Les jeunes étaient bouche bée devant tant de familiarité. Lu Yuntu fronça légèrement les sourcils.
— Par tous les dieux, tu peux voler ! Je ne rêve pas ! C’est… C’est… C’est complètement incroyable ! Comment est-ce possible ? C’est aussi grâce à la cultivation, c’est ça ?
Lu Yuntu n’avait même pas eu le temps de réagir ou de répondre à une seule de ses questions qu’il en était bombardé d’autres, mais il hocha la tête avec lenteur. Mais hocher la tête à quoi ?
— Est-ce que tout le monde peut le faire ? Apprends-moi ! En fait, non. Montre-moi ! Maintenant ! Il faut que je sente ça ! Tu m’expliqueras après !
— Heu… Jeune maître Ayden…, tenta vainement A-Feng.
— Allons-y !
Et Ayden saisit Lu Yuntu par le bras pour le tirer à l’écart et les deux disparurent plus loin sous le regard sidéré des disciples. Ces derniers s’échangèrent un coup d’œil et frissonnèrent de concert, retournant rapidement à leur entraînement. Silencieusement, ils s’étaient tous mis d’accord pour ne pas trop réfléchir à l’attitude totalement déplacée du rouquin face au jeune maître, considéré comme le trésor de Beiming Lu… Si le Grand Maître Lu Lisong l’apprenait, il allait étriper le jeune maître Ayden.
~*~
Ils s’étaient suffisamment éloignés, l’endroit plus spacieux qu’il ne le croyait vu d’en bas. Relâchant Lu Yuntu, Ayden se retourna aussitôt pour lui faire face.
— On peut y aller !
Lu Yuntu lui jeta un regard en coin, mais sortit son épée. Il le lança face à eux en formant rapidement un sceau de l’autre main puis s’écarta d’Ayden pour monter debout sur l’épée. Quand bien même se tenait-il sur la pointe de cette dernière, l’arme ne bronchait pas. Lui-même était en parfait équilibre, un pied devant l’autre. Ayden observa un instant la posture avant de s’approcher.
Il s’installa derrière Lu Yuntu, l’imitant. Mais même s’il n’avait pas à rougir de sa stabilité, ce n’était clairement pas comparable et au bout du compte, il saisit le cultivateur par la taille pour se soutenir. Lu Yuntu fit d’abord quelques essais à un niveau raisonnable, laissant Ayden s’habituer avant de prendre toujours un peu plus d’altitude. Les bras d’Ayden étaient fermement passés autour de la taille du cultivateur et son pied enfin stable après ces quelques tours ; Lu Yuntu les fit voler plus haut et, alors que le sol s’éloignait de plusieurs mètres, il entendit le rouquin haleter derrière lui et la poigne sur ses hanches se renforcer.
— Jeune maître Ayden ?
Aucune réponse. Lu Yuntu tourna la tête pour le voir par-dessus son épaule et resta simplement muet. Ayden n’avait même pas dû l’entendre, le regard rivé sur l’immensité du paysage qui s’étalait devant lui, ses yeux brillant d’émotions.
Ayden pouvait apercevoir toute la forêt de bambous autour du Palais de Jade et la barrière rocheuse cernant la moitié du lieu. Des arbres créaient des zones d’ombres discrètes, protégeant les gens d’une attention malvenue tandis que d’autres endroits étaient exposés comme le terrain où se trouvaient A-Feng et ses camarades. Ici et là se découvraient plusieurs points d’eau, en partie masqués.
Mais le plus spectaculaire était ce lac, au milieu de la montagne. Son eau était d’une clarté jamais vue, à tel point qu’il pouvait apercevoir le fond. Et sous le soleil, sans rien pour briser le panorama, l’onde brillait de mille feux. Et là, plus loin, il pouvait observer la cité de Beiming, le fleuve au Nord et plus encore. Toujours plus. Le paysage était époustouflant et pour une raison qu’il ne comprenait pas, Ayden sentit son cœur l’étreindre. Ses bras se resserrèrent autour du cultivateur et il sourit péniblement. Ce n’était pas seulement de la joie ; ce n’était pas seulement du chagrin. C’était quelque chose entre deux, doux-amer.
— Merci, souffla-t-il contre les cheveux noirs.
Lu Yuntu détourna le regard et ne répondit pas. À cette hauteur, le vent soufflait plus fort et malgré ce dernier, l’épée était incroyablement stable alors que leurs robes claquaient furieusement contre leurs jambes. Ayden ferma les yeux et leva le nez des cheveux noirs devant lui et inspira profondément, comme s’il tentait d’absorber tout ce qu’il y avait autour de lui. Il expira avec lenteur.
A-Feng lui avait dit que certains endroits possédaient une énergie spirituelle plus puissante. En effet. Il pouvait maintenant le sentir. Cet endroit était nimbé d’une énergie singulière, pure et délicate. Elle semblait plus particulièrement concentrée dans les environs du lac et Ayden devinait que grâce à son exposition, l’eau qui s’y trouvait devait bénéficier des meilleures conditions.
En dépit de l’altitude et du vent, Ayden n’avait pas froid. Il émanait de lui une chaleur surprenante et Lu Yuntu pouvait la sentir irradier contre son dos. Il permit au rouquin d’admirer encore un instant le paysage avant de commencer à bouger, survolant la montagne tout en descendant peu à peu.
Le silence entre eux n’avait rien de pesant et à aucun moment Ayden ne tenta de briser ce dernier, son esprit trop absorbé par tout ce qu’il se passait, son regard accrochant parfois quelques longues mèches noires dansant au vent. Lorsqu’ils arrivèrent sur la terre ferme, ce fut avec suffisamment de douceur pour le laisser dans ce monde, là-haut. Ayden ne réagit pas tout de suite, tenant toujours Lu Yuntu, le souffle ample, tandis qu’il avait le nez levé au ciel.
Il lui fallut quelques instants pour descendre de son nuage et, seulement après, prit-il conscience qu’ils n’étaient plus en train de voler. Ayden démonta de l’épée tout en relâchant le cultivateur, ce dernier posant enfin pied à terre avant que son arme ne retourne d’elle-même dans son fourreau.
Ayden le fixa. Puis il éclata de rire sous le regard interdit de Lu Yuntu. Il s’esclaffa au point d’en avoir les larmes aux yeux, irrécupérable, et secoua la tête : il voyait l’inquiétude grandir dans le regard de Lu Yuntu et, après un moment, finit par réussir à se reprendre. Bien sûr, le cultivateur ne pouvait pas comprendre à quel point le simple fait que son épée se range seule dans son fourreau était juste… Complètement délirant.
— Merci, vraiment, dit-il à un Lu Yuntu totalement perdu. C’était incroyable. Je compte sur toi ô, grand maître, pour m’apprendre comment faire ça.
Et Ayden le salua proprement avant de prendre congé, laissant un Lu Yuntu parfaitement abasourdi derrière lui. Son esprit était encore là-haut, dans le ciel, une douce chaleur se répandant dans son cœur. Ce monde était réellement incroyable !
Les disciples avaient tous le nez par deçà le bord de la falaise, attentifs.
Lu Yuntu leva la tête pour les regarder et ils
fuirent retourner à leur entraînement.
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