Ewald était épuisé. Il pouvait voir l’aube éclaircir le ciel, illuminant doucement son bureau. Son établi croulait sous ses installations de concoction et les multiples fioles et flacons dont il observait les résultats. A l’opposé, devant la baie vitrée, seule source de lumière naturelle dans la pièce, se trouvait son bureau. Ou du moins, il était possible de deviner sa présence sous la masse de papiers qui l’avait envahi. Et cette invasion n’allait pas s'arrêter. Attrapant un nouveau tas de papiers vierges, Ewald continuait de réfléchir, à enquêter sur comment tout cela avait pu commencer.
Il était maintenant certain que l’attaque sur Anastasiy n’était pas le point de départ de cette histoire. Les pierres découvertes dans sa cave en étaient la preuve et la lettre de Giusto, la confirmation. Ewald avait récupéré toutes les lettres envoyées par Giusto, et ce, depuis l'empoisonnement de l’Empereur. Toutes, sans aucune exception, étaient imprégnées de potions de manipulation. Après avoir passé la nuit à décomposer le liquide et la formule, il avait enfin percé l’ordre dissimulé derrière.
“Ne prête pas attention”. Un ordre simple et tellement vague. Mais c’était ce qui le rendait si dangereux. Après tout, personne n'avait prêté attention à l’Empereur, au Prince ou à Giusto. De la même manière, tout le monde avait oublié le Royaume de Fabel et s’était concentré pour empêcher une guerre avec la Théocratie de Nulvon. Mais le pire dans cette situation, c'était qu'il ne pouvait rien dire à cause des serments autour du kroseil. Il ne pouvait pas en parler dans un jugement, non sans mettre en danger toutes les Tours magiques. Or, les Tours ne devaient surtout pas passer sous le contrôle du pouvoir, sans quoi, la tyrannie s'élèverait immédiatement. Bien trop de secrets se trouvaient dans les Tours. Des secrets, qui, entre les mauvaises mains, pouvaient faire sombrer le continent dans le chaos. Et si Ewald se fiait à son intuition, les Tours Magiques de Fabel n’avaient jamais effectué cette séparation et cela voulait dire que, indirectement, les Magiciens de Draeleon avaient aidé Fabel, leur ennemi depuis la Guerre Céleste.
Cette pensée donnait une envie de vomir à Ewald. Savoir qu’il ait pu aider à empoisonner l’Empire. Il détestait l’idée de s’être fait embobiner par des gens qui avaient juré de mettre leur connaissance au service du bien commun. Il se haïssait pour ça et maudissait la fourberie du Royaume de Fabel et de ses habitants qui s’étaient joués d’eux.
“Ewald !”
La voix paniquée de Kasey le tira de ses pensées, le ramenant dans le présent. Il regarda son valet s’approcher de lui en quelques enjambées, avant que ce dernier ne se saisisse de sa main gauche. Baissant les yeux vers celle-ci, Ewald aperçut l’encre bleue se mêler à son sang, colorant doucement les mains de Kasey d’un violet morbide.
“Oh.”
Il chercha à récupérer sa main pour examiner de plus près sa blessure, mais Kasey la garda fermement entre les siennes. Sachant que son valet pouvait être plus têtu que lui, surtout lorsqu’il s’agissait de sa santé, il ne lutta pas plus.
“Je vais retirer ton gant,” déclara Kasey, une fois qu’il fut sûr qu’Ewald ne chercherait pas à récupérer sa main avant qu’il ne puisse le soigner.
“Est-ce vraiment nécessaire ?”
Immédiatement, il regretta cette question alors que son valet le fusillait de ses yeux verts.
“Est-ce vraiment nécessaire de te laisser saigner comme ça ? Est-ce vraiment nécessaire de te blesser de la sorte ? Est-ce vraiment nécessaire pour toi de te martyriser ainsi ?!” Questionna-t-il, son visage défiguré tant par la colère que par ses cicatrices. “Pourquoi cherches-tu donc à porter ce poids ? Pourquoi veux-tu être coupable des crimes des autres ?!”
“Parce que je suis coupable ! Je suis un Dralyon ! Tu sais bien que c’est la vérité !” Répondit avec désespoir Ewald.
“Imbécile ! La seule vérité est que Fabel était et est coupable de ces événements ! Depuis longtemps ils rêvent de leur vengeance, de leur conquête du continent ! Ce qu’il s’est produit il y a seize ans n’était pas de ta faute !”
“Mais -!”
“Est-ce qu’Anastasiy est coupable de la situation actuelle de l’Empire ?”
Ewald se tut, s’avouant vaincu face à Kasey, qui poussa un soupir. Le silence reprit ses droits dans le bureau alors que le valet ôtait le gant, devenu rouge. Une nouvelle journée commençait et pourtant, le passé semblait toujours les poursuivre.
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