Dans le district, non loin de la taverne de Perath, une vieille dame balaye devant sa demeure, tout en jetant un regard amusé vers une fenêtre avec un léger sourire. Quelques minutes plus tard, un homme un peu fatigué pousse la porte pour sortir. Ce dernier, avec ses vêtements débraillés, ses joues creuses et sa démarche un peu vacillante, fait un sourire à la vielle femme, avant de partir. Peu de temps après, une renarde à la fourrure de feu et aux cheveux blonds passe à son tour l'entrebâillement de bois usé. La jeune femme est habillée avec une tenue plus mature qu'à l'accoutumée: une robe assez classique mais tout de même élégante, avec des broderies fines faites à la main. Elle joue avec une bourse dans laquelle les pièces s'entrechoquent à chaque rebond dans sa paume. Elle en donne quelques-unes à la vieille avec un sourire.
« Merci pour vos conseils, c'était en effet quelqu'un d'assez riche, vos relations dans le district sont impressionnantes.
— Il a rien compris hein ?
— Non, mais grâce à lui je pourrai être à l'heure au festival, et j'ai surtout assez d'argent maintenant.
— De toute façon, une pourriture qui trompe sa famille mérite de payer le prix fort. J'ai toutes les preuves dont j'avais besoin, la récompense offerte par sa femme pour son infidélité va clairement mettre du beurre dans nos épinards !
— D'un côté, heureusement qu'il y a ce genre de personne, sinon on aurait du mal à survivre ici bas. Et c'est toujours plus agréable que d'être la première fois de certains nobles un peu trop jeunes. »
Sharess ne peut s'empêcher de lâcher un petit rire en baissant les oreilles, le comique de cette phrase résonnant en elle comme un écho du passé.
« Tu devrais y... »
Avant même que la vielle femme ne finisse sa phrase, la renarde marchait déjà au loin, dans la direction du quartier est du district. Ses pas l'emmènent rapidement jusqu'à la frontière entre les bas-fonds obscurs et la lumineuse cité. Elle paye les pièces d'argent nécessaire aux gardes, et leur fait un petit clin d'œil aguicheur en passant entre eux avec un sourire éclatant, fière de l'effet qu'elle provoque sur ces hommes. Les pieds de la jeune femme foulent les pavés durs et propres de la ville, et elle sens déjà le changement d'ambiance: le soleil du printemps inondait de sa chaleur les rues éclatantes, faisant briller les bijoux et dorures des nobles discutant entre eux, assis sur un banc de bois ouvragé. Au loin, alors que le matin est presque fini, on peut entendre les clameurs du public et les instruments qui résonnent, provenant de la place centrale de Balwinder, et les pas de Sharess la dirigent cette direction, se fiant uniquement à son ouïe fine. À peine arrivée, l'odeur de délicieux mets vient lui chatouiller les narines, et une vue incroyable de magiciens exhibant leurs talents se déroule sous les yeux de la renarde. Elle reste étourdie quelques instants, mais une fois ses esprits retrouvés, un sourire se dessine sur son visage et elle se joint avec entrain au rassemblement, de la joie émanant visiblement de la jeune femme.
{ Cela fait un moment que je n'avais pas ressenti ça... Pour une fois que mon sourire n'est pas un simple masque... }
Sharess décide de s'arrêter devant un stand qui attire son attention, où un simple baquet d'eau et une pile de pommes étaient disposées derrière une table, avec une femme tenant l'un des fruits dans sa main. La propriétaire de l'activité ressemblait beaucoup à une membre du clan Bõsha, avec ses anneaux en or aux poignets, ses tatouages au henné et ses vêtements bariolés.
« Connaissez dès aujourd'hui la première lettre du prénom de votre âme sœur ! Cette chance ne se reproduira pas deux fois, approchez ! »
Tentée par ce genre de fantaisies, Sharess ne peut s'empêcher de jeter un œil en s'approchant lentement, quand la tenante du stand la pointe du doigt.
« Vous, madame, avancez vers moi ! »
La travailleuse charnelle parcourt la distance qui la sépare de la petite étendue d'eau cerclée de bois, et jette un œil à son reflet. De son coté, la femme récupère un couteau et sépare une bonne portion de la peau d'une pomme du fruit lui-même. Elle demande à la convive de souffler sur l'épluchure, avant de la jeter dans l'eau. Les secondes défilent petit à petit, tandis que l'épluchure se met à se tortiller dans tous les sens jusqu'à former un symbole. La personne qui tient le stand est un peu surprise et déclare :
« La première lettre du prénom de votre futur amour est un V ! »
Mais Sharess reste devant le baquet, il est évident que la personne l'interprète de façon erronée. La renarde reconnaît rapidement l'alphabet de son pays d'origine, et la signification du symbole est tout autre. Elle décide de garder ce qu'elle a vu dans un coin de sa tête et laisse tomber une pièce en pourboire dans un bol matelassé, avant de s'éclipser et d'acheter non loin une petite friandise à base de raisin.
