Le soleil levant amenait une douceur matinale qui réchauffa Ori. Il faut dire qu'il était parti très tôt pour être sûr de ne pas avoir à dire au revoir à qui que ce soit. Il risquait de changer d'avis s’il revoyait Hana pleurer comme la veille. En rentrant hier soir, il avait dû faire face à une Grand’ma terrifiante, mais ça il s'y attendait. Ce à quoi il ne s'attendait pas c'était de voir Hana débouler dans la chambre de Grand'ma sans frapper (ce qui représentait un sacrilège au moins aussi important que de disparaitre une journée sans donner de nouvelles), et fondre en larmes en prenant Ori dans ses bras. Il ne savait pas combien de temps cette scène dura, mais ça lui faisait du bien après cette journée. Puis Grand’ma reprit de plus belle et Hana sortit de là en attendant.

Après ça, Ori et Hana allèrent dans la cour et il lui raconta ce qu'il s'était passé. La course poursuite, l'explosion, l'audience avec le roi... mais il omit le plan pour retrouver cet homme étrange. Bien qu'il fût content d’être rentré, Ori était décidé à partir. Et il ne voulait pas faire plus de peine à Hana (ni que Grand’ma l'en empêche. Alors il fit mine d'être fatigué et partit dans la chambre des garçons. Mais l'excitation allait le maintenir éveillé, il le savait très bien. Alors il prépara son sac, écrivit une lettre pour Grand’ma, et une autre pour Hana. Ce qu'il avait à lui dire était plus... personnel. Ori ne put fermer l'œil de la nuit, et avant que le soleil ne pointe le bout de son nez, il partit.

Les autres s'étaient donnés rendez-vous à la porte ouest au lever du soleil, et Ori arriva en premier. Il ne connaissait pas bien ce quartier mais avait suivi les charrettes de commerçants, tous grognons de ne plus pouvoir prendre de portail. Ils étaient habitués à patienter et payer en entrant dans la ville, mais pour la quitter, ils empruntaient quasiment tous un portail. Ces derniers étant désormais interdits d’accès, un beau bazard commençait à se créer à la sortie de la ville. Les charrettes sortantes étaient si nombreuses qu'elles bouchaient littéralement la porte, et les marchands commençaient à s'impatienter et à se traiter de noms d'oiseaux. Au milieu de ce vacarme, Ylva et Kuwa arrivèrent, chacun chargé d'un grand sac de voyage. Kuwa semblait plutôt en forme, ce qui ne semblait pas être le cas d’Ylva. La valkyrie avait les ailes et l'auréole bien terne par rapport à la veille, et surtout, d'énormes cernes sous ses yeux hazel. Kuwa salua Ori avant de s'approcher.

•     -Salut petit ! Alors, t'as réussi à t'échapper de ta prison au final ? C'est une bonne nouvelle ça!
•     -Oui. Ça a pas été facile de les quitter mais... j'allais pas rester là-bas toute ma vie non plus.
•     -Tu as raison ma sœur, dit Ylva en baillant. C'est important de prendre son indépendance.

Voir Ylva la grande et forte valkyrie dans cet état décrocha un petit sourire Ori.

•     -Vous avez bien dormi ?
•     -Ylva est venue se loger dans la même auberge que moi. Kuwa ricanait lui aussi. Elle a voulu donner une leçon à un" homme trop prétentieux", dit-il en imitant une auréole avec ses mains au-dessus de sa tête.

Ori pouffa, les mains sur la bouche.

•     -Elle lui a effectivement botté les fesses mais elle a complétement détruit le bar. Alors notre amie a passé la nuit à faire le ménage. Voilà ce qu'on gagne à se battre n'importe où.
•     -Il m'a appelé "ma minette" et m'a demandé de le servir. Je ne pouvais pas laisser passer ça. Et puis au moins maintenant il ne risque pas de recommencer. Ça valait bien quelques chaises brisées.

Une autre voix se fit alors entendre derrière eux.

•     -Et ben moi qui te prenait pour la maman sérieuse du groupe… Ozan était arrivé lui aussi, caché derrière les ailes de la valkyrie. Vous êtes prêts pour trois bonnes journées de marche ?

Ori haussa les épaules, passant sa besace devant son buste.

•     -J'ai pas beaucoup d'affaires honnêtement, mais oui, tout à fait prêt.

