Le protagoniste d’aujourd’hui est un jeune garçon prénommé Sel. Il était doté d’un caractère que l’on pouvait qualifier de méprisant ; il n’aimait pas ce qui portait au contact et à l’affection, préférant une solitude calme, avec ses réflexions pour seule compagnie. Sa seule tâche en tant qu’aliment du monde comestible était de créer des pierres… Mais des pierres, cela n’avait pas besoin de se créer tous les jours ! Elles restaient, s'empilaient, s'accumulaient… Nous pouvons conclure bien vite que Sel n’avait pas grand-chose à faire de son quotidien. Il restait donc là, à regarder le soleil d’orange, ou bien les alentours, et encore une fois à réfléchir, plongé dans ses songes dont il avait le secret depuis le temps... Souvent, on lui proposait de faire quelque chose, comme se promener ou aller jouer pour éviter de se faire ratrapper par l’ennui, mais ce dernier refusait toujours sèchement. Lui, ce qu’il aimait faire avec les autres, c’était les observer ! C’était tellement plus intéressant que de « jouer » avec de prétendus « amis » après tout ! Analyser son entourage… Se moquer d’eux quand ils faisaient des bêtises… Envier ceux qui grâce à la magie du destin avaient une meilleure tâche que lui.
Parmi tout ce beau monde, une personne l'intéressait plus que tous les autres… C’était Sucre. Un autre jeune garçon qui lui ressemblait sur bien des points, à première vue. On aurait dit des jumeaux ! Mais ils étaient assez facile à différencier quand on y prêtait attention quelques secondes, de par leurs expressions et leur façon de parler aux autres. Physiquement pareils, mais mentalement opposés. Sucre, lui, était ouvert à tout le monde, aimant envers tout le monde. Peu importe les situations, il ne perdait jamais le sourire. Sel, lui, détestait cette personne… Pour bien des raisons plus ou moins valables ! La première étant son caractère. « Comment peut-on être aussi ouvert et perdre tant de temps pour les autres ? » se disait-il, souvent. La deuxième était probablement plus raisonnée : en fait, cette haine était due à de la jalousie, bien qu’il ne l'admettait pas. Qu’est-ce que ce jeune garçon si différent avait d’enviable, vous demandez-vous ? Tout simplement parce que Sucre, qui était insupportable -et ne tachez pas de dire le contraire au petit Sel, avait tellement de tâches toutes aussi amusantes les unes que les autres! Il avait le droit de faire une forêt entièrement faite de sucreries, lui! Tout le monde lui demandait son aide pour faire des projets merveilleux, à lui! Tout lui était permis seulement car il avait un pouvoir plus apprécié et soit-disant bien contrôlé…
Voici donc les raisons pour lesquelles Sel détestait Sucre. C’était aussi pour cela, d’ailleurs, qu’il le regardait tout le temps. Une drôle d’aversion presque obsessionnelle, où il l’analysait discrètement pour pouvoir critiquer ses moindres faits et gestes, en tirant ainsi une certaine satisfaction. Après tout, quand on a de grandes faiblesses, critiquer autrui était toujours assez relaxant pour récompenser rien qu’un instant son ego, surtout si on savait, consciemment ou non, que cette personne nous surpassait. Dommage que cela ne soit qu’agréable sur le court terme, rongé par la jalousie, les complexes, et une potentielle culpabilité…
Mais ce à quoi il ne s’attendait pas arriva. Un jour qui ressemblait à tous les autres en somme, où Sel était sur le point de s’endormir… Mais une personne vint le voir. Ce n’était pas un de ses « amis », loin de là… C’était ce fameux Sucre. Avec un grand sourire, tout sucre tout miel, il se posa à coté de l’autre jeune garçon. Il prononça ces nombreux mots, de sa voix candide et très enjouée :
- Bonjour, toi ! Sel, c’est bien ça? Je voulais te dire quelque chose. Chaque fois, je te vois t’endormir dans un coin, tout seul. Tu as tellement l’air de t’ennuyer ! Ça va? Tu aimerais faire quelque chose? Ça te dit de venir jouer avec moi? Tu as des idées de ce que tu aimerais faire ? C’est quoi qui te ferait plaisir ?!... Oh, c’est quoi ta couleur préférée ? Moi j’adore le rose ! Mais je pense que ça se voit…
Tant de questions d’un coup pour ce pauvre petit Sel lui donnait déjà le tournis. Il regarda -tout en prenant son temps- la personne à côté de lui… Quel ne fut pas son dégoût quand il compris faire face à son pire ennemi ! Le jeune garçon fit presque un bond en arrière à cause de cela. Pourquoi venait-il le voir, d’abord ?!