{ Qu'est-ce que cela peut bien signifier ? Pourquoi le symbole de la mort est-il apparu ? Cela veut-il dire que seule la mort m'attend ? Où bien y a-t-il une autre explication... Pourquoi il n'y a aucun contexte... }
Elle soupire alors, et après une bouchée succulente de sa pâtisserie, elle déclare:
« Où alors je m'inquiète pour rien et cette femme n'a fait que se déguiser en sorcière. »
Mais malgré cela, l'esprit de la jeune femme continue à lui montrer ce symbole flottant dans l'eau. Elle se plonge alors à contrecœur dans ses souvenirs, essayant de se rappeler la véritable signification derrière ce symbole, espérant y trouver un sens caché qui pourrait tout expliquer, mais rien ne lui vint. La joie qu'elle ressentait s'est un peu atténuée avec ce petit tour, et c'est pour se changer les idées qu'elle reprend son exploration du festival. C'est alors qu'elle arrive devant un autre stand assez célèbre dans la capitale. Un homme bien bâti se tient juste devant, faisant tourner des anneaux de bois autour de son index.
« Une pièce d'argent pour tenter votre chance, venez essayer de gagner un lot de vêtements pour toute votre famille ! Pour cela il suffit de lancer les cerceaux sur la tige en bois correspondante aux habits qui vous intéressent ! Une pièce d'argent pour trois lancers ! »
Sharess joue un peu des coudes pour arriver jusqu'au stand et regarder les vêtements qui y sont proposés. Les trouvant à son goût et élégants, elle décide de remporter la panoplie pour femme. Elle donne alors la pièce d'argent et se voit offrir en échange les trois cerceaux. Elle prend son temps pour viser, et au moment où elle lâche son anneau, celui-ci vole et tape la barre de bois avant de chuter au sol. Elle reprend son souffle pour corriger le tir, puis elle lance le second. Ce dernier tourne un peu autour du piquet de bois avant de sauter vers un autre piquet de bois et d'y tomber.
« On a une gagnante ! Félicitations ! Vous avez remporté la panoplie pour enfant ! Je suis sûr qu'ils en seront ravis ! »
Intérieurement, Sharess fulmine et déverse un flot d'insultes mentales à tous vas. Mais il lui reste encore un cerceau... Et après s'être concentrée, elle le lance mais échoue à récupérer d'autres vêtements.
{ Super... Des vêtements d'enfants de 10 ans garçon et fille... Essayons de les échanger... Où les vendre... Je n'en aurais aucune utilité de toute façon. }
La femme s'engouffre alors dans le marché du festival, à la recherche de possibles échange, où rachat. Le soleil continue sa course inlassablement dans le ciel quand soudain les cloches de la cathédrale annonçant la mi-journée sonnent, et la foule se tait soudainement. Dans ce silence religieux, on entendait au loin un bruit sec. Le claquement de bois sur les pavés ainsi qu'un bruit métallique retentit, et la foule s'écarte soudainement, laissant un passage direct vers l'estrade au centre de la place. Au bout de la rue, un cortège avance doucement, entouré de nombreux serviteurs et soldats.
En tête de ce convoi, un homme à la chevelure de feu et l'armure étincelante, marchait d'un pas digne et élégant, malgré le poids de l'imposante épée qu'il portait dans le dos. Arrivait ensuite un carrosse, dont la richesse et le raffinement ne laissait aucun doute sur les personnes se trouvant à l'intérieur, et pour fermer la marche, des employés du château, visiblement mal à l'aise dans ces vêtements de cérémonie qu'ils ne portent pas habituellement, jettent des pétales de fleur en l'air, qui virevoltent au gré du vent. Les gardes se dépêchent de se mettre en place pour créer une allée sécurisée, laissant la voie libre au cortège. Une fois à destination, la famille royale descend du carrosse, puis parcourt la distance qui les séparent de l'estrade, alors que le peuple s'agenouille devant eux. Sans même regarder leurs sujet, le roi avance jusqu'à son fauteuil et s'y installe, suivi par sa femme et les trois héritiers. Le souverain fait approcher un mage de la cour d'un signe de la main, donnant l'ordre implicite à ce dernier de lancer son sortilège, puis il prend soudainement la parole, d'un ton plat, mais amplifié magiquement, ce qui permet à sa voix d'atteindre même les plus lointains spectateurs.
