De retour dans le présent
Les premiers rayons du soleil vinrent caresser le visage du jeune prince. Il fronça les sourcils, grogna légèrement.
— Mmh… Lucio, encore cinq minutes…
…
Aucune réponse ?
Parfait. Il avait enfin cédé à ses caprices. Une victoire bien méritée. Luci sourit, espérant grappiller quelques précieuses minutes de sommeil. L’air frais de la fenêtre ouverte effleura sa peau, lui arrachant un petit frisson. Il tira sur la couette pour se blottir… ou essaya.
Ses mains rencontrèrent une résistance.
Hmm ?
Un drôle de pressentiment le prit. Il ouvrit un œil… puis l’autre.
La pièce était haute de plafond, baignée de lumière. Les rideaux étaient grands ouverts sur un ciel bleu éclatant traversé par quelques oiseaux. Tout semblait paisible, presque… serein.
À un détail près.
À bien regarder, dehors, au loin, ce n’étaient pas des oiseaux qui volaient, c’étaient des… DÉMONS ?!
Luci se redressa d’un bond, le cœur battant. Ce n’était pas sa chambre. Ce n’était pas SON château. Ce n’était même pas le bon royaume !
Et surtout, il était… enchaîné ?!
Des chaînes dorées, solidement fixées à la tête du lit, attachaient ses poignets. Il tira dessus, paniqué. Rien à faire. Il était attaché à un lit de soie… dans une tour démoniaque… presque nu.
Super. La journée commence BIEN.
Il ferma les yeux et inspira un grand coup. Analyse de la situation : chambre spacieuse, sans doute au sommet d’une tour. Vue dégagée. Ameublement étrange mais luxueux. Des chaînes aux poignets et au cou en or massif… au moins, le ravisseur avait du goût.
Mais comment avait-il atterri ici déjà… ?
…
… ASHER !
Mais oui ! Ça me revient !
Il frappa son poing dans sa paume.
La pluie. Le balcon. Le moment intense. Et ensuite… le vol.
Il avait dû perdre connaissance.
Et cet idiot d’Asher l’avait emmené ici, l’avait déshabillé et attaché. … Charmant.
… Est-ce qu’il voulait le manger ? En faire son prisonnier ? Ou alors… tout ceci n’était que la mise en scène d’une version plus… adulte de leur ancien jeu de rôle « prince en détresse » ?
ouuulala... Hehe.
L’idée le fit rougir malgré lui, mais de telles pensées n’étaient pas dignes de son rang. Le prince blêmit et secoua la tête pour chasser ces fantasmes idiots.
Soudain, un rugissement monstrueux retentit au loin. Luci eut un frisson d’effroi qui lui parcourut l’échine. Cela le sortit vite de ses pensées.
Aussi curieux qu’il était, pas question de rester sagement ici pour avoir le fin mot de cette histoire ! Il avait toujours eu le goût du risque, mais pas celui de la folie !
Il agrippa la chaîne et tira avec force.
Celle-ci ne bougea pas.
— Évidemment… ça aurait été trop simple, sinon, pas vrai ?
Par chance, l’idiot qui l’avait enchaîné au lit n’avait ajouté aucun sortilège. Pour lui, cela serait un jeu d’enfant de se libérer avec un peu de magie.
Il agrippa des deux mains la chaîne du côté gauche et commença à murmurer en latin un enchantement. Bientôt, son corps et ses mains furent recouverts d’une aura rouge, symbole de force.
— Fortis vincula…
Il tira d’un coup sec.
CLANG !
La chaîne céda. Maintenant ses liens cassés en deux, il se libéra du lit sans problème et en sortit. Pas le temps de se débarrasser du reste ou de la chaîne qui traînait. Il attrapa rapidement ses vêtements abandonnés sur un paravent, et tant pis pour sa cape absente.
Il fallait déguerpir. Maintenant.
Il approcha de la porte et y colla l’oreille : des bruits de pas, trop lourds pour être humains. Pas question de passer par là ! Il recula.
Le balcon, alors.
La vue était dégagée et plongeante. C’était sûrement la plus haute chambre de cette ville. Il n’y avait qu’un seul bâtiment qui semblait plus haut, et celui-ci dégageait une énergie folle. Cela terrifiait et fascinait Luci en même temps.
Il s’avança et se pencha par-dessus la balustrade. Le vide. C’était haut, vraiment haut.
Il observa : le bord était légèrement pentu. Le mur extérieur était irrégulier, orné de balcons et de sculptures. Il pouvait tenter une descente par paliers, glissant en rappel d’un rebord à l’autre.
Ainsi, il pourrait sûrement atteindre le sol et s’enfuir.
…ou tomber et mourir.
Risqué, certes, mais pas impossible.
À choisir, Luci préférait les acrobaties à finir au menu du petit-déjeuner d’un démon.
Il lui fallait juste de quoi se laisser glisser doucement le long de la paroi.
Il regarda la chaîne qui pendait toujours à son bras gauche.
— Ça fera l’affaire…
Il attacha la chaîne encore fixée à son poignet autour d’un ornement solide, tira pour vérifier la solidité, et sortit d’une voix fébrile un encouragement à lui-même.
— Bon… quand faut y aller…
Il monta sur la rambarde, respira profondément, et commença à descendre en rappel, les pieds contre la pierre. Il atteignit un premier rebord. Lâcha la chaîne. Elle tomba. Il recommença.
