Ayden fronça les sourcils, perdu, et Lu Yuntu, croisant son regard, tourna la tête vers lui.

     — Le Tournoi Céleste permet à tous les cultivateurs des cinq provinces de se mesurer les uns aux autres sous l’attention divine.

     — C’est un évènement de grande importance pour les clans afin de s’illustrer avec ses meilleurs disciples, compléta Huang Yiqiang en jetant un coup d’œil au rouquin. Mais aussi un bon moyen de resserrer les liens. Aucun cultivateur digne de ce nom ne peut ignorer l’arrivée du Tournoi Céleste.

     Lu Lisong opinait tranquillement de la tête à leurs paroles et Ayden finit par laisser échapper un « Waouh » impressionné malgré lui. Huang Yiqiang se renfrogna. Le rouquin se pencha vers Lu Yuntu qui avait gardé soigneusement le silence aux mots de son ami.

     — Il a dit « participer cette année ». Tu n’y es pas allé les autres fois ?

     Huang Yiqiang écarquilla les yeux, l’air d’être à deux doigts d’exploser subitement, mais Lu Yuntu se contenta de répondre d’une voix posée :

     — Le dernier Tournoi remonte à cinq ans de cela. Je n’étais pas assez habile pour pouvoir prétendre y concourir, et j’étais trop jeune, immature…

     — Absurde, siffla Huang Yiqiang entre ses dents. Lu Yuntu, ne te mésestime pas ainsi. Pas devant moi. En tant qu’ami, ton aîné et cultivateur, accorde-moi un peu de crédit, veux-tu bien ? Si j’avais seulement pensé que nous n’en étions pas dignes, jamais je ne t’aurais proposé de participer à un tel évènement. Tu connais les risques, tout comme moi.

     Lu Yuntu se tut, lèvres légèrement pincées, et Ayden fronça un peu plus les sourcils en voyant sa réaction. L’autre lui cachait quelque chose. Mais ce n’était ni le moment ni l’endroit pour tenter d’en savoir plus. Il expira lentement.

     — Réfléchis-y, finit par dire le rouquin d’une voix basse, mais douce. Il semblerait qu’il y ait gros à gagner, et je ne parle pas seulement de renommée ou de ce genre de foutaises. Il s’est même déplacé jusqu’ici spécialement pour pouvoir en discuter avec toi. Ce n’est pas quelque chose que tu peux refuser sur un coup de tête.

     Huang Yiqiang oscillait entre le blanc et le rouge en voyant le doigt pointé vers lui, l’air d’être sur le point de hurler. Il inspira profondément pour garder son calme et, ignorant le rouquin, se tourna vers Lu Yuntu pour lui faire face et s’incliner. Le disciple de Lu Lisong se tendit aussitôt devant l’attitude par trop sérieuse de son camarade.

     — Guan Yi, d’un ami à un autre, je te demande, s’il te plaît, de considérer ma demande. Je sais ce que tu penses… Ce que tu crains, dit-il d’un ton solennel. Mais justement. D’un cultivateur à un semblable, je reconnais tes compétences, ton talent. Je crois en toi. En nous.

     Pour la première fois, Ayden vit Lu Yuntu perdre contenance. C’était subtil, à peine visible, mais l’homme était crispé, ses lèvres pincées et son regard plus sombre. Derrière la façade qu’il tentait d’imposer, il paraissait agoniser, comme si ce que venait de lui demander Huang Yiqiang était hors de ses forces. Ayden plissa légèrement les yeux. Mais sous l’attention de son maître, Lu Yuntu finit pourtant par hocher la tête.

     — Je vais y réfléchir.

     Malgré sa retenue, ces quatre mots semblèrent illuminer Huang Yiqiang et ce dernier le salua avec une vigueur renouvelée. Même Ayden sourit, heureux de voir que l’autre ne refusait pas d’un bloc. Ils discutèrent encore un peu, échangeant quelques politesses et diverses nouvelles entre clans avant que les trois plus jeunes ne sortent enfin. Durant tout ce temps, Lu Yuntu avait eu l’air presque absent, quand bien même si personne ne l’avait ouvertement relevé.

     Lu Lisong avait invité Huang Yiqiang à rester au moins cette nuit avant de reprendre la route et en quelques pas, ils se retrouvèrent devant le pavillon que Huang Yiqiang allait occuper. Ayden les avait suivis sans trop y réfléchir, perdu dans ses pensées, et ce ne fut que lorsque les deux cultivateurs s’arrêtèrent qu’il en sortit. Son regard croisa celui de Huang Yiqiang. Il n’était pas dupe et ce dernier non plus : ils ne s’appréciaient pas et le cultivateur avait gardé le silence uniquement pour ne pas faire perdre la face à Lu Yuntu.

     Pourtant, à la grande surprise du rouquin, l’autre finit par lui faire face et le salua comme l’étiquette le demandait.

     — Huang Liang, nom de courtoisie Yiqiang, du clan Fengtian Huang et fils du chef de clan Huang Leien.

     Un petit instant de flottement passa et alors que l’expression de Huang Liang s’assombrissait, à deux doigts de lui aboyer dessus à nouveau, Ayden joignit ses mains et s’inclina à son tour.

     — Ayden, fils d’Orchar. En espérant que la prochaine rencontre soit moins piquante… Huang Liang, dit-il avec un rictus.

     Il n’avait pas pu résister. Il observa Huang Liang changer du blanc de l’horreur au rouge de colère et d’indignation avec beaucoup de satisfaction, son sourire s’agrandissant visiblement.

     — Toi ! Tu… ! Insolent, je vais te… !

     Il jeta un coup d’œil à Lu Yuntu qui était imperturbable. Huang Yiqiang fulminait toujours, mais il tourna les talons pour rentrer dans son pavillon sans rien ajouter d’autre. La porte se claqua derrière lui, faisant trembler les battants. Et Ayden laissa échapper un petit rire satisfait avant de croiser le regard de Lu Yuntu.

     — C’était trop tentant. Il est bien trop susceptible.

     Lu Yuntu lui jeta un coup d’œil en coin, impassible.

     — Il le méritait bien.

     Il garda le silence.

     — Quoi ? demanda Ayden en commençant à perdre son sourire.

     Et le cultivateur détourna les yeux.

     — Ils m’ont attaqué à trois et n’écoutaient même pas ce qu’A-Feng et A-Hui leur disaient !

     Ayden se reçut un nouveau regard de la part de Lu Yuntu.

     — Il fallait bien que je lui cloue le bec à un moment ou à un autre, il était insultant et…

     Le silence lui répondit.

     — Bon, peut-être que j’ai un tout petit peu exagéré ? Juste un tout petit peu.

     Encore une fois.

     — …je suis désolé ?

     Cette fois, Lu Yuntu secoua la tête, atterré, et tourna les talons.

      — Lu Yuntu, attends ! D’accord, d’accord, je suis désolé ! L’étiquette, je sais, je sais ! Écoute ! Je suis désolé ! Mais attends, enfin ! Ne pars pas comme ça ! Lu Yuntu ! J’irais lui présenter mes excuses plus tard, ça te convient ? Attends ! S’il te plaît, attends !