« Citoyens, citoyennes ! Cette semaine est synonyme de fête ! Profitez du renouveau et que vos vies soient bénies ! J'espère que vous continuerez à vivre dignement dans notre belle cité ! Je... »
Le roi n'eut pas l'occasion de continuer son discours. Au bout de la rue, la Prêtresse semble l'avoir interrompu en claquant son bâton sur le sol, le bruit résonnant dans les alentours grâce au sol. La mâchoire du roi se crispe, mais il ne peut pas se permettre d'élever le ton et de gâcher sa réputation durant le festival. Il se contente alors d'encaisser ce petit revers et de sortir un sourire forcé.
« Et maintenant veuillez accueillir notre nouvelle prêtresse ! »
À l'autre bout de la rue, Inari retire sa capuche, laissant apparaître ses traits, que le peuple découvre pour la première fois. Elle était maquillée avec soin, l'extrémité de ses yeux arborant une légère teinte rouge, qui allonge son regard et donnant une douceur incomparable à son visage. Ses cheveux se mettent à briller légèrement dès qu'elle avance, laissant la lumière du soleil se diffuser autour d'elle. La couleur de sa peau, par contraste, semblait encore plus blanche qu'à l'accoutumée, lui donnant un air irréel de poupée de porcelaine.
« Une déesse... Une déesse est descendue sur Unwold... »
Bouche bée, la foule la regarde, et certains nobles ne peuvent s'empêcher de crier à haute voix:
« Déesse, veuillez me choisir pour époux, je suis prêt à faire n'importe quoi pour vous !
— Non ! Choisissez-moi, déesse, je suis sûr que vous ne manquerez de rien dans ce monde à mes côtés. »
Les voix incessantes et gênantes attaquent l'ouïe délicate d'Inari, qui semble mal à l'aise et désorientée. Cependant, elle a son rôle à jouer et compte bien aller jusqu'au bout. Alors qu'elle continue son avancée, un enfant qui a échappé à la vigilance des gardes vient s'agenouiller à quelques mètres d'elle.
« Je vous en supplie, madame la déesse, sauvez mon papa ! S'il vous plaît ! Il est ma seule famille, la seule personne... »
Avant même la fin de ses paroles, des gardes interviennent et tentent de ramener l'enfant dans les rangs. Le garçon se débat comme il peut, mais à cause de sa résistance, les gardes se mettent à frapper l'enfant pour le forcer à obéir. Le roi regarde la scène et sourit, semblant prendre du plaisir à cette situation, ce qui n'est ni le cas de la reine, ni du soldat flamboyant qui s'apprête à s'interposer. Mais un éclair orange traverse soudainement la foule. Sharess, ne supportant pas la cruauté de la scène, ne peut s'empêcher d'intervenir pour protéger le garçon alors qu'Inari semble tétaniser sur place. La prêtresse regarde la nouvelle venue et la reconnaît sur le champ. Les pensées et sentiments qui submergeaient la religieuse se calment d'un coup, comme si elle arrivait enfin à sortir de sa torpeur.
De son côté, Sharess a une drôle d'impression, à environ cinq mètres de la prêtresse, elle a comme un étrange sentiment de déjà-vu, sans comprendre d'où vient ce sentiment. Puis, au milieu de ce moment de calme, les gardes se reprennent et tentent d'attraper la renarde, sous le regard dégoûté du roi, qui la dévisage. Cependant, avec une grâce et une agilité déconcertante, elle esquive les quelques coups donnés par les gardes, sans jamais chercher à riposter.
« Cela suffit ! »
La prêtresse retrouvant un peu son courage, met un terme à l'altercation, mais voyant que les gardes ne semblent pas l'écouter, elle frappe à nouveau son bâton sur le sol, et l'instant d'après, les yeux des gardes deviennent vides et ils s'effondrent sur les pavés. Sharess est surprise et effrayée l'espace d'un instant, tandis que l'enfant, terrorisé, s'enfuit dans la foule alors que la danseuse s'approche de la prêtresse, voulant lui dire quelques mots. Ses pas la dirigent vers la figure religieuse, quand tout à coup, elle sent son sang bouillir, une tension s'installe entre les deux femmes, devant la foule qui retient son souffle...
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