J’ai toujours marché dans tes pas,
jusqu'à ton destin funeste.
Pourtant, j’ai voulu tracer ma propre route,
mais quand notre vie est écrite dès notre naissance,
avais-je vraiment eu le choix ?
…Oui, une fois. Et cette fois m’a mené ici.
Ai-je grandi depuis ?
Ou suis-je toujours cet enfant qui court après ton ombre ?
Des regrets ?
Qu’importe.
L’histoire est écrite par les vainqueurs,
et mon conte s’arrête ici.
Est-ce que toi aussi tu as ressenti la peur ?
…Non, toi, tu n’as jamais eu peur.
Même dans la mort, je ne t’égalerai jamais.
Je porte ta couronne, mais je ne serai jamais roi.
Le vent d’automne balayait la vallée rouge.
Les feuilles mortes tourbillonnaient autour des bannières humaines, mêlées aux cendres. Le sang avait déjà commencé à sécher sur les pierres noires, à la frontière entre le royaume de Camélia et celui des enfers.
Et parmi les derniers chevaliers encore debout, seul au milieu des morts, se tenait le prince Luci Star.
Ses bottes s’enfonçaient dans la terre noircie, entre les restes calcinés de ses hommes. Sa cape pourpre flottait comme un lambeau de dignité dans un monde en ruine. Rouge, comme le sang versé pour sa couronne, pour sa lignée divine. Rouge, comme les yeux qu’il avait hérités, marque du dernier espoir de l’humanité.
Le front était détruit. Les troupes humaines, issues de différents royaumes, s’étaient disloquées sous la fureur démoniaque. Lucio, son bras droit, son ombre fidèle, avait disparu dans le tumulte.
Les clairons s’étaient tus. Les cris avaient fondu dans le chaos. Dans ce vacarme de métal et de crocs, Luci avait cessé d’entendre.
Il s’était préparé. Il avait tout appris. l’art de la guerre, les stratégies des anciens, l’histoire, jusqu’aux incantations des textes saints. Même les annotations de Lucio sur « Comment survivre face à deux démons en trois étapes simples ».
Mais rien n’avait prévu les tripes sur ses bottes.
La guerre n’avait pas le goût de la théorie.
Malgré sa cape, sa couronne et ses yeux symbole d’un pouvoir céleste, il se sentait faible.
Indigne de sa lignée. Indigne de l’espoir que son existence représentait pour l’humanité.
Fils de héros, mais héros de papier.
Un enfant dans les vêtements d’un roi.
Un comédien jouant le dernier acte de sa propre tragédie.
C’était la première guerre du jeune souverain, et sûrement la dernière.. Aux portes des enfers, le voyage semblait sans retour.
Cette guerre n’était pas la sienne. Mais il n’avait pas le choix.
Le Pape avait parlé. Le Saint Conseil avait jugé : les démons s’étaient trop approchés. Trop hardiment.
La frontière avait été franchie, le fragile équilibre brisé, le prétexte suffisant.
Et lorsqu’on est le dernier héritier de la lignée des Stars, refuser d’obéir, c’est devenir l’ennemi de l’humanité.
Refuser, c’est être excommunié. Condamné. Seul contre tous.
Le royaume de Camélia n’a pas le luxe de dire non, lui avait-on répété.
Comme si son rôle n’était pas déjà assez lourd.
Alors Luci avait dit oui. Et il s’était tenu en première ligne, comme ses parents avant lui, le jour où ils avaient disparu.
Et il avait peur.
L’épée de Luci lui semblait plus lourde à chaque coup, son souffle de plus en plus court.
Les démons continuaient d’arriver. Peu importe combien il en abattait, d’autres s’approchaient, leurs formes grotesques se tordant et claquant dans une faim insatiable.
Dans ce chaos incessant de démons détruisant tout sur leur passage, son rêve secret d’enfance de paix avec eux lui semblait bien loin. C’était un rêve d’enfant idiot, grotesque, impossible.
Un mouvement attira son attention. Un démon plus grand bondit sur lui, son rugissement perçant déchirant l’air. La force de l’impact l’envoya rouler au sol, son épée glissant hors de sa portée. Il recula en rampant, tendant la main vers son arme.
Mais un coup le frappa au flanc. La douleur explosa. Son cri était fendu d’épuisement.
Le sang coulait. Chaud. Poisseux.
Sa vision se brouilla. Les démons l’encerclaient. Il n’avait plus d’issue. Plus de forces. Plus de potion.
Il allait mourir.
C’est la bonne, pensa-t-il en pressant une main tremblante contre sa blessure.
