La femme dans le rayon de lumière lunaire s'agenouille pour se mettre au niveau de la danseuse. Ses lèvres se mettent à bouger, mais malgré son ouïe sensible, Sharess n'entend aucun son environnant, la douleur la rend sourde et son effort de concentration pour garder les apparences rejette toutes autres informations sensorielles. La nouvelle venue tire alors un peu sa manche pour faire apparaître sa main, et elle pose le bout de ses doigts fins et pâles sur la peau de la femme-bête, avant de les faire glisser le long de la cheville. D'un coup, le sang de Sharess ne fait qu'un tour et une sensation électrique la traverse, puis un sentiment de chaleur et d'affection s'empare d'elle. Alors que ses sens lui reviennent petit à petit, la douleur disparaît progressivement. Étonnée, la renarde en robe rouge cherche à lever les yeux vers cette personne. Sa tenue en trois parties de style exotique lui saute instantanément aux yeux: un bustier et une petite jupe d'une couleur lilas et turquoise, de longues manches prunes aux motifs de fleur de lys semblables à celles d'un kimono maintenues en place grâce à un fin ruban lilas également, assorties à l'imposante sur-jupe qui lui arrivait jusqu'aux chevilles, et pour achever l'ensemble, une jolie clochette dorée pendait paresseusement sur son buste. Continuant son ascension, elle distingue à peine le visage et les cheveux de cette dernière mais pendant un instant, elle sent son cœur s'emballer comme si ce dernier était lui aussi guéri de toutes les blessures qu'il a subies. La passion de la jeunesse lui revient et elle rougit l'espace de quelques secondes avant de ressentir à nouveau le poids de sa dépression et les blessures qui lui entaillent à nouveau l'âme. La danseuse ferme les yeux et entame une discussion intérieure :
« Je dois me recentrer... Ce n'est qu'un effet secondaire, ne cède pas à la facilité...
- Mais tu l'as ressenti non ? La passion des premiers jours, la guérison de toutes tes blessures comme si elles n'avaient jamais existé.
- Jamais, ce n'est qu'un contrecoup de ce qu'il m'arrive !
- Mais cela ne t'es jamais arrivé avant.
- Et alors ? Je ne vais pas si facilement retomber dans ce piège ! »
La raison avec une petite teinte bleutée l'emporte sur la passion du moment la réduisant à une simple braise, elle n'arrive cependant pas à l'étouffer totalement. Les yeux de Sharess qui cherchent la femme salvatrice reprennent alors leur teinte un peu terne tandis qu'elle se relève et reprend sa danse tout en étouffant sa colère naissante envers les trois filles de joie.
{ Si elles veulent jouer avec moi, je serai alors leur partenaire de danse jusqu'à ce qu'elles soient totalement anéanties. }
Après avoir récupéré les faibles pourboires offerts par les clients, la renarde commande de quoi étancher un peu sa soif et observe les différentes tables à la recherche d'un possible réconfort. Mais elle ne tombe que sur les trois femmes qui lui ont mis des bâtons dans les roues. Sa colère loin de s'être éteinte, la femme-bête grave le visage de ces harpies dans sa mémoire, et se jure intérieurement de leur faire payer au centuple l'affront qu'elles viennent de lui faire subir. La taverne se vide de plus en plus et un silence lourd commence à s'installer. La plupart des personnes ivres ronflent sur les tables alors qu'un gars musclé commence à les mettre dehors. C'est en ruminant un peu la soirée et avec cette ambiance particulière que Sharess finit sa bière et prend la direction de sa chambre pour y passer la nuit.
Alors que la lune est haute dans le ciel, un homme rentre dans l'auberge, toujours surchauffée malgré la fraîcheur de la nuit. Ses traits androgynes ne passent pas inaperçus, d'autant plus qu'il affiche avec fierté sa condition d'homme-bête, oreilles et queue apparentes. Il avance alors vers une table où un homme encapuchonné est installé, un verre de whisky à demi-vide à la main. À peine le beau blond installé en face de son interlocuteur qu'il se fait accoster par les trois harpies.
« Bonsoir monseigneur, peut-on se joindre à vous pour...
- Désolé jeune femme, je ne suis pas homme à ouvrir mon lit à la première venue, et surtout pas à des femmes crasseuses comme vous, votre maquillage laisse à désirer, on dirait que vous avez trempé votre visage dans un bol de teinture. »
Outrée, la prostituée essaye de contrôler ses émotions mais l'homme-bête reprend de plus belle, un sourire arrogant sur le visage.
« De plus, vous manquez sérieusement de classe pour déranger deux personnes qui parlent affaires. Pourquoi n'iriez-vous pas plutôt appâter le chaland dans la rue? Ah oui, c'est vrai que vous trouverez difficilement plus sexy et séduisant que moi. Dommage pour vous.