Il répondit sèchement comme à son habitude, de sa voix cassée et hargneuse :
- D’où tu m’approches toi, pour commencer !? Je ne veux pas te parler! Non je ne m'ennuie pas, je vais très bien…! Et non, j’ai rien envie de faire et encore moins avec toi ! Alors… Vas-t’en !
- Mais… Pourquoi es-tu aussi distant avec tout le monde? Répondit Sucre, laissant une moue s’afficher sur son visage. Tu sais, un ami à moi m’a parlé de toi, hier! Il avait l’air vraiment triste de te voir aussi méchant avec lui et avec tous les autres… Il s’inquiétait je pense.
- Tu dis d’importe quoi… Comme si quelqu’un était triste pour moi ! Ou s’intéressait à moi…!
- Et bien tu sais quoi ?… Moi je m’intéresse à toi maintenant ! Du coup, ça t’irait de venir avec moi ? Hein, tu as envie ? Je te promets qu’on va bien s’amuser ! Insista Sucre en reprenant très vite une expression rayonnante.
Cette question laissa un silence... Sel soupira, préférant tourner la tête et regarder le sol. Pourquoi lui proposait-il ça ? Un nom suffisait pas ? Être sec non plus ? Et pourquoi était-il encore là, même ?... Il répondit juste un petit « Laisses moi tranquille… » d’une voix très faible, jouant avec ses mains… Ils restèrent comme ça pendant un court instant qui semblait être une éternité pour Sel. Sucre, de son côté, avait un tout autre type de sourire dessiné sur son doux minois : cette fois, il était malicieux. Sans que Sel n’ait eu le temps de dire ou faire quoi que ce soit, son « pire ennemi » lui prit le poignet, le fit se lever et le tira dans une direction qu’il semblait bien avoir en tête.
- Mais qu’est-ce que tu fais ? Je t’ai dit que j’avais pas envie de venir avec toi ! Grogna Sel.
- Peut-être, mais moi, j’ai envie de mieux te connaître ! J’aime pas voir les gens seuls dans leur coin, car je sais qu’ils ont beaucoup de choses à partager une fois qu’on les connaît bien !... Je t’emmène juste quelque part pour que tu puisses me donner ton avis. Je suis sûr que tu as un pouvoir formidable et que tu pourras m’aider ! Répondit Sucre, visiblement fier de son entêtement.
Ah. Que répondre… Sel était perdu. C’était bien la première fois que l’on insistait autant pour lui parler. La première fois qu’on voulait lui demander conseil, surtout…! La première fois que l’on pensait que son pouvoir n’était pas inutile, ou en tout cas on ne lui avait jamais dit en face… Ainsi, Sel était toujours stressé, mais également curieux. Autant se taire pour l’instant, il verrait bien ce qui se passera...
Peu de temps plus tard, les deux enfants prirent un chemin dans un lieu bien précis et connu : la forêt des sucreries. Cet endroit avait pour don de dégoûter Sel... Il le détestait. Il y avait bien trop de couleurs à la fois, trop d’odeurs se voulant alléchantes mais si chaotiques ensemble, cela donnait un ensemble si criard et d’une certaine manière naïf, … « Tout comme son créateur » pensait-il en regardant Sucre avec un excès de jalousie soudain qui refaisait surface, alors que l’autre garçon, lui, chantonnait avec enthousiasme une comptine.
