Perdus dans les yeux l'un de l'autre, les souvenirs de leur première rencontre commencèrent à refaire surface.
Douze ans auparavant
Pendant la Guerre Sainte, tous les rois et reines furent appelés sur le champ de bataille pour repousser les armées démoniaques. En leur absence, le jeune Prince Luci attendait le retour de ses parents, confiné dans un petit château près de la frontière entre le Royaume de Camellia et les Terres de l'Enfer.
Un de ces jours, le petit prince jouait dans sa chambre avec son valet et seul ami, Lucio. Pour une fois, il avait l'impression que c'était une bonne journée. « Les adultes sont tous si occupés, » pensa Luci en souriant. Personne ne lui demandait d’étudier, de s’entraîner, ou de se comporter comme l'héritier du trône. Pendant un moment, il n’était qu’un enfant.
Mais cette paix fut de courte durée. Des serviteurs paniqués dévalèrent dans la pièce, arrachant Luci à ses jeux. Il n'eut même pas le temps d'échanger un regard confus avec Lucio avant qu'ils ne commencent à l'habiller de ses plus beaux habits.
« Que se passe-t-il ? » murmura Lucio.
« Je… Je crois que ça veut dire que Maman et Papa reviennent ! » s'écria Luci, la voix tremblante d’excitation. « La guerre est finie, Lucio ! Le roi rentre à la maison ! »
Mais les serviteurs ne répondirent pas à ses questions. Ils le hâtèrent à travers les couloirs du château jusqu'à la salle la plus majestueuse, où tout le personnel était réuni. Luci sentit sa poitrine se gonfler de joie—ils étaient sûrement là pour accueillir ses parents, le roi et la reine ! Il se précipita au centre de la pièce, son visage illuminé par l’anticipation.
Il tourna les yeux vers les portes, attendant qu'elles s'ouvrent. Mais personne d'autre ne regardait les portes.
Tous les regards étaient tournés vers lui.
Un serviteur s’avança et posa une lourde cape rouge sur ses épaules. Un autre lui remit un sceptre en or. Un troisième s'approcha avec une couronne—la couronne de son père.
Quelque chose clochait.
Lucio arriva dans la salle à ce moment-là, se tenant loin de Luci, mais assez près pour voir la confusion et la peur se peindre sur le visage du prince.
« Vive le nouveau souverain ! » cria quelqu’un. « Vive le nouveau roi ! »
« Quoi ? Moi ? Roi ?! » s’écria Luci. Il recula d'un pas, secouant la tête. « Non ! Mon père est encore le roi ! Nous devons l’attendre ! Maman et Papa vont revenir bientôt ! Papa a promis ! Il tient toujours ses promesses ! »
Un lourd silence tomba sur la pièce, brisé seulement par des murmures dans la foule. Finalement, un des serviteurs s’avança, se mettant à genoux devant le garçon.
« Votre Altesse… le roi et la reine sont tombés sur le champ de bataille hier. Les démons… ils les ont tués. Je suis désolé, Votre Altesse. Nous avons pu récupérer la couronne. Vous êtes désormais le souverain de Camellia, mon roi. »
Les mots semblaient lointains, irréels. Luci fixait la couronne, bien trop grande pour sa tête. Ses bords étaient brûlés, noircis par le feu.
« Non… » murmura Luci, la voix tremblante. « Non, non, NON ! Ce n’est pas vrai ! Mon père ne peut pas mourir ! Je ne serai pas roi ! JE REFUSE ! »
Les larmes coulant sur son visage, Luci jeta la couronne au sol. Elle roula sur la pierre, le bruit résonnant dans le silence. Tandis que les serviteurs se précipitaient pour la ramasser, Luci se tourna et s'enfuit, poussant les lourdes portes et courant aussi vite que ses jambes pouvaient le porter.
Personne ne l'arrêta.
Il atteignit les écuries et attrapa le premier cheval qu’il aperçut, s'éloignant du château, loin de ce cauchemar. Il ne savait pas où il allait. Il s'en fichait. Tout ce qu'il voulait, c'était fuir.
Le petit prince chevaucha pendant des heures, le cœur lourd et l'esprit tournant. La lumière dorée du jour commença à s’estomper dans les teintes douces du crépuscule, et le paysage autrefois familier autour de lui se transforma en la nature sauvage et ombragée de la Forêt Enchantée.
À la tombée de la nuit, les arbres devenaient plus grands et plus sombres, leurs branches noueuses s’étendant comme des mains tordues. Luci saisit les rênes plus fermement, sentant une inquiétude grandissante dans sa poitrine. Mais ce n’est que lorsque le cheval s’arrêta brusquement qu’il réalisa à quel point il était profond dans la forêt.
« Hé, allez… continue de bouger, » murmura Luci, la voix légèrement tremblante.
Le cheval ne bougea pas. Ses oreilles frémirent, et son corps trembla, sentant quelque chose d'invisible dans l'ombre.
« De quoi as-tu peur ? » murmura Luci, bien que ses propres mains aient commencé à trembler.
Puis cela arriva. Le cheval se cabra violemment, poussant un hennissement paniqué avant de jeter Luci de son dos. Le prince atterrit durement dans la boue avec un cri de douleur tandis que le cheval s’élançait, ses sabots résonnant dans la distance.
