De sa fenêtre, Serafim regardait les lames de sable noirs qui s’écrasaient contre la muraille. Les rafales de vent soulevaient le sable, qui, comme les vagues de la mer, venaient s’échouer contre les pierres. Chaque attaque était plus puissante que la précédente et pourtant, la muraille restait intacte.
Erëciar n’était pas juste une tempête de sable. Tous connaissaient son existence, mais pour beaucoup, il ne s’agissait que d’un mythe. Un conte que l’on racontait aux enfants pour qu’ils soient sages. Après tout, l’idée qu’un dieu maléfique puisse continuer de hanter ce monde était bien trop effrayant. Cependant, pour ceux qui se trouvaient à la Muraille d’Eamon, Erëciar était bien réel.
Dès qu’Aygün laissait le Soleil entre les mains des Anasra et prenait la Lune, Erëciar se réveillait. Ses vents se mettaient à souffler, cherchant à s’élever par-dessus le Ciel, à atteindre Aygün, celui qui avait mis fin à son règne de terreur, pour se venger. Mais le Maître des Cieux voyageait dans l’Ær, le Ciel Médian, frontière entre Æ, le Ciel Bas, et Æther, le Ciel Céleste. Il était donc hors d’atteinte des vents d’Erëciar, qui le poursuivait inlassablement chaque nuit. Et comme à chaque fois, ce dieu, qui ne l'était plus que par sa légende, se retrouvait bloqué par la Muraille d’Eamon. Et comme chaque nuit, ses rafales se transformaient en tornades, attaquant sans relâche cet obstacle qui empêchait Erëciar de poursuivre Aygün. Et comme toujours, les pierres tenaient, insensibles à la puissance de ce dieu déchu.
Soudain, la muraille se mit à briller, projetant la lumière des Milles Soleils eux-mêmes. Les vents redoublèrent de force, alors qu’un hurlement, mi-animal mi-humain, se mêlait à celui des tornades. Erëciar était arrivé.
Se rapprochant de sa fenêtre, Serafim plissa les yeux, cherchant cette silhouette bien connue de ceux qui vivaient ici. Sachant exactement ce qu’il cherchait, il trouva facilement cette figure grotesque, dissimulée dans l’ombre des tornades noires.
Un bras ridiculement long comparé à son corps courbé, peinant à se dresser debout avec ses jambes trop courtes pour ce torse démesuré. L’autre bras, semblable à celui d’un homme mort depuis trop longtemps, pendait mollement, se balançant sous l’effet des vents. Il tenait par une chair cousue et recousue, qui se déchirait à cause de ces mouvements brutaux. Erëciar se tenait trop loin pour que Serafim puisse le voir clairement, mais il se souvenait des écrits de son ancêtre.
“Cette forme biscornue qui nous attendait au centre de cet océan noir, l’était encore plus de près. Cet être n'était qu’un amalgame de chair, mêlant celles de nos soldats disparus à celles des créatures rencontrées pendant notre voyage. Les écailles des cezants semblaient avoir été plantées dans le corps même de la créature, afin de lui offrir une maigre protection pour ses organes. Ou peut-être juste parce qu’elles lui plaisaient ? Car une fente, qui partait de son cou jusqu’à ce qui pourrait rappeler la poitrine d’une femme, laissait entre-voir une rangée de dents à la fois humaines et animales. La tête ne cessait de se gonfler et dégonfler, la croûte craquant comme un os sous un marteau de guerre. Une odeur immonde, que seuls ceux ayant vécu dans la misère et la guerre pouvaient connaître, s’échappait à chacune de ses expirations. Cet être, qui avait été un dieu, n’était maintenant plus qu'un pantin, dont la main qui bougeait les fils n’étaient d’autres que sa rage. C’était vraiment…”
““Un dieu pitoyable”.”
“J’aurais plus dit “pathétique”.”
“Les deux se valent. Après chacun est libre de choisir ce qu’il préfère. Si je me souviens bien, Maylis l’appelle un “dieu chiant”.”
“La poésie n’est pas le fort de Mère.”
Avec un reniflement d’amusement, Serafim se détourna de la fenêtre. Il ignora Erëciar qui hurlait de rage, incapable d’avancer sans que la lumière des Milles Soleils ne le brûle.
“Et donc ? Que me vaut cette visite tardive, Sorley ?”
Un sourire aux lèvres et la démarche légère, Sorley entra dans la pièce. Tout comme lui, Serafim affichait une expression aimable, mais en son fort intérieur, il ne pouvait s’empêcher de froncer les sourcils.
Lorsque Maylis lui avait dit qu’elle avait un fils, il avait été surpris. Non pas qu’il la pensait incapable de s’occuper d’un enfant, bien au contraire. Cependant, elle faisait partie de ces gens qui avaient essayé d’éveiller leur noyau, et qui avaient grandement souffert dans leur quête. Ainsi, pour réussir à rendre actif son noyau, elle avait dû abandonner tout espoir de pouvoir donner la vie. Cela amenait donc la question de qui était Sorley. Bien évidemment, il avait été adopté, mais d’où venait-il ? Pourquoi Maylis ne leur avait pas dit ? Et finalement, quel était son lien avec Anastasyi ? C’était là les questions auxquelles il devait absolument obtenir une réponse.
"J'ai cru comprendre que vous souhaitiez me voir, Votre Noblesse. Donc, me voilà."
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