- Cet endroit me répugne ! Dit finalement Sel pour rompre le silence qui lui semblait pesant. Pourquoi tu m’emmènes là ?!
- Mais arrête de ronchonner ! Ordonna Sucre, quelque peu vexé, C’est le chemin le plus court…
- J’espère qu’on va rapidement y passer alors…
- Pourquoi tu n’aimes pas cette forêt ?
Sucre s’arrêta et se tourna pour regarder Sel droit dans les yeux. Il n’avait pas l’air aussi joyeux que d’habitude, mais il n’avait pas l’air triste pour autant ; il posait juste une question, intrigué. Le petit Sel, d’ailleurs, face à ce regard, tourna la tête -probablement par timidité- et répondit, grimaçant un sourire nerveux :
- Hm… Rien, pour rien. J’ai juste du mal à supporter le mélange d’odeur… Rien de grave hein ! Sinon c’est très joli.
- Oh… D’accord ! Je suis désolé pour ça, j’aime beaucoup l’odeur des bonbons en fait donc j’en mets partout, répondit le jeune Sucre, accompagnant sa phrase d’un petit rire niais. Mais merci du compliment ! Je suis plutôt fier; il faut l’avouer ! Mais ne t’en fais pas. On va bientôt arriver là où je veux t’emmener de toute façon.”
Même s’il ne laissait pas transparaître la possibilité d’être déçu, Sucre semblait soulagé, affichant un sourire rempli de fierté, dissimulant une certaine malice dûe à quelque chose qu’il avait en tête… Sel devrait aussi être soulagé, étant donné qu’il n’a pas été obligé d’exprimer toute sa haine envers son « rival », évitant un conflit ! Mais… Ça le troubla plus qu’autre chose finalement. « Pourquoi l’ai-je rassuré?! » se demandait-il. Cela semblait logique, après réflexion ! Il aurait très bien pu tout lui dire, qu’importe les conséquences ! Sa haine envers lui, sa rancœur contre cet endroit répugnant, il l’aurait laissé partir de cette manière ! Sel continua à ruminer encore et encore, perdu dans ses pensées comme à son habitude.
« Pourquoi ai-je tenté d’être gentil avec lui !? En tout cas c’est sûr, c’est pas parce que j’ai besoin d’un ami ! De toute façon si je lui ai dit ça c’est car il allait prendre la grosse tête croyant que j’étais jaloux ! Oui c’est ça…! Alors que je le suis pas, bien entendu !… Bref… J’espère partir d’ici et vite! »
Après avoir trouvé la justification adéquate pour rationaliser, il finit par arrêter -lentement mais sûrement- de ressasser tout cela car bon… Ce n’était pas vraiment important après tout. Il en avait bientôt fini, et il pourra repartir vers ses petites et passionnantes activités, n’est-ce pas…
Durant le reste du voyage, le plus souriant parlait, discutaillait, chantonnait, racontait sa petite vie de petite personne heureuse par trois fois rien, tandis que Sel se contentait d’écouter, d’une oreille plus ou moins attentive... Après un très long chemin qui semblait interminable, Sucre lâcha le poignet de son « nouvel ami », s’écria avec une joie digne d’un enfant découvrant un trésor :
- C’est ici, c’est ici, c’est ici!
- Pas la peine de le répéter, j’ai compris ! Souffla Sel, bien que ce dernier était assez heureux de voir le bout de ce cauchemar.