« Attends ! ATTENDS ! » cria Luci, se relevant en hâte, mais le cheval avait disparu. Il resta là, couvert de boue, fixant l’obscurité.
« Très bien ! » cria-t-il, la voix brisée. « Vas-y, laisse-moi ! Comme tout le monde ! »
Il sentit une boule dans la gorge alors que la dernière de sa colère se dissolvait dans le désespoir. Le poids de la journée s’abattit sur lui d’un coup : la couronne, les mots des serviteurs, le silence creux de la salle.
Il tomba à genoux dans la boue, son petit corps tremblant alors que des sanglots déchiraient sa poitrine.
« Papa… » gémit-il, la voix à peine audible. « Papa, où es-tu ? Tu as promis… tu as promis que tu reviendrais… »
Les larmes coulaient sur son visage alors qu'il enfouissait ses mains dans la terre. « J'ai besoin de toi, Papa… Je ne peux pas faire ça sans toi. Je… je ne peux pas… »
Ses pleurs résonnaient dans la forêt, bruts et brisés, ce genre de son qu’un enfant perdu seul peut émettre. Il resta là, courbé dans la boue, son corps tremblant à chaque sanglot.
« Je suis seul… complètement seul, » pensa-t-il, les larmes menaçant à nouveau de couler. Il n’y avait plus ni chemin, ni cheval, ni parents pour le guider. Il n’avait aucune idée de la direction qu’il prenait, et chaque pas semblait le mener plus loin dans l’inconnu.
Puis, il ressentit quelque chose.
Un frisson glacé lui parcourut l’échine. Au début, ce n’était rien de tangible, juste une intuition désagréable. Mais cela suffit pour qu’il s’arrête net, retenant son souffle. Quelqu’un a entendu mes pleurs… ou est-ce mon imagination ? Les étoiles dorées de ses yeux balayèrent les ombres autour de lui. Mais la forêt était si dense qu’il ne voyait rien.
Un bruit soudain. Un léger craquement de branche. Luci fit un bond en arrière, sa gorge se serrant.
« QUI EST LÀ ?! » cria-t-il, sa voix résonnant dans l’obscurité.
Il n’y eut pas de réponse, seulement un silence oppressant. Puis un autre bruit, un bruissement dans les feuilles, comme si quelque chose bougeait entre les arbres. Luci sentit ses mains devenir moites, et il agrippa sa cape rouge bordée de fourrure blanche avec plus de force.
Sa peur se transforma en terreur pure. Son souffle s’accéléra, et ses pensées tourbillonnèrent. Les pires créatures se cachent dans les ténèbres de la forêt… lui disaient les histoires. Mais ce n’étaient que des légendes, pas vrai ?
Il tenta de se convaincre qu’il était assez mature pour ne pas se laisser influencer par des contes pour enfants. Il était un prince ; sa tunique blanche, et l’anneau royal à son doigt étaient là pour le prouver. Mais ses mains tremblantes le trahissaient, et la peur d’enfant finit par l’emporter.
Il prit une décision. Je ne peux pas rester dans le noir. Je dois voir.
Fermant les yeux, il rassembla son mana. Une douce lumière blanche jaillit de son corps, enveloppant ses vêtements et ses cheveux bleu roi dans un halo éclatant. Les ombres reculèrent timidement, laissant apparaître un bout de la forêt.
Mais ce qu’il vit ne le rassura pas.
Une silhouette émergea des ombres, fascinée par la lumière. D’abord indistincte, elle se précisa à mesure qu’elle s’approchait : des cornes noires qui brillaient légèrement dans l’obscurité, des ailes épaisses aux membranes rouge feu, une longue queue noire dont l’extrémité ressemblait à une flamme vivante. Ses griffes luisaient faiblement à la lumière, longues et acérées. Ses jambes, elles aussi griffues, semblaient sculptées pour grimper ou bondir, avec une force que Luci pouvait deviner rien qu’en les regardant.
Sans doute, c'est un démon.
Et pourtant, le démon n’était pas entièrement monstrueux. Son visage était presque humain, avec une peau basanée parsemée de taches d’écailles noires sur ses joues et son cou. Une étoile d’écailles noires marquait le centre de sa poitrine, visible sous une tunique blanche déchirée et mal ajustée qui ne couvrait qu’une épaule. Une ceinture et un sac complétaient sa tenue simple, lui donnant l’allure d’un enfant sauvage, à la fois redoutable et étrangement vulnérable.
Mais ce furent ses yeux qui frappèrent Luci le plus.
Deux grands yeux verts luminescents, fendus comme ceux des dragons d’antan, fixaient la lumière avec fascination. Ils semblaient presque… curieux.
Le cœur de Luci se figea. Il resta pétrifié, incapable de bouger. Il est venu pour me tuer… Il va finir ce que ses semblables ont commencé.
La peur prit le dessus. Ses doigts se crispèrent sur la poignée de sa petite épée accrochée à sa ceinture. Il serra les dents, sentant son corps tout entier trembler. Je dois me défendre… Papa aurait combattu. Je dois le faire aussi. « C'est nous ou eux », c'est lui ou moi.
« Démon… meurs ! » hurla-t-il, levant son épée infusée de lumière pure et frappant dans un mouvement rapide et désespéré.
( Merci Nuden pour ce fanart magnifique <3 )
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