Cette histoire se passe à une époque où il y avait vaguement moins d’habitants qu’à présent. Parmi eux se trouvait un jeune homme qui s’appelait Choconoir. Il était plutôt mature pour son âge, en plus d’être très débrouillard ! Mais il avait beaucoup de défauts, le premier étant sa colère, qu’il contenait principalement en jouant de la musique sur son piano qu’il a confectionné lui-même. A cela s’ajoute une tendance moqueuse, taquine et parfois même hautaine. Il adorait d’ailleurs embêter son meilleur ami Fromage-Blanc, qui lui était d’un naturel calme et peu susceptible. Il s’amusait même souvent à lui répondre. Gentiment. Et calmement. C’était justement pour cela que Choconoir lui en faisait voir de toutes les couleurs ! Il aimait la compétition. Il aimait bien plus se confronter à quelqu’un de dur à faire céder et parfois aussi moqueur que lui, plutôt que quelqu’un qui pleure à la première blague ne se voulant pas si méchante ! Il colorait alors en noir les doux nuages faits par Fromage-Blanc, il adorait aussi le rouler dans le miel ou les confitures… Le petit Fromage-Blanc cédait parfois, mais c’était suffisamment exceptionnel pour rendre Choconoir fier. Bref, ces deux-là se bataillaient souvent, mais ils étaient aussi très proches… L’amitié est étrange parfois, n’est-il pas.
Et sinon, que faisait-il de ces journées, ce brave Choconoir ? Beaucoup de choses ! Il travaillait beaucoup. C’était pour ça que le soir d’ailleurs, comme en ce moment-même, il se reposait dans un coin tranquille : un champ de céréales divers et variés,
« Le coin parfait pour faire une sieste » disait-il souvent.
Cependant, cette soirée-là fut différente… Le jeune homme regardait les horizons en chantonnant légèrement comme à son habitude, mais il aperçut quelque chose… Quelque chose qui ne devrait pas être ici. Quelque chose qui allait lui faire vivre un enfer, bien qu’il ne le savait pas encore… Ce quelque chose, c’était… Quelqu’un : un tout petit enfant. Il lui ressemblait beaucoup, excepté qu’il avait des couleurs plus claires, et évidemment son jeune âge. Ce petit le regardait, avec de grands yeux et un grand sourire. Il dit avec une voix innocente et enfantine :
- Grand frère!
Les mots de Choconoir, quand à eux, ressemblaient plutôt à quelque chose comme :
- Que… Quoi ?!
Le plus grand était perplexe. Un frère !? Mais depuis combien de temps ?! C’était compliqué, avec ce monde où les personnes peuvent naître à partir d’un simple mélange d’aliments, suite à une création à plusieurs, par exemple. Les liens familiaux se forgent donc généralement grâce à une partie d’ingrédient commun, si ce n’est pas parfois juste une affinité sociale. Dans le cas présent, c’était vrai que ce petit lui ressemblait énormément. C’était indéniable, il avait du chocolat en lui. Mais… Pourquoi a-t-il fallu que cela tombe sur quelqu’un qui aime plus que tout la liberté? Pourquoi faudrait-il encaisser la responsabilité d’un frère du jour au lendemain ? Frère auquel il devra s’en occuper jusqu’à ce qu’il grandisse? C’est si long... Pendant ces réflexions, le petit s’était de Choconoir. Puis le fixa avant de tendre ses petits bras.
- Je peux avoir un câlin, grand frère ?! Disait-il d’un air enjoué.
- Non.
- Mais… Pourquoi? Demanda l’enfant, son expression devenant tristounette.
- J’ai pas envie, c’est une raison suffisante crois-moi.
- Mais... Je…
Le cadet ne savait plus quoi dire. Il ne pensait pas que son frère, à peine rencontré, le rejetterait ainsi ! Alors il continua de le regarder. Toujours cet air abattu sur le visage… Puis un reniflement. Puis un second. Puis des petites larmes faites de chocolat mélangées à du lait commencèrent à couler de ses grands yeux… Qu’avait-il fait de mal ? Son grand frère ne l’aimait pas !? Il voulait juste un câlin ! C’est si injuste ! Les petites larmes devinrent très rapidement de gros pleurs… À ça s’ajoutaient de lourdes doses de cris, typique d’un enfant blessé, n’ayant commis comme seul crime de demander de l’attention. Et là, même si Choconoir n’était pas le plus sensible, il avait du mal à voir ce pauvre petit pleurer par sa faute. Enfin… C’était dur de savoir s' il était affecté de voir ce petit triste ou s' il ne pouvait pas supporter ces cris. Il n’eut pas d’autre choix que de prendre son cadet dans ses bras et essayer de le consoler, le tout avec sa plus grande finesse et de si douces phrases comme « Mais arrêtes de pleurer ! Y a aucune raison ! ».
