- C’est… C’est gentil…! bégaya-t-il en lâchant les mains de Sucre, je… Je vais réfléchir à comment vous aider…
- Merci beaucoup ! Répondit innocemment Sucre, reprenant son sourire enfantin habituel.
Cela n’était probablement jamais arrivé au petit Sel. Quelqu’un d’aussi gentil avec lui… Lui, qui n’aimait pas afficher ses émotions aux autres, lui, qui avait tant de méfiance qu’il avait besoin de tant de temps pour s’attacher, attendant qu’on vienne à lui et insiste sincèrement, pour prouver qu’on tenait réellement à lui parler, ce qui fit abandonner bien du monde… La première personne à faire ça, à s’accrocher jusqu’au bout pour le connaître... C’était donc la personne qu’il supportait le moins? Dont il éprouvait de la haine? Dont il était jaloux? Dont il…
… Trop. Trop de questions. Il s'en était posé beaucoup toute la journée, mais maintenant… A force… Il avait vraiment mal à sa tête déjà si fragile de nature. C’était douloureux au point qu’il eût besoin de s'asseoir. Se poser. Se masser les tempes. Essayer de se calmer…
« Tout va bien, c’est juste trop de questions d’un coup… Trop de choses inhabituelles en une seule journée… »
- Ça va aller? Demanda Sucre, inquiet.
- Oui, oui. Ne t’en fais pas, ça… Ça m'arrive souvent.
Il disait des mots se voulant bien rassurants, mais la réalité était qu’il avait bien du mal à se concentrer… À se calmer… Et même à entendre ce qui se passait autour de lui ! Donc pas de son de Sucre qui lui posait des questions. Pas de bruits de pas étranges avant que la vue aussi s’assombrit. Pas de cris de Sucre qui appelait son ami, semblant traîné on ne sait-où… Juste un doux sommeil.
Lorsque Sel se réveilla, il était dans un tout autre lieu. Une pièce aux murs et décorations vives. Les couleurs ressemblaient à celles d’un arc en ciel, mais il fallait du temps pour les discerner toutes les sept. En effet, c’était un tel chaos visuel, ça donnait l’impression que quelqu’un avait jeté des bombes dessus! Tout ce drôle de mélange donnait mal aux yeux ! Sel se mit à grimacer en comprenant où il était… Il connaissait cet endroit.
- Tu t’es enfin réveillé? Demanda une personne cachée dans un coin sombre.
- On aurait bien cru que tu ne te serais jamais réveillé ! En dit une autre.
- Tu sais que…
La troisième personne n’eut pas le temps de répliquer que Sel commençait déjà à partir. Mais il n’eut pas le temps de continuer son chemin que les personnes en question sortirent de leur cachette -si l’on pouvait appeler ça ainsi- pour l'attraper. On vit qu’ils étaient sept en tout, chacun avec une couleur de l’arc en ciel. Le rouge était un jeune garçon qui s’appelait Fraise. Au vu de ses grands airs, on devinait qu’il était -ou qu’il se disait être- le chef de cette « troupe ». Il semblait très complice avec celui en orange et celui en jaune, respectivement Orange et Citron. Le vert s’appelait Pomme, il avait l’air d’être le moins bavard du groupe, mais peut-être est-ce juste une impression… Celui en bleu, appelé Raisin, semblait du genre très réfléchi mais aussi très inventif quand il s’agissait de faire des farces. L’indigo –bleu foncé- était plus petit que les autres, mais ça ne l’empêchait pas de paraître très malicieux ! Son nom était Myrtille. Quant au dernier, Mure, le violet, donnait l’impression d’être une personne impulsive et hyperactive… Sel, lui, les regardait d‘un air dépité. Ces sept petits monstres étaient connus pour chercher des noises à tout le monde, se prenant pour des caïds, même s’ils étaient en réalité plus agaçants que menaçants, voire amusants d’un point de vue extérieur…
- Tu ne m’as pas laissé le temps de finir ma phrase, répliqua Citron, pleurnichant presque.
- J’en ai rien à faire. Lâchez-moi ! Grogna Sel en se débattant.
- Non, tu restes ici!