Tout allait bien.
Jusqu’à ce qu’un rugissement déchire le ciel.
Un cri si puissant que toute la cité sembla se figer. Luci se glaça.
— …Oh non.
Il accéléra. Deux sauts. Trois. Il glissait de rebord en rebord à une vitesse folle.
CRACK.
La décoration qu’il utilisait comme point d’ancrage céda. La chaîne lâcha. Luci tomba.
Il tenta de se rattraper, mais trop tard.
— NON NON NOOON !!!
Son corps glissa le long du mur. Dans un réflexe de survie, il agrippa la chaîne, ramena l’ornement cassé toujours accroché à elle.
— Lux maxima !!!
L’aura blanche de la magie l’enveloppa. Il planta le métal dans la paroi. La pierre se fissura, ralentissant sa chute… jusqu’à ce qu’il atterrisse brutalement dans des plantes grimpantes, puis dans un buisson.
BAM !!
Il rouvrit les yeux, son corps lui faisait mal partout. Le morceau de métal se planta juste entre ses jambes avec un « SCHLINK ».
Luci déglutit lentement.
— …Merci, Dieu.
Un autre cri monstrueux résonna. Luci se releva d’un bond, attrapa la chaîne, et ramassa son “couteau de fortune”.
Il se dissimula dans les feuillages. Des démons. Partout. La rue grouillait de créatures aux queues, ailes, cornes, oreilles pointues…
Impossible de sortir comme ça.
Il lui fallait un camouflage.
En face, un drap pendait à une fenêtre. Ni une, ni deux, il se glissa hors du buisson, s’en empara, s’en fit une cape. En passant, il attrapa un crâne décoratif posé sur un mur et le plaça sur sa tête. Les cornes dépassaient juste assez de la capuche.
Avec un peu de chance, ça suffirait à ne pas se faire remarquer.
Maintenant, il était un prince en cavale… déguisé en démon, avec une seule mission : sortir de cette cité infernale sans finir en brochette !
Luci avançait à pas feutrés dans les ruelles étroites de la cité démoniaque.
Malgré la tension qui lui nouait le ventre, il ne pouvait s’empêcher de jeter des regards fascinés autour de lui. C’était… un autre monde. Un univers complètement étranger.
Les bâtiments étaient faits de pierre blanche ou volcanique, taillée avec une précision presque artistique, ornés de vitraux colorés qui diffusaient la lumière matinale des torches enchantées. Les rues sinueuses semblaient vivantes, serpentant entre les maisons suspendues et les ponts flottants. Tout ici grouillait de magie et de monde, ou plutôt… de démons.
De toutes tailles, de toutes formes. Certains avaient des ailes, d’autres des cornes. Certains flottaient, d’autres rampaient. Il y avait des enfants-démons qui jouaient avec de petites sphères de glace comme on jongle avec des pommes, des marchands vociférant dans un latin presque chantant, des rires rauques, des queues qui claquaient contre les pavés, des sabots, des griffes, des murmures.
Luci avait parfois l’impression d’être dans un rêve. Un cauchemar féérique, un peu trop réel.
Il serrait sa cape improvisée contre lui, baissait la tête sous son crâne décoratif, évitant soigneusement les regards. Surtout, ne pas attirer l’attention. Il fallait juste sortir de cette ville. Trouver une porte. Un pont. Un tunnel. N’importe quoi.
Mais plus il avançait, plus les ruelles devenaient étroites, les démons plus nombreux, son souffle plus court. Il tentait de se faire aussi petit que possible, fuyant les bousculades, esquivant les cornes, contournant les ailes…
Jusqu’à ce qu’il débouche sur une grande place, à la vue dégagée, juste en face de l’immense tour lumineuse.
Face à elle, il ne put s’empêcher de marquer un arrêt.
La magie qui s’en dégageait était si puissante, si majestueuse que Luci en resta bouche bée. Il y avait là de quoi alimenter toute une cité pendant des années. Malgré les ressources de son propre royaume, il n’aurait jamais pu rêver d’une telle force magique. Il en était presque jaloux. Était-ce l’ingéniosité d’Asher qui se cachait derrière ça ?
Il s’avança sans y penser, hypnotisé comme un papillon attiré par la lumière.
Et percuta de plein fouet un petit démon qui passait par là.
— Eh ! …Attende, insolitum olfacis, nonne ?
— P… V-Veniae !
Pris de panique, Luci recula pour fuir, mais son pied se prit dans une queue robuste. Il trébucha violemment.
Le prince s’écrasa lourdement au sol, projeté sur les pavés.
Sa capuche glissa.
Le crâne roula à quelques mètres.
Le petit couteau tomba non loin de lui.
La chaîne dorée tinta en s’échappant de sous son manteau, étincelant à la lumière.
C’était la fin de la mascarade. Peut-être la fin tout court.
Il était à nu, au beau milieu du territoire ennemi.
Le silence tomba comme un couperet.
Autour de lui, les regards se tournèrent. Un à un.
Une paire d’yeux jaunes, puis verts, puis rouges. Une grande créature ailée se figea, un fruit suspendu entre ses crocs. Une démone au teint bleu-noir recula d’un pas, sa queue se hérissant comme celle d’un chat effrayé.
Un cercle de curiosité se forma autour de lui.
Et au milieu de tous ces démons…
Un humain.
Luci resta figé, au sol, le souffle coupé.
…Oh non.

Comments (0)
See all