Douze ans plus tôt

Après avoir marché plus profondément dans la forêt obscure, là où aucun humain n’osait s’aventurer, les deux enfants s’arrêtèrent devant un immense arbre, bien plus large et plus ancien que tous les autres.

Asher pointa une ouverture entre les branches, plusieurs mètres au-dessus du sol.
— Voici mon abri !

Luci haussa un sourcil sceptique.
— Ah ? Tu as construit un escalier, j’espère ?

Asher bomba fièrement le torse.
— Luci est lourd, mais j’ai déjà porté plus lourd ! Je peux le faire !

Il passa derrière le prince avec détermination.

Luci croisa les bras, méfiant.
— Je te demande pardon ?!

Mais avant qu’il ne puisse protester davantage, Asher glissa ses bras sous ses aisselles. Luci se tendit aussitôt, les joues s’empourprant malgré lui. Puis, hésitant, Asher enroula lentement sa queue autour de la taille du prince.

Un frisson parcourut l’échine de Luci.
— …Ahhh… Ash ?! Qu’est-ce que tu fais ?! Tu n’es pas en train d’essayer de me manger, hein ?!

Asher roula des yeux.
— Luci dit des idioties… Les humains n’ont pas d’ailes, il faut bien que je t’aide à monter.

Luci se figea.
— …Monter ? Attends, il y a bien une échelle quelque part… riiiiight ?

Mais Asher déploya soudainement ses ailes. Son ombre s’agrandit, projetant une silhouette presque majestueuse sous le feuillage. Ses membranes sombres captèrent la lumière des lucioles, le faisant paraître plus imposant encore.

— Pourquoi une échelle quand on a des ailes ?

Sans attendre de réponse, il battit violemment l’air.

Et dès que Luci sentit le sol disparaître sous ses pieds, il hurla.

— HAAAHH !!

Pris de panique, il s’accrocha au cou d’Asher avec toute la force de son petit corps, manquant presque de l’étrangler. Le pauvre démon grogna sous l’effort, peinant à monter les trois mètres qui les séparaient de l’abri.

L’atterrissage fut chaotique.

Un plaf résonna lorsque Luci s’écrasa sur Asher à l’entrée du trou dans l’arbre. Toujours crispé, il ne lâcha pas immédiatement son ami.

— Ça va ? souffla Asher en reprenant son souffle.

Luci s’écarta enfin, le rouge aux joues.
— Ahhh ! Tu… Tu ne peux pas juste faire ça sans prévenir !

Asher le fixa, intrigué.
— Attends… Luci aurait peur de voler ?

Luci fronça les sourcils.
— Je n’ai pas peur ! Je… Je…

Mais alors qu’il s’apprêtait à répliquer, son regard balaya l’endroit où ils venaient d’atterrir… et tout son agacement s’effaça instantanément.

Sous la voûte des branches, un véritable havre de paix s’étendait devant lui.

Le sol était fait du bois creusé, formant un espace étonnamment stable. Des branchages tressés servaient de murs naturels, et une multitude de lucioles flottaient autour d’eux, projetant une lueur dorée et vacillante, comme un ciel étoilé miniature.

Luci écarquilla les yeux.
— Oh… wow.

Sous cette lumière féerique, l’abri prenait des allures de maison miniature. Un coin servait de lit, garni de plumes et de mousse. Un autre était aménagé avec des pierres et des ustensiles rudimentaires, formant une cuisine de fortune. De petits objets—faits de bois, de pierre, de corde—étaient disposés ça et là, chacun semblant avoir été collecté ou fabriqué avec soin.

Le prince n’en croyait pas ses yeux.

— Je sais que ce n’est pas grand-chose mais… Asher se frotta la nuque, un peu gêné. Bienvenue chez moi ?

Luci se tourna vers lui, encore sous le choc.
— C’est toi qui as fait tout ça ?