Étonnamment, ça faisait l’effet inverse de ce qu’il voulait. Le pauvre Choconoir ne savait pas du tout quoi faire… Demander de l’aide était la seule option possible. Tenant toujours son cadet dans ses bras, dont les sons incessants étaient de plus en plus agaçants, il se dirigea jusqu’à ce qui ressemble à ce que l’on appelait tout simplement chez nous une « maison ». Elle était blanche et très très grande ! Elle pouvait facilement accueillir des dizaines de personnes. Choconoir ouvrit brusquement la porte et dit :
- Excusez-moi! Fromage-Blanc est là?
- Bonjour Choconoir, répondit une femme avec un grand sourire. Il est dans le salon, tu peux aller le voir si tu veux.
- D’accord. Merci Madame Lait.
- Ce n’est rien, voyons ! C’est toujours un plaisir de t’avoir avec nous... Mais dis-moi, qui est-ce petit bout que tu tiens dans tes bras ? Il a l’air si triste...
- C’est justement pour ça que je suis venu. J’ai quelques trucs à demander.
- D’accord. J’espère que l’on pourra t’aider!
Elle était toujours très souriante, malgré les pleurs du petit. On ressentait bien là l’habitude d’une mère patiente… Choconoir se dirigea donc vers son ami, l’air renfrogné. Laissant le petit frère devant lui, il finit par demander :
- Salut, j’espère que tu vas bien, tout ça… Bref. Dis-moi. Qu’est-ce que je dois faire de ça ?
Fromage-Blanc regarda un moment son ami… Puis le petit… Puis encore son ami… Puis il finit par dire :
- Qui est-ce?…
- Apparemment, j’ai un petit frère maintenant… Et c’est lui !
- ...Un petit frère, tu dis. Et tu n’es pas content?
- Bien sûr que non ! J’ai jamais eu de famille, moi ! Je sais pas comment m’y prendre. En plus il n’arrête pas de pleurer… J’ai pourtant été gentil avec lui!
- … Je ne sais pas pourquoi, mais j’en doute un peu, dit Fromage-Blanc en rigolant légèrement, mais c’est pas le plus important… Du coup, je suppose que tu veux de l’aide ?
- T’as tout compris ! Toi qui as toujours eu plein de frères et sœurs, je me disais que tu pouvais me donner des conseils. Et pitié, fais le taire. Par n’importe quel moyen… Même si tu dois lui couper la langue !
- Oh… Mais non, voyons.
Fromage-Blanc prit l’enfant avec une des plus grandes douceurs possibles, et le blottit dans ses bras. Toujours en faisant preuve de tendresse, il murmura des phrases comme « Tout va bien maintenant. Repose-toi avec moi. » ou bien « Ton grand frère est très méchant mais je te promets qu’il fera des efforts… » -ce qui d’ailleurs vexa ce dernier.
- Je pense pas que c’est en critiquant son incroyable grand frère qu’il va se sentir mieux ! Ronchonna-t-il.
Fromage-Blanc rit en entendant ça... Mais ce n’était pas pour autant qu’il arrêta de dire à ce petit que son frère était assez sévère. Il en venait même à faire des grimaces -gardant cependant une expression neutre- pour imiter Choconoir, se moquant… Gentiment. Le petit enfant se frotta les yeux pour essuyer les quelques larmes restantes et observer les deux grands, avant de se concentrer uniquement Fromage-Blanc... Puis enfin, il sourit ! Il se mit même à rire de plus belle.
- … Tu disais donc? Demanda Fromage-Blanc à son ami, avec un petit sourire moqueur sur le visage.
Choconoir était indigné. D’où se moquait-il ainsi ?! C’était insupportable ce sentiment, quand on avait tort mais qu’on refusait de l’avouer à cause d’un certain égo !... Le brun se contenta de tourner la tête et de prononcer un « merci » d’un ton assez contrarié.
- Mon frère est donc méchant ? Demanda le petit.
- Oui il l’est ! Il est très méchant... Et grincheux, et surtout très amer, insista Fromage-Blanc. Cela dit… C’est surtout l’image qu’il donne, au début… Sinon, tu verras, c’est une bonne personne, une fois qu’on le connaît bien, car il essaye toujours de faire des efforts contre sa méchanceté... Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle « Nounours » ! Un ours c’est effrayant et mignon à la fois…
- Mais oui, bien-sûr, ironisa Choconoir, ricanant. Moi je suis un nounours, et toi un paresseux.
- …Vendu.
- Moi en tout cas, je t’appellerai comme ça ! Nounours, nounours… répétait le plus petit.
- Non. Tu arrêtes tout de suite.
Le jeune homme soupira. Ce n’était pas parce que c’était un gamin qu’il pouvait se permettre de dire n’importe quoi non plus.
- Tiens j’y pense, commença Choconoir, se remettant à sourire. Tu sais mieux gérer que moi les enfants, à force de te coltiner tes petits frères et petites soeurs. Moi je n’en ai eu aucun jusqu’à aujourd’hui. Et tu sais quel autre aliment il a en lui ? Du lait. Eh oui, comme toi. Ça te dirait, un nouveau petit frère ? Il a l’air de t’apprécier en plus !