Kuwa reprit en vitesse

•     -Bon bah on a tout le monde allez on y va on se dépêche !
•     -Général... l 'interrompit Ylva. Je sais que vous ne vous entendez pas avec Nochi, mais nous nous sommes engagés. Je n'ai qu'une parole. Il viendra avec nous.
•     -Et puis, il nous sera utile si on retrouve notre homme, renchérit Ozan. Si on a besoin de combattre on aura ses gros bras. Il marqua un temps d'arrêt. Et ma maitrise du vent, évidemment. Je pourrais m'en charger tout seul hein mais c'est juste au cas où quoi.

Une voix retentit au-dessus du groupe

•     -Parfait ça alors je te laisserai t'en occuper ?

Ori leva la tête pour apercevoir Nochi accoudé à un balcon. Il sauta de ce dernier et atterrit tout en légèreté (chose difficile au vu de son gabarit) à côté du groupe.

•     -Je rigole je m'en charge, il s'enfuira pas deux fois ce saligaud.

Kuwa se tourna vers le combattant.

•     -J’espère au moins que c'est pas que de la bouche…
•     -Tu veux voir si c'est que de la bouche ? Ou tu préfères partir sans moi parce que t'as peur que j'te botte les fesses ?
•     -Ne commencez pas à vous chamailler intervint Ylva. La route risque d'être longue alors tenez-vous. Je ne veux pas vous entendre vous disputer pendant nos trois jours de marche.
•     -Mouais
•     -Oui

Dirent-ils en même temps en faisant la moue avant qu'Ylva reprenne.

•     -Bon. Cette fois nous sommes au complet je crois qu'on peut y aller. Elle se tourna alors vers la file de personnes sortant de la ville qui se rallongeait de plus en plus. Enfin, on pourra y aller quand ça sera un peu moins bouché je suppose.
•     -Je pense que ça sera de pire en pire au fil de la journée, répondit Kuwa. On va devoir prendre notre mal en patience et faire la queue comme tout le monde.
•     -Elle commence bien notre "superbe aventure" s'exclama Ozan dans un rire.
•     -Tu sais mon ptit magus, répondit Kuwa en se dirigeant vers la queue, une bonne partie du boulot d'aventurier c'est marcher sur des chemins boueux, avoir mal aux pieds, et dormir à même le sol dans le froid. C'est pas le-voyage de rêve que vous imaginez.
•     -T'as été un aventurier ? Demanda Ori ou des étoiles dans les yeux.
•     -Non pas vraiment. J'ai juste beaucoup voyagé dans ma vie.
•     -Ça doit être vraiment trop cool d'être général à Baru ! Tu dois avoir plein de super outils trop pratiques ! Ori s'était minutieusement approché de Kawa et observait de près son bras mécanique.
•     -Ha ha pour ce qui est d'être général c'est pas si bien que ça. Si j'avais pu j’aurais refusé la promotion. Et en ce qui concerne les outils, si ça t'intéresse je t'en montrerai quelques-uns. Je suis inventeur avant d'être soldat !
•     -Ouais trop cool ça !

Ils continuèrent alors à discuter des outils de Kuwa pendant que mes minutes. La queue avançait petit à petit mais continuait à s'allonger derrière nos amis. Et les marchands eux, s 'impatientaient, commençaient à se plaindre, se bousculer, si bien qu'un brouhaha montait en intensité.

•     -Vous sentez ça ? Demanda Nochi, il y a de la baston dans l'air.
•     -Oui… confirma Ylva. J'espère que ces marchands sauront se tenir...

Une vague de protestation se fit entendre à l'arrière de la queue.

•     -Qu'est-ce qu’il se passe derrière ? Demanda Ozan en s'élevant dans les airs grâce à un courant d'air.
•     -Wah t'es trop fort s'exclama Ori. Comment tu fais ça ?!
•     -C'est mes pouvoirs de magus. Je peux contrôler les vents. Mais je maitrise pas encore très bieeeen...

Ozan s'était envolé au-dessus de la foule et virevoltait de gauche à droite avant d'aller s'écraser quelques mètres derrière.

•     -Ah effectivement ça mérite un peu d'entrainement tout ça. Kuwa se mit sur la pointe des pieds pour essayer d'apercevoir Ozan. Il est allé s'écraser sur une charrette. On va encore devoir réparer dégâts. Hé mais attendez... elle grille toute la queue ! C'est pour ça que tout le monde se plaint.