Asher haussa les épaules.
— Ah… J’ai juste récupéré quelques trucs. L’arbre était déjà comme ça, et les lucioles vivaient là avant moi. J’ai juste… décidé d’y dormir.

Luci ouvrit la bouche, prêt à répondre, mais un grondement sonore coupa court à la conversation.

Son ventre.

Asher redressa la tête.
— Oh ! C’est vrai, la nourriture !

Il tenta de ramper légèrement sur le sol pour éviter de poser son pied blessé.

Luci soupira.
— Attends, laisse-moi t’aider.

Il pensa, un peu coupable : Le voir bouger comme ça me donne l’impression d’être un monstre…

Asher hésita, puis hocha la tête.
— …D’accord ! Faisons ça ensemble !

Ils se mirent au travail, Asher désignant les objets dont ils avaient besoin.

Le démon pointa un grand chaudron en métal.
— Je vais rester assis, donc c’est toi qui dois faire le reste. Passe-moi l’eau qui est là-haut.

Luci cligna des yeux.

Il venait… de recevoir un ordre ?

Personne ne lui donnait jamais d’ordre. Il n’aimait pas ça. Mais… mmh…

Il croisa les bras.
— …Tu pourrais au moins dire "s’il te plaît", non ?

Asher inclina la tête, perplexe.
— …J’ai dit quelque chose de mal ? Tu ne veux plus m’aider ?

Luci secoua la tête.
— Tsss… Non, rien du tout.

Il attrapa un grand récipient d’eau posé sur un recoin de bois et manqua de perdre l’équilibre sous son poids.
— Par tous les saints, c’est lourd ! Tu fais ça tout le temps ?

Asher hocha la tête, sans hésitation.
— Bien sûr ! Papa le faisait, donc Luci peut le faire aussi, non ?

Luci tiqua légèrement à cette remarque, mais ne répondit pas.

Asher observa son expression, puis ajouta :
— Je fabrique tous mes outils aussi ! Comme papa me l’a appris. Je les taille dans la pierre ou le bois. Luci n’a jamais fabriqué ses propres outils ?

Le prince se figea, fixant le sol.

— Fabriquer mes outils ? Bien sûr que non. Pourquoi est-ce que je ferais ça ?

Asher cligna des yeux.
— Donc… Luci ne sait rien faire ?

Luci s’étouffa presque.
— P-pardon ?!

Asher réfléchit à voix haute.
— Peut-être que tu es plus jeune que je ne le pensais, et que ton papa n’a pas eu le temps de t’apprendre…

Luci vira au rouge.
— Bbh… Bbgh… N’importe quoi ! Je sais faire plein de choses !! Un prince n’a pas besoin de fabriquer ses propres outils, les gens adorent les faire pour moi !

Asher cligna des yeux, perplexe.
— Donc tu ne sais vraiment rien fabriquer ?

Luci, vexé :
— Et toi, tu ne vas pas me dire que tu as fabriqué ce chaudron, mmh ?!

Asher détourna le regard.
— Ahm… euh… Je l’ai échangé ! ÉCHANGÉ ! Voler c'est mal ! Il faut pas voler !

Luci haussa un sourcil.
— Échangé… comment ?

Asher se ratatina légèrement.
— La nuit… quand les humains dorment… Mais j’ai laissé un paiement ! De la bonne nourriture, de la médecine ! C'est de l'échange ! de l'échange ! Je n’ai pas volé… Je suis un gentil démon donc je ne vole jamais !

Luci soupira.
— Mmmh… Disons que c’est… une manière de voir les choses…

Il versa l’eau dans le chaudron.

— Très bien, grand chef Asher ! On fait quoi maintenant ?

— On doit faire bouillir l’eau !

Luci claqua des doigts.
— Donc il nous faut du feu ?

— DU FEU ?! AH ! non non non ! s'il te plait p...pas d...de feu !

Asher bondit en arrière, les ailes hérissées.

Luci le fixa, interloqué.
— …Quoi ?