Chapitre 17
Elodie
Le reste de la journée se déroule dans une sorte de brouillard indistinct. Je ne parviens pas à me concentrer en cours, et Mme D. semble en ébullition autour de moi. Quand on est en pratique, elle s’asseoit près de moi.
- Ça va miss ? je crois que ces derniers jours ont été plutôt difficiles à vivre.
- Je ne sais pas trop madame, j’avoue. Je crois que je ne réalise pas.
Elle hoche la tête et s’en va, me rappelant doucement qu’elle est là en cas de besoin. J’esquisse un pauvre sourire.
Enfin, à dix-sept heures, les cours sont finis et j’arrive à l’appartement. On est vendredi soir et j’ai l’impression que la semaine a duré plusieurs mois. Léo n’est pas là visiblement. En revanche, il a commencé à emballer ses affaires. Pas les miennes à ce que je vois. Ce qui m’agace profondément. Ça me donne l’impression qu’il va partir sans moi. Je sais que c’est une idée stupide mais elle persiste dans un coin de ma tête. Je me fais un thé et m’asseois sur le canapé, totalement désemparée. Je n’ai même pas mis de musique, comme je le réalise au bout d’un moment. Je crois que rester dans le silence, comme ça, ça ne m’est jamais arrivé. Je vis accrochée à mes écouteurs ou à mon enceinte.
Soudain, j’entends les clés dans la serrure et Léo entre dans l’appartement. Il est allé faire quelques courses pour ce soir, mais je réponds à peine au baiser par lequel il effleure mes lèvres. Je l’entends fourgonner dans la cuisine, puis il revient avec deux bouteilles de Despe Red et un grand sourire aux lèvres.
- J’ai une surprise.
Face à mon silence hagard, il poursuit.
- J’ai trouvé un appartement, j’ai récupéré les clefs hier : on déménage ce week-end. J’ai commencé les cartons, tu as vu. Et …
- Seulement les tiens.
- … quoi ?
- Tu as uniquement commencé tes cartons à toi. Tu n’as pas emballé mes affaires.
Il me fixe étrangement.
- C’est vrai, articule-t-il lentement. Je voulais pas que tu te sentes obligée.
Comme je le regarde d’un air totalement abruti, il continue.
- Au début, j’avais envisagé te faire une méga surprise et tout déménager et tout installer dans le nouvel appartement. Pour que tu ne t’occupes de rien. Comme tu t’étais souvent occupée de moi. Je voulais faire pareil pour toi. Et puis… tout à coup j’ai douté. Tu n’as jamais eu ton mot à dire avant, sur les déménagements de ta mère, sur l’appartement, vivre avec Guy, puis mon départ, puis ton départ. Bref, je voulais que tu te sentes libre. C’est un appartement pour nous deux, en centre-ville, pour qu’on soit près des transports pour la fac ou les écoles que tu avais repérées. Et j’ai immensément envie qu’on vive ensemble officiellement dans un chez-nous à nous deux. Mais il n’y a aucune obligation. Tu es libre. Je voulais t’offrir ça. Le choix.
Je reste silencieuse. Mais quelque chose se rompt en moi, comme une digue qui retenait des émotions étouffées. Les larmes coulent sur mes joues, et en quelques secondes, je me retrouve en train de pleurer à gros bouillons, accrochée au tee-shirt désormais trempé de Léo qui me serre dans ses bras, visiblement affolé.
Quand, au bout de longues minutes, je réussis à me calmer, j’essaie de mettre de l’ordre dans mes idées et de lui expliquer ce que je ressens. La douleur et le rejet vis-à-vis de ma mère. La peur pour l’avenir et le fait de commencer une nouvelle vie. Avec parcoursup, le fait de trouver un travail en plus de mes études. Je n’imagine même pas ce que lui a pu ressentir quand Guy l’a mis dehors, avec rien et aucune perspective.
- Je n’avais pas totalement rien. Entre mon père et toi, je savais que j’allais récupérer au moins une partie de mes affaires. Et tu étais là. Dans ma vie. Tu es une constante. Ce qui me stabilise. Il continue en chuchotant : je t’aime tellement Elo.
Cette fois c’est moi qui le serre dans mes bras : moi aussi je t’aime.
On reste ainsi enlacé quelques instants, puis je l’entends chuchoter : et du coup, pour l’appartement, tu choisis quoi ?
Je mets quelques secondes à comprendre ce qu’il me demande et pourquoi il est aussi tendu. Puis j’éclate de rire. Comme si j’allais vivre sans lui !
Nous trinquons avec nos bouteilles de bière et nous attelons à emballer tout ce qui nous appartient dans l’appartement.

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