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La chute d'Icare

NOUVELLE VOLIÈRE • PT. II

NOUVELLE VOLIÈRE • PT. II

Feb 19, 2023

Apollodore poussa la petite porte d'un établissement avec terrasse sur le boulevard Saint-Germain, faisant tinter la petite clochette à l'entrée, et se dirigea vers le bar. Il s'assit sur l'un des sièges de bar en bois dont l'assise était couverte de cuir rouge, et attendit qu'Icare fasse de même avant de héler le serveur derrière le bar. À la radio, la voix profonde de Joe Dassin entonnait le second couplet de Siffler sur la colline. Apollodore commanda deux cafés accompagné de leur traditionnel croissant au beurre. Sans attendre, il croqua à pleine dents dans la pâtisserie un peu trop grasse qui laissa une myriade de miettes croustillantes sur le buffet, juste à côté de la petite serviette blanche sur laquelle elle avait été servie.

Encore une fois, Icare eut un moment d'absence. Juste comme cela, à le regarder, il en oublia que le monde autour était quelque chose de tangible, tout ce qui n'était pas Apollodore lui semblait tourner au ralentis, comme dans une brume liquide. Il ne voyait plus ni le bar de bois sombre, les les détails en laiton qui l'ornaient, ni même la lumière qui se reflétait dans les bouteilles d'alcool et les les miroirs derrière celles-ci. De toute façon elle aurait paru bien terne face à l'éclat qui nimbait Apollodore.

« Alors ? »

Le timbre chaud du garçon le coupa de sa rêverie dont il était pourtant le sujet principal.

« Alors quoi ? »

Avant qu'il ne puisse lui répondre quoi que ce soit, la petite cloche de l'entrée tinta de nouveau, et deux jeunes filles s'engouffrèrent à l'intérieur par la porte ouverte, venant s'accouder juste à côté d'eux, tout en continuant à discuter bruyamment. L'une d'elles avait les cheveux très courts coiffés d'un bandeau jaune assorti à la couleur de sa jupe. Elles portaient toutes les deux la mini-jupe, l'une avec des bottes blanches en vinyle montant jusque mi-jambes, l'autre avec des chaussettes montantes et des petites chaussures basses,  s'attirant quelques regards désapprobateurs de la part de certains de leurs aînés. Sûrement devaient-ils être du genre à se dire que leurs tenues, de même que leur coiffure, et le fait même de se rendre seules toutes les deux dans un bar, était un pur outrage à la décence. Icare, lui, adorait ça. Il adorait ce petit air effronté qu'il voyait sur le visage de celle aux cheveux courts alors qu'elle parlait avec un débit impressionnant elle commanda une bière alors que son amie, qui semblait plus sage, opta pour un classique café au lait. 

Celle aux cheveux plus longs et bouclés, d'un noir de geais, parlait avec un joli accent chantant, peut-être italien. Elle avait les dents légèrement en avant mais n'en restait pas moins jolie, parce que pleine de vie. Toutes deux s'esclaffaient bruyamment en se rappelant l'une l'autre des souvenirs d'une marche qui semblait pourtant ne remonter qu'à quelques poignées de secondes auparavant. Elles étaient encore dans l'énergie libératrice et enivrante de ce qu'elles avaient vécu. C'était pour toutes les deux la première fois qu'elles faisaient une manif, et elles avaient adoré cela. En ce mardi de premier mai, elles s'étaient jointes à la marche de manière toute à fait candide et spontanée, sans même vraiment bien en connaître les tenants et aboutissants, sans savoir qui en étaient les organisateurs. Il y avait des banderoles anti-guerre et des drapeaux de la CGT. Tout ce qu'elles savaient c'était que cette marche était placée sous le signe de la protestation contre la guerre du Vietnam qui faisait inutilement rage depuis déjà treize ans. Elles s'étaient simplement retrouvées prises dans la foule, et sans réfléchir, s'étaient jointes au cortège, reprenant en cœur les slogans et chants clamés à voix fortes. Elles étaient jeunes et en colère, et c'était tout ce qui comptait, qu'importe la raison, qu'importe l'endroit. Elles voulaient être libres et se revendiquer comme tel. Leur seul mot d'ordre était l'émancipation contre l'ordre injustement établi, même si cela comportait des risques. Elles étaient au fait des arrestations en masse qui pouvaient y avoir lieu, comme celles du ''Comité Vietnam'' formé par un groupe d'étudiants de la faculté de Nanterre qui avaient brisé il y avait quelques jours de cela les vitres de l'American Express en signe de protestation contre l'impérialisme américain. Suite à leur arrestation jugée illégitime selon leurs pairs, ces derniers s'étaient retrouvés à occuper la tour de la faculté dès le lendemain, pour signer le soir du 22 mars le manifeste des 142, regroupant leurs doléances dont la principale était la libération de leurs camarades. Mais tout cela leur paraissait bien lointain, ça ne faisait pas tellement partie de leur réalité immédiate. Et comme une bonne partie de la société, elles étaient un peu déconnectés de ces événements, ne les considérant que comme une affaire interne ne concernant que la faculté de Nanterre