En effet une grande calèche se frayait un chemin dans la foule, accompagnée de gardes. Ces derniers s’occupaient de disperser les marchands et d'avancer en criant "Laissez passer ! Laissez passer ! Cortège royal en approche »

•     -Allons bon, soupira Ylva. Ce jeune garçon nous a fourré dans un sacré pétrin...

Le cortège s'arrêta au niveau du groupe, Ozan en train de s'épousseter. Il était à l’arrière, en face de…

•     -La princesse Flore ?!

Tout le groupe s'était exclamé, tanto surpris, tantôt intrigué par sa présence ici.

•     -Ah vous voilà ! Je craignais d'être arrivée en retard. Tout le monde la regardait bouche-bée Allez, montez ! Ne perdez pas de temps...

Ils s 'exécutèrent et montèrent alors eux aussi à l'arrière de la charrette. Cette dernière avait beau être de bonne facture, ils y étaient serrés. Et Ori, qui s'était installé à côté de Flore était plutôt mal à l'aise à l'idée d'être aussi proche d'elle. Contrairement à la veille, elle était habillée assez simplement (autant que pouvait l’être une princesse) avec une simple robe beige, sans froufrous ni cape, juste une petite touche de dentelle au niveau du col et des jambes. Ori remarqua que leurs genoux se collaient et s'en écarta d'un coup. Elle n'y prêta pas attention et salua tout le monde avant d'être interrompue par Kuwa.

•     -Excusez-moi princesse, c'est très aimable à vous de nous aider à sortir de la ville un peu plus vite mais... vous ne comptiez pas nous accompagner quand-même ?
•     -Bien-sûr que si ! Je m'ennuie à mourir au palais, et puis je suis pas spécialement d'accord avec mon grand-père en ce qui concerne la cité.
•     -Le vieux rouillé a pas tort princesse. Nochi haussa les épaules. Moi ça m'est totalement égal mais on s'apprête quand- même à aller chasser un homme dangereux. Je voudrais pas que la petite fille du roi de Potalu soit blessée et que ça me retombe dessus.
•     -Ne vous en faites paaaas. J'ai prévenu ma mère elle m'a laissé partir. En même temps elle sait très bien que si elle me dit non je pars quand-même hihi. Mais bref, je vous gênerai pas c'est promis. Et puis, vous voyez bien que ça peut être pratique d'avoir une princesse avec vous.

Flore porta son regard plus bas sur tous les marchands, grognons de se faire doubler, puis sur Kuwa en haussant les sourcils fière d'elle.

•     -Mouais, elle n'a pas tort ça pourrait être pratique. Et puis on a Ylva qui pourrait la protéger, elle est formée pour ça
•     -Je vais m'en charger oui. Aucun de vous ne pourrait de toute façon
•     -Bah parfait c'est génial ! S'exclama Ozan. Ça fait baisser un peu plus la moyenne d'âge.

Ils arrivèrent alors au niveau de la porte. Les gardes se saluèrent, et la charrette s'avança quelques mètres avant de ralentir et s'arrêter sur le côté. Celui qui s'occupait de la conduire descendit et vint s'aligner avec les autres en face de Flore. Ils s'inclinèrent tous ensemble et la princesse les salua en retour.

•     -Merci capitaine, heureusement que tu es là pour m'aider dans tous mes petits caprices. Tu vas me manquer…

Ori ne l'avait pas remarqué mais effectivement, l'un des gardes, celui qui s'imposait pour ouvrir un passage, avait une sorte de coiffe sur le casque. Il retira alors ce dernier pour découvrir un visage aux traits carrés, vieilli-par le temps, et orné d’une coupe en brosse absolument parfaite, d'un gris scintillant.

•     -Ce fut un plaisir mademoiselle. J'espère que vous trouverez celui que vous recherchez. Faites attention à vous. A bientôt... princesse.

Un petit sourire mesquin se dessina sur son visage alors qu'il remettait son casque. Flore fit une petite moue et grogna

•     -Arrête, tu sais très bien que j'aime pas…
•     -Bon voyage mademoiselle.

La petite troupe s'éloigna alors et retourna en ville. En les suivant du regard, Ori observa les remparts de la ville. C'était la première fois qu'il en voyait l'extérieur. Kuwa s'installa en silence à l'avant et prit les rênes des chevaux. Tout en avançant, Ori laissa trainer un dernier regard sur la cité, et se retourna.