Le petit groupe traversa alors le village en direction des quais. A en juger par le nombre de cabanons, il devait y avoir une centaine d'habitants tout au plus. Le village était magnifique, et tellement calme. A cette heure-ci à Potalu, les tavernes étaient remplies et le brouhaha émanant d'elles résonnait entre les hauts bâtiments. Ici, le léger bruit de houle embrassait le silence du village comme pour le bercer. Même l'air marin était plus agréable ici qu'au port sud de Potalu. Ori parvint même un instant à oublier qu'il détestait l'odeur de poisson. Du moins jusqu'à ce qu'il approche des quais. Ils étaient en effet bien éclairés au vu de l'heure qu'il était et comme l'avait dit Harold, un petit groupe était réuni là-bas. Une quinzaine de pécheurs, habillés de pantalons larges et de châles en corde, étaient debout à l'extrémité d'un ponton en bois.

Ils avaient tous l'air plutôt préoccupés, et leurs débats semblaient houleux.

• - C'ti n'importe quoi on peut po se laisser faire comme ça ! Faut chasser cte bête, clama l'un d'eux.

• - Surtout po tié fou ! Répondit un autre. Ma j'vous dit quc'est Ichi qui nous somme de changer not pêche. C'est un signe divin.

• - Qu'est-ce que tu m'boroguine ça fait des siècles qu'on pêche, j'vois po pourquoi ça gênerai Ichi maintenant.

En avançant sur le ponton, notre petit groupe aperçu au milieu des pêcheurs, une femme d'une trentaine d'années se relever, des cordages en main.

• - Fermez la bande d'idiots.

Elle n'était pas très grande, mais les pêcheurs s'écartaient devant elle en l'écoutant parler. D'ailleurs, elle parlait différemment des autres et semblait dure dans ses paroles. Elle leva les cordages pour les montrer aux autres.

• - Ça, c'est clairement du sabotage. Alors ce n'est ni Ichi, ni une créature... Quelqu'un, attaque nos bateaux. Et je compte bien découvrir qui. Oscar, tu prends le premier tour de garde cette nuit, Lima tu le remplacera jusqu'au matin.

• - Un tour de quoi ??

Répondirent en coeur les deux marins qu'elle avait interpellés.

• - Rah ! J 'suis vraiment pas aidée... Dit-elle en se tirant les cheveux.

Ozan s'approcha alors doucement. Il semblait terrifié par cette femme.

• - Sa... Sa... Salut tata. Dit-il d'une petite voix. On peut peut-être t'aider...

La femme se retourna dans la direction du groupe, visiblement agacée. Elle prit une grande inspiration, comme pour se préparer à hurler, puis se ravisa. La colère et l'exaspération quittèrent son visage quand elle posa les yeux sur Ozan, et laissèrent place à la tristesse et la déception.

• - Hm, t'es déjà de retour ? Rentre voir ton oncle, je règle cette affaire et j'arrive.

• - Mais on peut t'aid...

• - Qu'est-ce que je viens de dire ?! Le coupa-t-elle avec un ton sévère.

Ozan enfouit alors sa tête dans ses épaules et fit demi-tour.

• - Venez, on va manger un bout

Ori s'approcha alors de lui

• - Tu es sûr ?

• - Elle déteste se répéter. répondit-il. C'est même pas la peine de discuter quand elle est comme ça.

Nochi posa son énorme main sur l'épaule d'Ozan d'un air chaleureux.

• - Ça tombe bien on commençait à tous avoir faim alors c'est parfait, hein ?

Il se retourna vers le reste du groupe qui acquiesça en cœur. Ils se dirigèrent alors tous vers un grand cabanon au cœur du village. Ozan poussa la porte et entra d'un pas lourd.

A l'intérieur, un foyer réchauffait la pièce, et une douce odeur émanait d'une marmite suspendue au-dessus de ce dernier. Un homme d'une trentaine d'années, aux yeux d'un vert profond, y attisait les flammes. Quand il vit le petit groupe entrer, il se figea, et adressa un sourire.

