendit les bras, Ayden daigna desserrer le poing pour le laisser récupérer le jeune. Son regard croisa celui de Lu Yuntu avant que ce dernier ne commence à descendre avec le disciple.
Libéré d’un poids, Ayden se retourna pour assurer sa prise sur la roche avant de détacher son arme et la ranger dans son dos. Il grimpa avec une hargne renouvelée, le cœur battant la chamade, et lorsque atteignit enfin le sommet, tous les garçons l’attendaient avec de grands yeux. Ayden se redressa, le souffle court, une fine sueur recouvrant sa peau. Les jeunes éclatèrent de joie.
— Woh ! s’exclama Ayden avec un mouvement de recul.
Une paume se pressa dans son dos, l’empêchant de tomber, et le silence se fit alors qu’il se retournait. Lu Yuntu était là. Il descendit de son épée d’un pas calme et, tendant la main, son arme lui revint aussitôt. Il la rengaina comme si de rien n’était. L’instant d’après, il était attrapé aux épaules par Ayden.
— Tu voles !
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