- Regarde, tu en penses quoi ? C’est beau hein ?! Je l’ai pas fait tout seul bien-sûr! Comme tu peux le voir là c’est Litchi qui a fait ces fleurs, Chocolait qui a fait cette partie du feuillage, et…
Sel n’écoutait plus ce que disait son interlocuteur. Il était trop occupé à admirer ce si beau paysage…
Ce n’était pas très éclairé, mais tout de même juste assez, grâce à la lumière du soleil timidement caché par les feuilles chocolatées qui faisait rayonner les buissons de fruits et les arbres de pain d’épice, le tout donnant une atmosphère des plus agréables.
Au sol, des fleurs roses et blanches décoraient cette végétation qui n’avait jamais semblée aussi mûre et agréable… Même sans parler des végétaux ! Des papillons blancs comme le lait ou noirs comme les olives volaient un peu partout, embellissant le ciel ou bien se posant de temps en temps sur toutes ces couleurs. Ces dernières étaient variées, oui. Mais cela gardait toujours un certain accord qui rendait ce petit plat forestier harmonieux, plus dans la douceur que le vif. C’était apaisant... C’était très beau. Il y avait au centre un petit lac. Cependant, il semblait figé, dur, solide. Il semblait être fait en… Caramel?
- Dis tu m’écoutes? Gronda Sucre, semblant vexé.
- Hein? Euh oui t’en fais pas, Continues... Tu disais ?
Le petit Sucre soupira pour le coup, avant de laisser s’afficher un de ses nombreux sourires dont il avait le secret, et de regarder le paysage.
- C’est joli hein ? Ce que j’aime avec cet endroit, c’est que beaucoup de personnes y ont participé ! C’est pas toujours évident de travailler à plusieurs… Mais quand on y arrive, c’est toujours génial !
- Oui, c’est vrai… Je suppose.
Cette phrase rendit le plus stressé de nature d’autant plus nerveux. Beaucoup de personnes ont en effet participé pour faire ce paysage… Et lui, qui avait beau observer tout le monde, n’était même pas au courant ! Il fallait dire aussi, qu’est-ce que son pouvoir avait de beau, il ne pouvait rien faire avec… Ou plutôt, il ne devait rien faire avec… Oui. C’est bien ça. Et c’est mieux ainsi, non…?
- Et sinon, hm… balbutia Sel, cherchant une conversation pour vider sa bien lourde tête. Comment ça se fait que le lac soit figé comme ça?
- En fait, commença Sucre en s’asseyant par terre, c’est à moi de m’en occuper, mais… Mon pouvoir ne peut pas faire quelque chose de liquide tout seul…
Il prit les mains de Sel puis le regarda avec un grand sourire rempli d’espoir.
- C’est pour ça que je t’ai demandé de venir avec moi ! Je suis sûr que, à force de regarder tout le monde, tu les connais bien, et donc tu saurais qui pourrait m’aider ! Et puis… continua-t-il, son sourire devant des plus rayonnants. Et puis, je suis sûr que toi, tu as un pouvoir formidable qui peut faire beaucoup de choses merveilleuses ! Je pense qu’il aurait une très bonne utilité ici. Je ne sais pas encore ce que ça pourrait être, mais c’est certain qu’avec ta touche personnelle en plus, cet endroit sera encore mieux !
Sucre reprit sa respiration. Il continua, insistant sur son regard, son sourire s’amplifiant :
- Et puis… Je pense que toi aussi tu es formidable ! Sous tes airs renfermés se cache une personne très gentille qui a beaucoup à dire, j’en suis certain. Je veux plus te connaître. Savoir ce que tu aimes... Ce qui te fait peur… Ce qui te fait rire !... Si on passait plus de temps ensemble, on serait de très bons amis… Peut-être même les meilleurs amis du monde !
Sel écarquilla les yeux. Tant de compliments en un coup ? Mais pourquoi ? Et pourquoi à lui ? Il ne comprenait pas comment l’on pouvait être aussi gentil avec les autres ! Surtout si ces autres étaient si désagréables… Il fut assez flatté, au point d’oublier qu’en face de lui se trouvait son plus grand rival.
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