Apollodore regagna la petite chambre qu'il occupait. Il se laissa tomber sur le petit lit au coin de la pièce avant de prendre son carnet de croquis et un fusain. Il commença par esquisser quelques silhouettes sans vraiment de personnalité, avant que son trait ne se précise. Il laissa sa main se libérer de sa volonté et s'exprimer son inspiration. Et peu à peu, ses traits se lièrent entre eux, pour faire des formes plus vivantes. Un corps, une main, des yeux. Puis tout à coup ça lui sauta au visage. Ce n'était pas un corps, une main, des yeux : c'était son corps, sa main, ses yeux. C'était Icare. Il ne savait pas pourquoi, ni comment, mais c'était tout ce qu'il arrivait à dessiner ce soir. Sans réel fondement, il n'avait que lui en tête, et juste au bout des doigts. Il tenta de rediriger son inspiration, de représenter autre chose, mais à chaque fois, tout revenait à ses cheveux blonds, à ses yeux rieurs et à son sourire angélique quoique légèrement hautain. Excédé, il lança son carnet au travers de sa chambre. Dessiner l'avait toujours détendu, mais ce soir rien n'y faisait. Il était incapable de se sortir Icare de la tête et ça l'énervait. Pourquoi ne pensait-il qu'à ce garçon alors qu'il était évident que ce dernier n'avait eut d'yeux que pour ces deux filles ? Et puis pourquoi ça l'énervait d'abord ? C'était stupide.
Quelques coups retentirent à sa porte et il accueillit cela comme une distraction toute bienvenue. Il se leva, arrachant un grincement aux ressors du petit lit, et sans prendre le temps de réarranger sa chemise entrouverte, il ouvrit la porte. Il rougit et la reboutonna quand il se rendit compte qu'il se trouvait en face de son professeur de sculpture.
« Monsieur Laurent ? »
« Oh je t'en prie Apollodore, appelle-moi Alain. »
« Je... Qu'est-ce qui vous emmène ? »
« Oh, oui, je sais il est plutôt tard pour venir te déranger dans ta chambre, je suis désolé, je devrais peut-être repasser plus tard. Ou bien non, nous verrons ça en classe. Ce sera peut-être mieux. »
« Vous ne me dérangez pas. Je veux dire j'essayais de dessiner, mais c'était pas très concluant de toute façon. »
« Je suis sûr que tu es trop dur avec toi-même. Tu peux me montrer ce sur quoi tu travaillais. »
« Vraiment ? Vous jèteriez un œil ? » Interrogea Apollodore. S'il y avait une chose qu'il ne refusait jamais, c'était les conseils de ses professeurs d'art.
« Bien sûr. J'étais justement venu pour te parler de ton travail. Je regardais les dernières productions que je vous ai demandé en classe, et je ne saurait comment te l'expliquer, mais la tienne se démarque. Elle se démarque vraiment. Elle est vivante. Vibrante. Je... je peux rentrer et qu'on parle de ça plus en détails ? »
Apollodore acquiesça et se décala pour lui laisser le champ libre. Il referma la porte à sa suite et ils s'installèrent, le professeur sur la chaise de bureau et Apollodore sur son lit. La chambre était exiguë, forçant la proximité. Proximité qui rendait Apollodore un peu mal à l'aise.
Monsieur Laurent saisit le carnet de croquis retourné au sol et lissa les pages froissés.
« Ah, la colère d'artiste fait des ravages à ce que je vois. »
« J'arrivais juste pas à avoir le rendu que je voulais. »
« Personnellement, je les trouve très bien ces dessins. Le mouvement est fluide. Et... » Il tourna quelques pages. « Et ce regard. Saisissant. »
Ce regard était celui d'Icare. Tous ces dessins étaient Icare.
« Apollodore. Ce que je suis venu te dire, c'est que ton talent est époustouflant. Et je pense qu'en le cultivant un peu, tu pourrais remporter le concours de l'académie. »
« Le conc... vraiment ? Vous plaisantez ? »
« Non. Tu es doué Apollodore. Et... » Il se pencha en avant, réduisant l'espace entre eux, rendant l'atmosphère sensiblement plus intime. « Je pourrais te donner des cours plus particuliers. T'aider, te guider pour produire une œuvre qui saurait convaincre le jury. »
Apollodore n'en croyait pas ses oreilles. C'était le genre de proposition qu'il avait attendu toute sa vie. Il s'imaginait mal gagner un concours d'une telle ampleur, mais l'appui de son professeur représentait énormément pour lui. Et le fait qu'il ait cette passion dans la voix quand il parlait de son art flattait Apollodore au plus haut point. Depuis le début de l'année, il avait toujours sentit une certaine connexion, une alchimie avec son professeur, mais il craignait d'avoir une trop haute opinion de lui-même et de se faire des idées. Finalement, peut-être pas tant.
« C'est tout ce dont je voulais te parler. Tu n'es pas obligé de prendre ta décision tout de suite, mais ne tarde pas trop non plus, les délais pour les inscriptions son plutôt courts. » Le professeur s'assura de marquer un contact visuel avec son élève pour être certain qu'il ait comprit. « Aller, je ne t'importune pas plus. Mais si tu as des questions, n'hésite pas à venir me voir après un de mes cours ou même dans mon bureau. » Il marqua une pause, comme s'il hésitait à ajouter quelque chose, et alors qu'il se levait pour ouvrir la porte qui donnait sur le couloir, il souffla « ou dans ma chambre. »
Après cette visite impromptue, Apollodore eut du mal à trouver le sommeil. Cette idée de concours qui planait au dessus de sa tête lui nouait le ventre. Il aurait voulu avoir quelqu'un à qui en parler, mais il était trop tard pour descendre à l'accueil et passer un coup de téléphone à ses parents, et puis il n'était pas certain de vouloir lui parler avant que les choses soient officielles. Il savait que si jamais il ébruitait les choses auprès de son père, ce dernier le forcerait à participer à ce concours, et ça lui mettrait encore plus la pression. Il devait prendre sa décision seul avant d'en parler. Encore une fois, quand il ferma les yeux, l'image d'Icare s'imposa à son esprit. C'était stupide, il ne connaissait même pas, pourtant, à lui, il avait envie d'en parler. L'esprit toujours empli du souvenir du blondinet, il mit un moment à s'endormir.
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