• - Oh c’toi ! Co fo plaisir de t'voir

• - Salut tonton... Ça fait un sur deux... je suppose que c'est deja ça.

• - T'as croisé ta tante ?

Ozan acquiesça sans rien dire, tout en faisant entrer ses camarades. Son oncle eut un petit sourire compréhensif.

• - Oh t'sais comment elle est. Mais je suis sur qu'elle est soulagée de t'voir en forme. Enchanté, j 'm apelle Firens. Venez vous mettre au chaud, on va po tarder à manger.

• - Merci beaucoup Monsieur, Répondit Flore. C'est très aimable à vous de nous accueillir.

• - Ola ma petite ! Vous en faites po, y'a po besoin de toute cette politesse ici. On est des gens simples les magus ; On accepte tout l'monde, on partage... Du moment qu'vous respectez Ichi et ses principes, alors tout va bien.

• - C'est votre dieu c'est ça ?! Intervint Ori intéressé. C'est quoi ses principes ?

• - Euh c'est un peu long à expliquer Ori, répondit Ozan, mais “en gros", c'est le respect de la nature.

• - C'pour ça qu'en général on aime po trop les baru, dit Firens en indiquant Kuwa de la tête. M'enfin si vous êtes les comrades d'Ozan, vous devez être des gens bien j'suppose.

• - Et bah quel accueil... marmonna le général

• - Oh arrête de te plaindre vieux boulon, on nous offre la bouffe, l'interrompit Nochi

• - Ne commencez pas tous les deux ! Intervint Ylva en s'interposent devant ce dernier.

• - T'en fais pas, je compte pas me battre avec le ventre vide. Répondit-il. Mais dis-moi tonton, y'a quoi là-dedans ?

• - Soupe de poisson. J'attendais Soro pour manger mais allez-y installez-vous. Elle devrait pas tarder de toute façon.

• - Elle était en train de régler les problèmes aux pontons. Il se passe quoi d'ailleurs avec vos bateaux ? Ozan s'assit près du feu et le reste du groupe suivit.

• - Ils disparaissent. On sait po comment mais c'est déjà le quatrième alors tout le monde commence à s'inquiéter. Si on peut plus aller en mer on va avoir du mal à nous nourrir.

• - Je vois, dit Kuwa l'air pensif. Et vous n'avez aucune idée de qui aurait pu faire ça ? Des brigands, une rivalité au sein du village, ou même avec un autre village d'ailleurs ?

• - Aucun magus aurait pu faire ça. C'est contre nos principes. Certains pensent que notre dieu Ichi est derrière tout ça. Mais ça m'étonnerait. Les anciens disent que ça fait des siècles qu'on o po eu de signe. Puis t'façon il posse toujours par le magus ultime alors si c'était ço on le saurait.

A ce moment-là, la porte claqua, laissant apparaitre la tante d'Ozan, visiblement lessivée. Elle ferma la porte et vint s'asseoir à côté du feu

• - J'suis de retour... Et toi aussi alors ? T'avais trop honte pour rentrer chez ton père c'est ça ? Je croyais que t'étais parti pour une GRANDE aventure, et que t'allais pas rentrer de sitôt. Que t'avais pas besoin d'aide et que tu nous montrerai comme t'es fort...

Ozan baissait les yeux l'air gêné

• - Je rentre pas ! S'exclama-t-il sur un ton boudeur. Il y a eu un incident à Potalu et on doit aller à Isse alors... je me suis dit qu'on pourrait emprunter un bateau.

Ylva continua

• - Mais c'était visiblement une erreur. Vous n'avez aucun navire pour nous et nous sommes pressés alors... nous passerons juste la nuit ici et repartirons demain.

• - Attends Ylva, on pourrait les aider. C'est quand-même ma famille

• - Laisse les adultes discuter l'interrompit sèchement sa tante. Nous n'avons pas besoin de votre aide, on se débrouille très bien. Restez ici autant que vous voulez, mais il faudra que vous mangiez vos propres vivres. Le village ne pourra pas vous nourrir.

