Le laboratoire de Zokel était silencieux. Comme si rien n’osait briser le silence succédant à ce miracle inattendu.
La tache d’encre resta immobile quelques instants, clignant des yeux. Elle se tourna et regarda le parchemin duquel elle était sortie. Le parchemin ne brillait plus. Partout où la potion s’était répandue, l’encre avait disparu. Il n’y avait plus aucune trace du cercle magique crayonné.
La créature se détourna du papier et avança doucement.
La corbeille était partiellement éclairée par une raie de lumière provenant de la seule fenêtre de la pièce. Le soleil de midi chauffait agréablement les zones éclairées. Dès que la tache d’encre entra dans la lumière, elle sursauta et se réfugia dans l’ombre, sur ses gardes.
Quand après plusieurs minutes, rien ne changea, elle se rapprocha de nouveau lentement. Une sorte de tentacule d’encre s’étira de son corps avant de toucher rapidement la zone ensoleillée et de se rétracter. Rien ne se passa. La créature recommença ce manège plusieurs fois, avec de moins en moins d’hésitation.
Satisfaite de l’absence de danger, la tache admira un instant son tentacule éclairé. Celui-ci, d’un bleu profond, brillait légèrement d’une aura violette. En regardant de plus près, on pouvait voir comme de minuscules étoiles flotter dans l’encre. Ses yeux s’agrandirent, fascinés. La créature entra complètement dans la lumière et s’admira pendant de longues minutes, bougeant son corps de-ci de-là.
L’un de ses tentacules heurta une boulette de papier, qui roula un peu plus loin. La créature se figea au premier signe de mouvement.
Quand plus rien ne bougea, elle poussa doucement la boulette. Celle-ci roula sur encore quelques centimètres avant d’être stoppée par le bord de la corbeille. La tache d’encre tenta de la pousser plus loin, en vain. Il ne lui fallut que quelques essais supplémentaires pour comprendre comment l’envoyer dans l’autre sens. Puis comment la lancer, en la poussant par-dessous. Au bout de quelques minutes, la pièce résonnait des bruits de boulettes de papier tapant contre les bords de la corbeille dans tous les sens et de plus en plus vite.
Puis arriva ce qui devait arriver. Sous la force de plusieurs lancés simultanés, la corbeille se renversa et déversa son contenu sur le sol du laboratoire, projetant la créature contre ses parois. Une fois la corbeille immobile, la tache d’encre sorti de celle-ci en zigzagant, sonnée. Ses yeux fixèrent la corbeille d’un air grognon.
Son attention fut rapidement distraite par le reste de la pièce. De grandes bibliothèques remplies de livres et de bibelots divers couvraient les murs. Une petite fenêtre en hauteur laissait passer un peu de lumière vers le bureau. Des récipients en verre de toutes les formes étaient pendus au plafond par des cordes, contenant toutes sortes d’ingrédients magiques. Au milieu de la pièce, un cercle magique dessiné à la craie était partiellement recouvert de parchemins griffonnés.
Et maintenant de boulettes de papier.
La tache d’encre ouvrit de grands yeux. Ses contours se mirent à onduler rapidement avec excitation.
Elle s’approcha rapidement des boulettes de papier en glissant sur le sol. S’en suivit dans le laboratoire un pandémonium sans précédent, avec des boulettes de papier volant dans tous les sens. Des artéfacts précieux tombèrent par terre, malheureuses victimes de cette attaque. Ainsi que plusieurs livres, fioles et autres objets bizarres. Le tout dans un vacarme épouvantable.
Zokel et Grégor n’entendirent rien depuis la cuisine, le sort d’assourdissement fonctionnant dans les deux sens. Ce que Zokel allait amèrement regretter en découvrant le désastre.
La créature, elle, s’amusait follement. Elle bondissait de partout et s’accrochait à tout ce qui passait à sa portée. Les morceaux de fioles brisées réfléchissaient son image en de multiples doubles, renforçant l’illusion de nombreux esprits facétieux semant le chaos dans la pièce.
Son dernier saut la fit atterrir au milieu d’une peinture ancienne. La toile tendue, bien conservée, renvoya la tache d’encre avec une force égale. La créature heurta violemment le bas d’une des étagères et perdit immédiatement sa forme à l’impact. Il ne resta derrière elle qu’une projection bleue formée de plusieurs taches qui commença à goutter sur le sol.
Deux yeux émergèrent dans une des plus petites taches, et clignèrent, surpris.
