Anastasiy pouvait sentir sa tête lui faire de nouveau mal. Une forte odeur de fruit avait envahi la pièce, lui donnant envie de vomir tant l’air était irrespirable. Il ne comprenait pas comment les autres occupants de la pièce faisaient pour rester concentrer sur cette lettre avec ce parfum.

“Veronica, peux-tu ouvrir la fenêtre je te prie.”

“Euh ? Bien sûr ! Avez-vous de nouveau des bouffées de chaleur, jeune maître ?” Demanda le valet en ouvrant la fenêtre la plus proche d’Anastasiy.

“Je suis le seul à sentir cette odeur ?”

Cette question eut pour effet d’attirer l’attention de tout le monde sur lui, le regardant sans comprendre.

“De quoi parles-tu Stacie ?” Questionna Ewald, les sourcils froncés.

“Je ne sens rien de particulier, hormis l’odeur du feu dans la cuisine,” répondit Serafim, qui avait un excellent odorat pour les sources de chaleur.

“Personne ne sent ce parfum de fruits ? On dirait un mélange de fraises, de pommes et de kroseil.”

“Un parfum de-! Calogero ! Amène-moi un bocal ! Quelque chose qui ferme ! Vite !” Ordonna Ewald. “Veronica, ouvre toutes les fenêtres ! Kasey ! Va chercher Jason et ramenez les produits de l’étagère M7 !”

Ni une, ni deux, les valets obéirent, alors que tout le monde observait avec inquiétude le jeune homme, dont le regard se faisait de plus en plus assassin. Lorsque Calogero revint avec un bocal, Ewald jeta violemment l’enveloppe dedans, avant de sceller le contenant. Jason et Kasey arrivèrent peu après, un plateau de tasses dans les mains du valet, qui les distribua à tous. Pendant ce temps, le vieux médecin se dirigea vers Anastasiy, une fiole à la couleur suspecte entre les mains.

“Je suis désolé, jeune maître, mais je vais devoir vous demander de boire le contenu, en entier.”

“Je préfère le thé.”

“Sans aucun doute, mais pour votre bien, ce sera la fiole.”

“Peut-être qu'une explication me rendra plus enclin à coopérer sur cette affirmation.”

“Ou une pâtisserie ?” Proposa Veronica avec un grand sourire, une assiette de sucrerie dans les mains.

Jetant un regard mauvais à son valet, Anastasiy accepta la potion, avant de la boire d’une traite, ignorant le regard inquiet de sa famille, qui voyageait entre lui et Ewald. Immédiatement après, il saisit l’assiette, engloutissant ce qui se trouvait dessus pour se débarrasser du goût immonde dans sa bouche.

“Alors ? Qu’est-ce que c’était comme poison ?” Demanda-t-il en acceptant le verre d’eau que lui tendit Veronica.

“Un poison ne m’aurait pas fait réagir comme ça, Stacie,” répondit Ewald, le regard toujours braqué sur le pot, cette même lueur assassine présente. “Cependant, je ne suis pas entièrement sûr et je préfère conduire quelques tests avant de donner une réponse définitive. Surtout à cause des têtes brûlées."

Ignorant les cris outragés de Serafim, Anastasiy chercha dans sa mémoire si quelque chose pouvait correspondre au parfum qu’il avait senti. Il avait passé toute sa convalescence à lire les livres qui composaient sa bibliothèque, à réapprendre le monde qui l’entourait. Bien sûr, il était loin de tout savoir, mais en tant que noble, il se devait de connaître un certain nombre de poisons. Cependant, le mélange de parfum ne lui disait rien, malgré la présence de kroseil, un étrange fruit qui poussait sur les pommiers. Sans avertissement, il fut pris d’un mal de tête, alors qu’un paragraphe lui revenait en mémoire.

“C’est le kroseil. C’est à cause de ce fruit que tu n’es pas sûr.”

“... Oui. Mais… Stacie… d’où tu tiens ce genre d’information ?” Demanda Ewald.

Les informations sur l’usage de certaines plantes étaient restreintes, réserver seulement aux cercles magiques. Le kroseil en faisait partie, à cause de son effet sur la volonté des gens. De nombreuses recherches avaient été menées sur ce fruit. Il n’existait pas de remède qui libérait entièrement de l’effet du kroseil, le poison continuant d’exister même après la mort. Pendant ses années de formations à la Tour Magique de Draehion, Ewald avait aidé à traiter un groupe d'enfants sauvé d’un marchand d'esclaves, qui les avait drogué avec le kroseil.

Aujourd’hui encore, l’image de ces garçons sans volonté, le regard vide et obéissant aux moindres ordres restait gravé dans sa mémoire. Mais ce qui continuait de le hanter était un autre enfant, qui avait préféré se donner la mort plutôt que de vivre avec la peur d’obéir à un autre. Jason lui avait alors montré toute l’horreur du kroseil, en ordonnant au corps éclaté sur le sol de se relever. L’image de la chair sanglante, transpercé par ses propres os, se mouvant comme un pantin aux fils de fer continuait de lui revenir en mémoire.

De plus, l’yrkroseil, l’arbuste duquel était issu ce fruit, causait de nombreux empoisonnements chaque année. En effet, ce dernier ne parasitait que les pommiers, avant de produire des fruits identiques à ceux de sa victime. Le seul moyen de repérer le kroseil était de brûler l’arbre. Sous l’action des flammes, les branches libéraient un parfum extrêmement sucré. C’était pourquoi, chaque exploitation de pommiers avait un magicien attitré, qui se devait de vérifier la présence d’yrkroseil et de les éliminer si cela était le cas. C’était aussi pour cette raison que le commerce de pommes était extrêmement contrôlé, tandis que l’information sur le kroseil était gardée secrète autant que possible. Chaque personne en possession de cette connaissance devait être interrogée afin de stopper la fuite et si les personnes ordinaires bénéficiaient d’un questionnement plutôt doux, les marchands d'esclaves et autres mécréants ne recevaient aucune pitié de la part des magiciens. Après tout, ôter le libre-arbitre ou la liberté des êtres vivants était l’un des plus grands sacrilèges aux yeux de ceux qui empruntaient le chemin de la Connaissance...