- Que... »
Alors que la femme commençait à sortir de ses gonds, l'une des deux autres l'attrape par les épaules et la ramène à leur table. L'homme fier d'avoir plus ou moins fait justice se tourne vers l'homme en face de lui. Après un rapide salut codé, l'inconnu prend la parole:
« T'es vraiment imbu de toi-même Nobanion.
- Bonsoir à toi aussi Azan. Comment va le village depuis mon départ ?
- Mis à part la cinglée du combat qui a appris aux nouveaux à se battre, pas grand chose. »
L'homme encapuchonné vide son verre et appelle une serveuse. Les yeux braqués sur l'homme-bête comme pour annoncer la venue d'une discussion sérieuse, il reprend :
«Tu t'es installé?
- Pas encore, je n'ai pas encore vraiment eu le temps de faire le tour des logements. J'ai une chambre ici en attendant. »
D'un coup c'est comme si l'air chaud se transforma en glace, la serveuse qui arrive pour prendre la commande ressent soudainement un frisson et une peur profonde comme si sa vie ne tient qu'à un fil.
« Ne me dit pas que tu commences ta mission en flemmardant dans une auberge...
- E... Excusez-moi, vous désirez boire quoi? »
Les paroles de la serveuse coupent rapidement l'ambiance glaciale, laissant la chaleur revenir.
« De l'hydromel s'il vous plait, et pour toi Nobanion?
- Une bière suffira. »
La serveuse repart avec la commande pour la préparer derrière le bar. L'homme-bête reprend alors à voix basse :
« Mais non ne t'en fais pas. Il y a du potentiel ici, peu de gardes, une misère propice aux activités illicites.
- Je vois... Dans un premier temps, continue de te renseigner sur cette zone, cherche de quoi nous fournir une bonne couverture, et dans l'idéal il nous faudrait un moyen de voyage rapide... »
Alors qu'Azan soupire légèrement, la serveuse leur apporte leur commande et récupère les pièces de l'homme encapuchonné qui semble inviter Nobanion. Ce dernier porte sa chope à ses lèvres et la vide d'un trait.
« Tu peux pas plutôt utiliser la folle...
- Nan, elle a besoin de beaucoup d'énergie et il lui faut deux jours pour se recharger.
- Faut l'entraîner. Si elle progresse, ça devrait être plus simple.
- Tu crois que c'est simple d'entraîner une telle personne sans vraiment de ressources ? Il faut du temps et donc nous avons besoin d'une solution temporaire.
- Ça veut dire que tu es coincé avec elle ici pendant deux jours ? Je te plains sincèrement, être obligé de combattre constamment avec elle. On dirait une berserk comme dans les légendes. »
Nobanion ne peut s'empêcher de laisser échapper un petit rire.
« Elle se dépensera sur les petites frappes. Si on peut déjà en avoir quelques-uns sous contrôle, c'est ça de gagner.
- Un homme et une femme seuls, ça laisse envisager pas mal de scénarios... »
Le petit sourire narquois de Noba provoque chez Azan une mine blasée, soupirant alors de désespoir et plaçant sa paume contre son visage.
« Des fois tu me fatigues, t'imagines pas à quel point... Tu n'as pas eu ton lot de conquêtes ou quoi ? Au pire, il y a trois dames qui ont des vues sur toi. »
Azan tourne sa tête vers les trois harpies.
« Roh tout de suite, t'as encore rien vu ! Dit-il fièrement en bombant le torse de façon ridicule. Et non c'est hors de question ! J'ai pas besoin de conquêtes d'aussi bas étage.
- Ne parle pas de malheur veux tu. Bref, si tu as du nouveau, n'hésite pas à me contacter. Sur ce, je vais aller chercher Jasmine, elle doit sûrement être dans une ruelle pour chercher les embrouilles.
- Ça marche Boss. Bonne soirée. »
Azan finit rapidement son verre et les deux hommes se lèvent de table avant de prendre la direction de la sortie. Du coin de l'œil, Noba remarqua une jeune femme encapuchonnée et recouverte d'une cape de voyage blanche au bar, mais alors qu'elle lève son verre, il aperçoit la manche de cette dernière et devine qu'il s'agit de la personne qui a aidé la danseuse auparavant. Un petit sourire se dessine sur ses lèvres alors qu'il ferme la porte de la taverne.
Alors que la porte se ferme, non loin de là, la femme regarde le fond de son verre avec un air pensif, son visage caché par ses longs cheveux couleur paille. Elle a enchaîné plusieurs verres d'alcool fort, mais elle donne l'impression d'être toujours aussi sobre. Après avoir fini un nouveau verre, elle laisse tomber son front sur la table avant de se redresser. Les trois harpies rirent un peu de leurs déboires, il semble qu'elles ne soient pas les seules à avoir eu une mauvaise journée, et bien que la couleur étrange de la cape de cette voyageuse la fasse passer pour une souveraine parmi le peuple, cela n'empêche pas les harpies de se délecter du malheur visible de cette dernière.
« Comment ai-je fait pour en arriver la... »
Comments (0)
See all