La plus volubile des deux, l'italienne, bu une gorgée de sa boisson, laissant un instant le silence retomber. Icare ne remarqua qu'à ce moment précis qu'il ne les avait pas quitté des yeux depuis qu'elles avaient fait leur entrée bruyante. Il se tourna néanmoins un peu plus vers elles et leur sourit. La première lui répondit et en retour, son amie leur proposa de s'installer avec elles. Sans réfléchir, ni même demander son avis à Apollodore, Icare se leva pour s'asseoir sur le siège à leur gauche. Bien obligé, Apollodore suivit. Celle à l'accent Italien tendit sa main vers eux, comme une invitation.

« Alberta. Ravie de vous rencontrer. Vous venez souvent ici ? Qu'est-ce que vous pensez du communisme ? Vous aimez le cinéma ? Est-ce que... »

Son amie posa une main sur son épaule, comme pour l'intimer au calme. 

« Doucement Betty, si tu ne leur laisses pas le temps de répondre, tes questions resterons vides et en suspens. »

Icare saisit sa main toujours tendue pour la serrer dans la sienne avec entrain.

« Icare. »

Elle lui sourit encore un peu plus vivement, dévoilant ses dents légèrement en avant.

« Et toi tu es ? » Demanda-t-elle à Apollodore, laissé un peu en retrait.

« Apollodore. Enchanté. »

Elle hocha la tête, puis se tourna vers son amie et se chargea elle-même de la présenter avant que cette dernière n'ait eut le temps de dire quoi que ce soit.

« Et elle c'est Amanda. Georgie pour les intimes. »

Ils eurent le temps de reprendre un autre café -enfin une autre bière pour Alberta- tout en discutant de tout et de rien. Le temps passa si vite qu'il fit bientôt presque nuit. Icare se passionnait pour ce que les deux jeunes filles avaient à lui dire.

« Je pense qu'il est important de savoir penser en dehors des lignes. »

« En dehors des lignes ? C'est à dire ? »

« Hum... tu as vu le film les petites marguerites ? »

« Non. Pourquoi ? »

« Parce que c'est ça. »

« Ça ? »

« Oui. La vie. La jeunesse. On est un groupe social et on a du pouvoir. Le pouvoir de ne pas vouloir se reconnaître dans le société paternaliste et patriarcale dans laquelle on nous a forcé à venir au monde. On a déjà jamais demandé à naître, alors la moindre des choses, c'est pour nos aînés d'assumer leurs choix et de nous laisser vivre. On est pas comme eux, nous on se cultive, on pense par nous mêmes. On ne se contente pas de faire ce que nos parents veulent, ce que l'école nous impose. On pense pour nous, parce que nous sommes l'avenir. Alors pour l'instant nous sommes jeunes, nous sommes révoltés, en colère, on veut être libre et on veut s'amuser. On veut s'instruire, aller au cinéma, voir des films qui viennent d'ailleurs, aller à la bibliothèque, lire des livres qui viennent d'ailleurs, d'Asie ou bien d'Europe centrale ou orientale, s'ouvrir au monde et partager tout ça. »

