Du haut de la muraille, Maylis observait le mur de flammes qui ravageait le désert. Les hurlements des cezants étaient perdus dans celui des flammes. Même le soleil ne parvenait pas à traverser l’épaisse fumée noire qui se mêlait aux nuages annonciateurs de tempête. Au milieu de cette mer noire, se tenait Serafim.
“Manque plus que le dragon et le tableau sera complet…” ne put s’empêcher de penser Maylis. Les flammes dansèrent d’un simple geste de Serafim, brûlant des cezants ayant survécu avec difficultés à cet enfer. La silhouette du jeune homme se détachait du feu, rappelant ce dessin tellement célèbre dans leur livre d’histoire.
La bataille d’Eamon et le dragon était un des faits fondateurs de l’Empire. Nombre d’artistes avaient imaginé cette scène légendaire et tenté de mettre une image sur un moment ayant survécu au passage du temps à travers les paroles des conteurs. Au final, Eamon était souvent représenté avec des cheveux rouges et des yeux couleur or. Ces deux couleurs étaient toujours présentes chez les Dralyon. Leurs membres naissaient avec des cheveux blond ou rouges, et avec des yeux rouges ou dorés. Ou avec les deux, comme cela était le cas d’Ewald, qui avait les yeux vairons. Personne ne savait pourquoi ces couleurs prédominaient, mais elles étaient devenues l’un des symboles des Dralyon. C’était d’ailleurs grâce à cet étrange phénomène qu’Eadwig était parvenu à cacher le fait qu’Anastasyi n’était pas né de son union avec Serenity.
Jetant un coup d'œil vers Serafim, Maylis trouvait qu’il ressemblait fortement à son père. Pas juste physiquement, si on faisait abstraction de la longueur des cheveux, mais aussi au niveau du caractère. Tous deux savaient apprécier un bon combat. Ils n’avaient pas peur de se salir les mains pour protéger ceux qu’ils considéraient être à eux. Bien sûr, ce trait était commun à tous les Dralyon, mais Maylis avait remarqué qu’il était plus fort chez ceux à cheveux rouges. Elle se rappelait comment Eadwig avait brûlé une ville à proximité de la frontière entre l’Empire et Ulsh, il y a seize ans de cela.
“Heureusement que les cezants étaient là…” lança Aslan en prenant une gorgée de sa bière.
“Au pire, j'aurais jeté Serafim sur mon fils,” répondit Maylis avec un rire.
“Ils auraient détruit la muraille.”
“Nah ! Sorley l’aurait tiré dans le désert."
Pendant un moment, les deux regardèrent l’incendie sous leurs yeux, buvant leurs bières. Les soldats faisaient des paris sur la durée du massacre, alors que les jeunes recrues ressemblaient à des poules sans tête, courant dans tous les sens sans comprendre ce qu’il se passait. En somme, rien d’anormal pour ceux qui se trouvaient à la Muraille d’Eamon.
Doucement, Aygün commença sa descente, laissant le Soleil entre les mains des Anasra, pour prendre la Lune. En même temps que cet échange, le mur de feu diminua, jusqu’à disparaître. Les nuages noirs qui annonçaient la tempête étaient partis, comme la rage qui avait pris possession de Serafim. Tout autour de lui, les restes fumants des cezants s'effritaient, devenant poussières sur le sable vitrifié. Alors qu’Aygün, dieu du Temps et Maître des Cieux, prenait son envol, le vent souffla, effaçant les traces de ce massacre.
Serafim se sentait vide. Sa raison l’avait déserté dès qu’il avait entendu les mots “Marché noir” et “Hul”. La rage avait pris possession de lui et le monde était devenu rouge. Les ombres s’étaient mises à rire et les pleurs avaient redoublé. Il n’avait plus qu’une seule idée en tête : détruire. Et ce fut ce que Serafim fit. Il avait suivi les rires et lorsqu’il trouva la source, il lâcha prise. Plus rien ne lui obéissait. Son corps se mouvait en suivant ses instincts, brûlant quiconque s’approchait de lui. Bientôt, les rires se transformèrent en hurlements, en supplications, en malédictions. C’était une cacophonie d’injures qui retentit dans ses oreilles, alors qu’il continuait de les brûler. Puis, aussi brutalement que cela avait commencé, le bruit cessa et le monde reprit ses couleurs.
Il n’était pas calme.
Seulement vide.
Jetant un regard désintéressé autour de lui, Serafim ne vit que des restes carbonisés. Les écailles des cezants étaient mats, sans éclats et pour certaines, fondues. Leurs corps hybrides, entre serpent et lézard, n’avait plus aucune valeur, la viande ne pouvant pas être récupérée. Même les os avaient été endommagés, devenus friables, tout comme les bois qui ornaient si fièrement leurs têtes. Tout avait brûlé et le vent allait emporter les dernières traces de leurs existences. Tout comme eux.
Encore une fois, seul Serafim était debout, vivant. Encore une fois, il avait tout détruit. Ils avaient eu raison de dire qu’il était un mon-
“Ça va mieux, gamin ?”
Avec surprise, Serafim se retourna, découvrant Maylis avec son éternelle sourire sur les lèvres, s’approchant sans crainte de lui.
“Alors ?” Demanda-t-elle, un sourcil relevé et un sourire rieur illuminant son visage.
“... Oui, ça va mieux…”
“Parfait ! Parce que même si ça n’avait pas été le cas, je t’aurais tiré par la peau du cul pour te ramener derrière la muraille ! Après tout, j’aimerais pas que ton paternel vienne me griller parce que Erëciar t’avait mangé.”
“Il ne te ferait pas ça. Tu es notre meilleure maître-épéiste.”
“Quoi ?! Ce n’est pas par amitié qu’il m’épargnerait ?!”
Serafim ne chercha pas à retenir son rire face à l’expression outragée surfaite de Maylis. Il ne résista pas non plus lorsqu’elle le tira vers la muraille, alors que les vents se faisaient de plus en plus forts. Au moment où la porte fut fermée, les sables commencèrent à se soulever, transformant le désert en un piège mortel.
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