- … Voudrais-tu, par hasard, te débarrasser de ce petit en me le laissant ? C’est mal, tu sais… C’est toi, qu’il considère comme son frère, ce n’est pas pour rien… Et puis… Il n’y a rien de plus adorable qu’un enfant. Crois-moi, s’occuper d’un petit est vraiment une bonne chose. Tu apprends beaucoup de choses sur toi. Un jour ou l’autre, il te le rendra…
- Ça m’intéresse pas. Et j’ai pas envie de faire n’importe quoi, alors qu’avec toi je sais que tout ira bien.
- Allons, ne t’inquiètes pas… Je t’aiderais, promis.
Choconoir n’avait pas l’air très convaincu. Si ses conseils proposaient de faire rire le petit en se tournant au ridicule, ce n’était vraiment pas la peine. Mais le jeune homme n’avait pas d’autres alternatives que son ami pour l’aider, et il était expérimenté sur le sujet… Il se contenta de ronchonner, marmonnant encore une fois un « merci ». Puis il partit de la maison avec le petit à côté de lui, faisant un simple mouvement de la main pour dire au revoir.
Une fois sortis de la grande maison, Choconoir guida son frère chez lui -ou devrait-on dire maintenant chez eux. Le plus jeune regardait son aîné, le visage décoré d’un sourire naïf.
- Grand frère !
- Quoi ?
- Tu préfères Grand frère, ou Nounours ?
- Sérieusement ? soupira l'aîné. A la limite Grand frère si tu veux, mais pas Nounours ! En plus, mon vrai nom c’est Choconoir.
- Oh, d’accord…! Je vais t’appeler Grand frère alors. Je préfère ! Et moi, tu vas m’appeler comment ?
- Hein?
- Et bien… Tu vas m’appeler comment ? Petit frère ? Frangin ? Ou bien… Je peux avoir un nom rien qu’à moi ?! Demanda l’enfant, des étoiles plein les yeux.
- Que dis-tu de… Casse-pieds ? T’aimes bien ? Proposa Choconoir, ricanant.
- Mais ! Non ! Et c’est même pas drôle ! ronchonna le cadet, gonflant les joues.
- Ça va, je voulais pas être méchant, pleures pas… Bon. Chocolait, ça te va ?
- Choco… Lait… Chocolait…! J’aime bien ! Chocolait ! Merci, grand frère !
Chocolait s’apprêtait à se jeter sur son frère adoré, mais ce dernier le repoussa une fois de plus. Il ne fallait pas exagérer et être émotionnel pour si peu, non plus !
- Eh, c’est pas une raison pour me faire des câlins des bisous ou je ne sais quoi.
- Mais…
- Pas de « mais ». J’aime pas ça, donc laisse tomber. Merci.
- Je… Bon… D’accord Grand frère…
Le cadet semblait déçu. Lui qui sentait le besoin d’être cajolé, réconforté, complimenté…! Cela n’allait pas être récurrent avec son aîné.
Ainé qui n’était pas non plus très enchanté de cette rencontre. « Une horreur » se disait-il. Une horreur de devoir s’occuper d’un enfant ! Cela aurait peut-être plu à beaucoup de personnes, mais lui, il avait besoin de ses moments de tranquillité sans s’inquiéter constamment de ce qui se passait autour ! Mais bon, il n’avait pas le choix après tout. Fromage-Blanc ne voulait pas le récupérer, et ainsi il ne pourrait pas être dans la famille de Madame Lait…
Choconoir devait prendre la responsabilité de s’occuper de ce petit. Les enfants abandonnés pouvaient facilement causer des gros problèmes avec leurs pouvoirs, n’ayant jamais appris à les utiliser correctement. Et puis… Qui sait, peut-être qu’avec le temps de tout comprendre, les choses se passeront bien, et il sera facile de s’assagir… Il gardait cet espoir en lui. Après tout, on ne pouvait jamais prévoir…
S’assagir ? Bien se passer ? Quelle blague ! Les jours s'accumulent et… C' était de moins en moins supportable ! Il passait d’euphorie à tristesse sans raison logique, ne savait jamais ce qu’il voulait dire ou faire, boudait à chaque fois que son aîné lui refusait la moindre chose… Mais le pire dans toute cette histoire, c’était que Chocolait demandait et redemandait encore et encore de l’affection. Des câlins, des sourires, …
Il demandait même parfois de dormir avec lui, sous prétexte qu’il avait fait un cauchemar ? Et puis quoi encore ! Déjà que Choconoir lui avait conçu un lit des plus doux et aux gouts du petit, il ne fallait pas exagérer ! Rien à dire, s’occuper d’un enfant, c’était vraiment épuisant… Il demandait de l’aide à Fromage-Blanc quand les choses dérapaient –c’est-à-dire souvent. Heureusement qu’il était là…
Le temps passait, et bien que ce n’était guère si long qu’il n’y paraissait, cela semblait déjà une éternité pour Choconoir…
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