De son autre main, il attrapa son épée, soudainement si lourde qu’elle semblait impossible à manier. Les démons s’approchaient, leurs grognements résonnant dans sa poitrine. Il ferma les yeux, rassemblant le peu de mana qui lui restait. S’il devait mourir, il les emporterait avec lui.
Il concentra son énergie dans un dernier sort, Un éclat de lumière qui réduirait tout en cendres dans son rayon, lui compris.
Un adieu à la scène éblouissant.
Avec un peu de chance, ça ferait une jolie explosion. Peut-être qu’on broderait ça sur des tapisseries.
Mais alors, le ciel hurla.
Une ombre gigantesque fendit les nuages. Des ailes percèrent la brume.
Les yeux de Luci s’ouvrirent brusquement, juste au moment où cette silhouette passait au-dessus de lui.
L’instant d’après, le monde éclata en chaos. Un rugissement nouveau déchira le champ de bataille, plus fort, plus sauvage que tout ce qu’il avait jamais entendu. Un démon, non, un démon Lord, atterrit avec une force qui fit trembler la terre, ses griffes lacérant la meute qui l’encerclait.
Luci le regarda faire. Incapable de comprendre. Pourquoi ? Pourquoi l’aidait-il ?
Ce démon est-il fou, ou bien est-ce Luci qui avait perdu la tête ?
Juré sur sa foi pour Dieu, si par miracle il s’en sortait, il ne mettrait plus jamais son nez sur de la fumée de Succubes, jamais !
Enfin la réponse était surement plus simple, la racaille du quartier était venu réclamer son casse-croute royale, voilà tout.
La créature était là, dos tourné à lui, ses ailes immenses se repliant lentement alors qu’elle balayait le champ de bataille du regard.
Sa présence était écrasante, son mana irradiant en vagues si puissantes que l’air semblait vibrer autour d’eux. Les démons inférieurs s’éparpillèrent comme des animaux apeurés, laissant Luci seul face à la créature imposante.
La main de Luci se crispa sur la poignée de son épée, ses instincts lui hurlant de fuir. Mais il n’y avait nulle part où aller. Le dos de la créature restait exposé, ses ailes repliées, comme si elle ignorait Luci complètement.
Arrogant.
Pensait-elle qu’il était si faible qu’il ne valait même pas la peine d’être remarqué ?
Les dents serrées, Luci sentit la colère monter, mêlée à un désespoir brûlant. C’était sa seule chance. Le dos découvert de la créature était une vulnérabilité flagrante, et il ne la laisserait pas passer.
Il leva son épée.
« Lux maxima », murmura-t-il.
La lumière blanche recouvrir sa lame. Chaque muscle de son corps protestait avec douleur, mais il ne pouvait pas hésiter.
Dans un ultime effort, il bondit, visant le cœur du démon.
Puis, juste avant que la lame n’atteigne sa cible, quelque chose brilla dans la lumière mourante, sur le doigt du démon.
Un anneau. Un éclat doré. Un blason.
La chevalière de la maison Star.
Un simple objet douloureusement familier.
Luci vacilla. Son souffle se bloqua, et son attaque dévia de sa trajectoire. Alors que le démon était en train de se retourner, la lame ne fit qu’effleurer son flanc, traçant une coupure sanglante sans être fatale. Les deux adversaires se figèrent l'un face à l'autre, yeux dans les yeux, comme si le temps pour eux s'était arrêté.
Son cœur manqua un battement.
Ce n’était pas un monstre. C’était un visage. Un souvenir.
Un nom glissa sur ses lèvres tel un murmure inavouable.
- Asher ?
Cela ne pouvait pas être vrai. Cela ne devait pas être vrai.
Les souvenirs revinrent en fragments : un petit garçon seul, une promesse faite dans de la Forêt, et un lien qu’il avait cru perdu, relégué au rang d’illusions.
Mais maintenant, face à lui, se tenait un fantôme de son esprit devenue chair, portant l’armure de l’ennemi, un étranger arborant le visage d'un vieil ami.
Le démon tressaillit, ses yeux verts brillants se rétrécissant.
Pendant un instant, quelque chose passa sur son visage, hésitation, peut-être ? De la douleur ? Cela disparut avant que Luci ne puisse le nommer, remplacé par un masque d’intensité calme.
Il regardait Luci avec une intensité qui faisait mal à la poitrine du prince, comme s’il cherchait quelque chose, une réponse, un souvenir, peut-être un fragment de l’enfant qu’il avait autrefois connu.
Tous deux restèrent figés, leurs regards entrelacés.
L’un empli d’incrédulité à l’idée que le démon en face de lui puisse être son ami d’enfance, l’autre traversé par une confusion silencieuse face à la trahison de l’humain qui avait essayé de lui transpercer le cœur.
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