• - M'enfin Soro, on a des réserves on peut largement leur...

• - Firens ! L'interrompit-elle. Sans bateaux, pas de pêche, sans pêche pas de réserves, et si on ne fait pas de réserve, ça veut dire qu'on prend nos réserves. Et si en plus on balance nos réserves n'importe comment, on passera pas l'hiver. Mon rôle est de faire en sorte que chaque habitant ici puisse vivre convenablement. Et ce ne sont pas, des habitants.

Conclut-elle sur un ton grave, avant de se servir un bol de soupe et de quitter la pièce. Firens se tourna vers le groupe.

• - J'vais aller lui parler, mangez allez-y.

• - Non tonton ! Ozan s'était levé brusquement. Laisse-moi aller parler à tante Sora.

• - Tu es sûr ? Demanda Ylva. Elle n'a pas l'air de te porter très haut dans son estime.

• - Ça a l'air d'être une femme forte, continua Flore admirative, peut-être que tu pourrais lui parler Ylva.

• - Ça serait une perte de temps. Nous devons vite aller à Isse, quitte à aller jusqu'à la prochaine ville côtière pour trouver un bateau

Ozan s'approcha de la porte qu'avait emprunté Sora.

• - Le meilleur moyen de trouver un bateau rapidement c'est de la convaincre qu'on peut l'aider, et régler le problème. Comme ça elle nous en devra une. Puis il marmonna : Et je lui montrerai...

Puis il entra.

• - Sacrément courageux l 'gamin pour aller l'affronter comme ça, s'exclama Nochi qui s'était déjà servi et avait commencé à manger.

• - Faut la comprendre... répondit Firens en s'asseyant lourdement. Elle aussi était une aventurière. Mais ses com 'rades sont morts... alors quand le ptit est venu ici pour s'entrainer dans l' but de partir voyager, elle l'a pas vraiment bien pris.

• - Ça se comprend, répondit Flore. Elle s'inquiète pour lui.

• - Et y'a d'quoi... Il est né dans un village uniquement rempli d'magus des plantes.

• - Et alors ? Demanda Kuwa

• - Bah normalement quand les deux parents ont le même attribut, l'enfant a l'même. Et dans son cas, non seulement Ozan a découvert ses pouvoirs bien plus tard que les autres enfants, mais en plus c'était "po les bons". Personne dans son village pouvait l'former. Olors ses parents l'ont envoyé ici pour qu'il puisse opprendre.

• - Je vois, dit Kuwa... Alors on lui a toujours dit qu'il était bizarre et pas comme les autres j’imagine... je vois l'genre. Pas mal pour des gens qui "respectent l'ordre naturel des choses". De la vapeur commençait à s'échapper de son bras. Je vais aller faire un tour, dit-il visiblement agacé.

• - Jm' inquiète vraiment pour lui, continua Firens. Sa tante peut être dure, mais elle a pas tort. L'aventure c'est dangereux.

• - Ne vous en faites pas Firens, dit Flore en posant sa main sur son épaule. Nous sommes bien accompagnés.. Elle se tourna vers Ylva et Nochi, qui s'était déjà endormi affalé sur le dos. Et votre neveu est fort lui aussi, vous verrez.

Ori, jusqu'à présent muet comme à son habitude, enchaina

• - Dites-vous qu'au moins il a des pouvoirs, c'est déjà pas mal par rapport à d'autres.

Puis Sora ouvrit la porte en disant à Ozan

• - Faites comme bon vous semble, mais ne traînez pas dans mes pates ! Puis elle claqua la porte derrière le jeune Magus tout tremblotant

• - Au moins on a l'autorisation d'enquêter. Dit-il en haussant les épaules. Je suppose que...

* BOUM !* Une explosion retentit dans le village.

• - Ça, c'est le général ! S'exclama Ylva en se levant.

• - Allons-y ! Continua Ori.

Et tous s'élancèrent en dehors de la cabane.