Ils le posèrent sur une chaise avant de fermer la porte de leur pièce à clef. Sel soupira avant de se résigner. Il restait là, assis, sans bouger, en attendant que cela passe. C’était à se demander s' il n’avait pas l’habitude de les voir, ceux-là…
- Bon… Que dois-je faire pour que vous me laissiez tranquille une bonne fois pour toutes? Demanda Sel.
- Mais tu es une de nos proies préférées, à toujours ronchonner pour rien ! Jamais on ne te laissera partir, annonça Fraise, visiblement si fier de lui qu’il bomba le torse.
Et bien... Le pauvre prisonnier en avait assez de ces andouilles qui venaient de nulle part avec toujours les mêmes répliques, toujours les mêmes farces et toujours les mêmes idées... Pour une fois qu’il faisait quelque chose et qu’il n’était pas seul, en plus...
- Au fait, commença Orange un sourire narquois sur son visage, je croyais que tu détestais Sucre. C’est devenu ton ami ?
- Pas du tout ! Je… Je le hais toujours autant, hein...! Hésita Sel.
- Ne dis pas de bêtises. Répliqua Raisin, nous savons très bien que tu as toujours voulu t’en faire un ami. Tu l’admires depuis toujours, mais tu es bien trop renfermé pour essayer de lui parler.
- Quoi?... Mais non ! C’est même pas vrai, je l‘admire pas! Je…
Le petit Sel baissa la tête. C’est vrai qu’il a toujours été timide et qu’il cachait ce trait de caractère par un air froid. C’est également vrai qu’il était jaloux de Sucre, mais au point de dire qu’il l’admirait… Peut-être était-ce exagéré… Non ?
- Peut-être, mais tu voulais t’en faire un ami n’est-ce pas ? Insista l’autre.
- … Ça suffit.
Déjà que Sel avait mal à la tête, le voilà entouré d’idiots qui lui faisaient la morale ! Il en avait bien assez de cette journée… Toutes ces histoires le fatiguaient… La meilleure solution était sûrement de ne plus rien dire, sans prêter attention à leurs remarques, jusqu’à ce que l’ennui les fasse arrêter.
- Bon alors… Qu’est-ce qu’on va te faire faire aujourd’hui ? Dit Citron, l’air impatient.
- Je propose qu’on lui mette une tenue ridicule, Répliqua Myrtille avec un sourire se voulant narquois.
- Mais non, mais non, répliqua Raisin, il faut faire quelque chose de bien plus inventif. N’oublies pas qu’on a une réputation à tenir…
- Moi je dis qu’on doit lui interdire son pouvoir ! Proposa Mure.
- Euh… C’est peut-être trop radical, pour le coup. Répondit Raisin.
Pendant que ces charmants imbéciles se disputaient, Sel essayait de chercher une sortie tout en se faisant discret… Se souvenant que la porte était -contrairement aux autres fois- fermée à clef, il fallait bien trouver une autre issue. Voyons… Les fenêtres étaient fermées, il n’y avait aucun conduit d’aération ou quoi que ce soit… Les sept fruits avaient bien réfléchi à leur coup pour une fois ? C’est-ce qu’il croyait, jusqu’à ce qu’il entendit une voix. Une voix familière qui l’appelait. C’était… Sucre? Il profita de la discussion des fruits entre eux pour se diriger discrètement vers ce son… Derrière un meuble ? Ils n’avaient tout de même pas fait un « passage secret » derrière un meuble ! On dirait presque des méchants de dessins animés faisant exprès d’avoir d’autres sorties pour arranger les gentils. N’importe quoi… Mais cela leur allait bien au final. Croyant ainsi en cette théorie, Sel poussa légèrement le meuble et il fallait croire que oui, il y avait en effet un passage secret. Afin de pouvoir rentrer convenablement, le jeune garçon continuait à pousser la commode. Mais c’était lourd. Il avait du mal, et…
- Qu’est-ce que tu fais!? S’écria un des fruits.
- Il s’échappe! Il s’échappe! Répéta Mure.