La créature tenta de se mouvoir, avec grande difficulté. Son expression devint plus incertaine. Elle parvint péniblement à sortir un tentacule. Avec un gros effort, celui-ci finit par toucher une des flaques d’encre les plus proches. Aussitôt, l’encre de celle-ci fut aspirée par la créature qui regagna immédiatement de la mobilité.
La créature regarda avec concentration les autres flaques d’encre. Et entreprit de toutes les siphonner.
Au bout d’une dizaine de minutes, elle avait à peu près retrouvé sa taille précédente. Mais cet incident l’avait calmé et la tache regarda autour d’elle avec plus de prudence.
C’est alors que son regard tomba sur les parchemins dispersés. Parchemins qui étaient recouverts de notes écrites à l’encre. La créature s’approcha des parchemins avec empressement.
*****
Dans la cuisine, Zokel fut pris d’un mauvais pressentiment, sans savoir pourquoi. Il regarda autour de lui mais rien ne semblait anormal.
Pas de potion magique fumant avec des vapeurs dangereuses. La seule odeur de brulé dans la pièce venait du gâteau aux pruneaux, qui avait trop cuit. Un crime de lèse-majesté selon sa mère, mais qui n’était en rien dangereux.
Grégor, bien qu’énervé de l’état du gâteau, ne semblait pas tenté d’attaquer le magicien. Il n’avait pas encore essayé, mais Zokel l’avait vu aiguiser les couteaux de cuisine suite à l’incident de la semaine dernière. Avec beaucoup d’entrain et un grand sourire menaçant. Zokel avait sagement décidé de suspendre ses expériences les plus hasardeuses pour quelques jours.
Son chat Irno mangeait tranquillement son poisson-lion sur le comptoir. Sentant le regard du magicien, il releva la tête et feula férocement. Ah. Il se souvenait apparemment toujours de l’autre expérience du début de mois.
Le chat avala sa dernière bouchée rapidement avec un grand coup de dent, faisant briller ses canines, avant de quitter la pièce, la queue relevée. Hmm… Peut-être qu’un autre passage chez le poissonnier s’impose… Songea le magicien.
Zokel n’avait rien laissé de dangereux derrière lui dans le laboratoire. Il aurait juste un coup de ménage à passer sur son bureau pour nettoyer les restes de la potion. Mais rien qui ne pouvait attendre.
Bon sang, mais d’où vient donc ce mauvais pressentiment ?
*****
Une fois son appropriation de l’encre terminée, la créature avait doublé de taille. Ses tentacules tenaient fermement les objets les plus intéressants récupérés par terre : un gros diamant qui reflétait la lumière, un sablier en métal sculpté et un médaillon doré.
En manipulant ce dernier, elle activa involontairement le mécanisme de celui-ci. Le médaillon s’ouvrit en deux, révélant un miroir à l’intérieur ainsi qu’une photo. La photo représentait une femme aux longs cheveux bruns et aux yeux gris, vêtue de la robe caractéristique des mages. Elle se tenait debout à côté d’un chevalier en armure.
La créature se pencha sur le médaillon et ses yeux se fixèrent instantanément sur le miroir. Elle cligna des yeux, curieuse. Son reflet cligna également des yeux.
Surprise, elle se redressa avec de grands yeux. Son reflet l’imita.
Un tentacule vint toucher prudemment le miroir, avant de reculer rapidement au contact froid de celui-ci. Brrrr !!!
La créature agita son tentacule pour le réchauffer et fut ravie de découvrir son reflet l’imiter. Après un moment de ce jeu d’imitation, elle tenta de donner de l’encre à son double. Ce qui servit uniquement à recouvrir le miroir.
Satisfaite tout de même de sa bonne action, la créature se détourna de ses trouvailles et s’approcha de la seule partie de la pièce qu’elle n’avait pas exploré.
La porte du laboratoire était en bois massif, d’une grande résistance. Bien moins résistant était l’encadrement de la porte, que Grégor avait défoncé avec un grand coup de pied.
La tache d’encre sortit du laboratoire sans un bruit. Le couloir sombre était seulement illuminé par deux petites fenêtres en hauteur. Il menait à deux autres portes et un escalier en pierre.
La première porte, située en face du laboratoire, était également en bois mais de basse qualité et ne comportait aucun signe distinctif. Contrairement à la porte au fond du couloir qui elle était décorée de sigles magiques gravés dans un bois résistant. L’escalier, lui, menait vraisemblablement à un étage inférieur. La créature hésita, ne sachant pas dans quelle direction aller.
*****
Alors, où va décider d'aller la créature ?
Choix 1 : La porte en face
Choix 2 : La porte au fond du couloir
Choix 3 : L'escalier

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