« Et les marguerites dans tout ça ? »

« Les petites marguerites, c'est un film sur ça. Deux jeunes filles qui s'amusent, qui vivent, avec leur colère et la révolte grondante qu'elles veulent mener. Un film de la nouvelle vague tchèque. Un chef-d'œuvre si tu veux mon avis. Complètement en dehors des lignes. Et c'est ce qui le rend si bien, il nous ressemble. Nous représente. Sa réalisation a quelque chose de très artistique et très chaotique à la fois, avec une identité visuelle particulière, une esthétique nouvelle, qui lui appartient. C'est une petit joyau du cinéma. »

Icare avait une lueur dans le regard, une lueur qu'il n'avait que quand on lui parlait de liberté. Et si Alberta était bien trop enflammée par son discours pour le remarquer, Apollodore, lui ne voyait que cela. La manière dont les yeux du blondinet s'éclairaient, il trouvait cela magnifique. Même s'il était presque ignoré, même si Icare semblait avoir entièrement détourné son attention de lui au profit des deux jeunes filles. Au fond, Apollodore trouvait également leur compagnie plaisante. Pour autant, il ne pouvait pas s'éterniser plus qu'il ne l'avait déjà fait. Il aurait aimé en découvrir plus sur ce garçon singulier, parce que c'était lui qu'il avait invité à prendre un café, pas ces deux filles, si gentilles soient-elles. Il avait d'abord tour à tour prit Icare pour un jeune pédant, puis pour ce pour genre de garçon qui ne vit qu'entre les rayonnages poussiéreux des bibliothèques, mais désormais, il se trouvait complètement perdu, à cours de mots pour le qualifier. Il le trouvait de fait intrigant. Et il voulait en savoir plus, mais pas ce soir. Il avait encore du travail qui l'attendait, et s'il devait s'avouer totalement honnête, il devait bien reconnaître qu'il était également un peu vexé du fait d'avoir été relégué au second plan suite à l'arrivée des deux filles.

Il se leva, faisant racler son siège.

« Mes demoiselles, mon damoiseau, si charmante soit votre compagnie, il est temps pour moi de rentrer. »

Icare s'apprêtait à lui répondre, à ajouter quelque chose, mais le brun ne lui en laissa pas l'occasion, saisissant sa veste, il laissa sur le bar assez pour régler la note de ses consommations ainsi qu'un pourboire.

Une fois à l'extérieur, il resserra les pans de son manteau. La température s'était rafraîchie à mesure que les rayons du soleil s'étaient amoindris dans le ciel. Le vent s'était levé. Pour un mois de Mai, le temps aurait pu être plus clément.

P4R4D0X
Kracotte

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Paris, mois de Mai 1968.
Dans les rues, les étudiants s'échauffent, ils protestent contre le pouvoir en place et montent des barricades.
Icare est l'un d'eux. Toujours d'accord pour être en désaccord, la croisade qu'il mène est essentiellement dirigée contre son père, les événements de Mai n'en sont que le mobile. Etudiant à la prestigieuse académie des Beaux-arts de Paris, il y fera la rencontre d'Apollodore, sculpteur de talent. Et avant même qu'ils ne deviennent amis, cette rencontre tournera à l'obsession. Une obsession dangereuse. Jusqu'à devenir sanglante.
Tandis qu'ils tombent amoureux, inexorablement, comme l'oiseau s'approche trop du soleil, le monde entier leur hurlerait bien que c'est indécent, mais ce dernier est bien trop tourné vers la rue, ses grèves et ses affrontements sans précédent. Alors au final, leur histoire ne restera que cela : une histoire. Courte mais intense. Leur petite révolution sur fond de la grande.
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