Sel était mal. Il n’arriverait sûrement pas à sortir de là à temps ! Il redoubla de force. C’était sa dernière chance… Ce fut à sa grande surprise qu’il arriva à pousser le meuble entièrement… Parfait, autant se faufiler de l’autre côté avant de réfléchir à comment cela était possible ! Il tira l’objet pour le mettre à sa place initiale, toujours avec la même facilité… Sel soupira de soulagement. Il était enfin débarrassé de ces fruits. Il regarda aux alentours, voir ce qui a bien pu l’aider à faire tout cela de manière si aisée. Sucre était la ? C’était l’explication la plus logique après tout ! Il regarda mieux et… Oui, il était là, avec un sourire tout joyeux. Sel ne fut pas vraiment surpris de le voir étant donné qu’il l’avait entendu auparavant, mais le fait de savoir qu’il l’avait aidé… Qu’il l’avait sauvé… Le jeune garçon stressé était heureux. Il commença à prononcer quelques mots timides, bégayant :
- J-je… Mer…
- On parlera plus tard, ils peuvent encore nous rattraper !
Sucre prit la main de son partenaire et commença à courir. Le pauvre Sel fit de son mieux pour s’adapter à cette vitesse, lui qui n’était pas très sportif et n’aimait vraiment pas courir comme ça… Mais c’était pour une bonne cause ! Ils réussirent à s’échapper sans encombre. Peut-être que les fruits les ont laissés faire pour préparer autre chose, mais autant ne pas y penser pour savourer une victoire ! Ils se posèrent dans une clairière assez calme. Cette fois, c’était le bon moment pour les soupirs de soulagement. Sucre fut le premier à parler :
- D-désolé, commença-t-il, je n’ai pas pu les empêcher de t’emmener. Ils étaient venus tout d’un coup, tous les sept, et je…
- Je comprends, t’en fais pas, va… C’est déjà très gentil que tu sois venu pour m’aider !… Mer… Merci beaucoup…!
- Mais c’est normal voyons ! Je n’allais pas te laisser comme ça sans rien faire ! Et puis… On est amis maintenant, non ? Demanda le petit Sucre avec un de ses plus beaux sourires.
Cette question résonnait dans la tête de Sel. Principalement le mot « amis »… Il lui est si néfaste d’habitude ! Mais là. A cet instant même… Qu’est-ce que ça pouvait lui faire plaisir. Cette question était posée avec tellement de joie, tellement de sincérité… C’est encore plus beau que les moments où il l’imaginait, du temps où il était tout seul, avec ses pensées et ses ruminations.
- O-oui, balbutia-t-il, timide mais flatté. Nous… Nous sommes amis !
Il finit sa phrase par un sourire. Un très beau sourire. C’était rare pour lui, d’avoir ce genre d’expression ! Et pourtant, cela ne semblait presque pas suffisant pour exprimer toute la joie qu’il ressentait, en ce moment même.
Le temps passait et les deux enfants se promenaient, ensemble, partageant ce bonheur contagieux… Puis Sel s’arrêta quelques secondes avant de dire à son ami :
- En fait… Vu que tu voulais des conseils pour ton lac… J’y ai réfléchi, et je pense que Beurre pourra t’aider. J’avais remarqué il y a longtemps qu’elle était assez forte pour rendre plus doux quelque chose de solide !
- Mais c’est vrai, j’y avais pas pensé ! répondit Sucre, content de voir que son ami avait réfléchi à sa problématique. Mais il manquerait quelque chose pour le rendre vraiment parfait…
- Quoi donc…?
Affichant un sourire plus malicieux que jamais, Sucre attrapa les mains de Sel comme la dernière fois… C'était avec des yeux pétillants qu’il lui dit ces quelques mots :
- Une pincée de sel pour faire un mélange sucré salé !
- Quoi? Tu crois que ça va apporter quelque chose…? Vraiment ?
- Fais moi confiance ! Avec toi qui participes, ce sera le plus beau des projets !
Quelque temps après cela, le temps de tout mettre en place, le lac de caramel devint un lac de caramel au beurre salé. Un lac très doux, avec un goût des plus étonnants, possédant un mélange de saveurs simples mais créant un tout des plus remarquables… Ce mélange, ce goût opposé mais également équilibré… C’est le goût de l’amitié.
Le caramel au beurre salé vient de Bretagne. Si vous n’en avez jamais goûté, je vous en conseille fortement, en bonbons ou en pâte à tartiner, se mariant très bien avec les crêpes et les glaces. Personnellement, je pense qu’il s’agit de mon caramel préféré. J’aime avec quelle façon le sel se mélange à quelque chose d’habituellement très sucré! Ça le rend très doux.
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