Le soleil commençait à redescendre lentement derrière les arbres touffus lorsque Trafalgar, Shadow, Albert, Maxime, Bass et Arnaud pénétrèrent au village. Le vieux chef marchait à leurs côtés, le visage soucieux mais paisible et le tiger boitillait près d’eux.

Les maisons de bois, aux toits couverts de feuilles tressées, semblaient avoir retrouvé un souffle de vie. Peu à peu, des visages sortirent prudemment des portes et des fenêtres. Les villageois, méfiants quelques instants plus tôt, s’approchaient maintenant avec inquiétude… et surtout avec curiosité. Certains portaient des paniers, d’autres des enfants. Tous regardaient le groupe avec attention.

— « C’était un malentendu, » déclara le vieux chef d’une voix forte mais douce, posant une main sur l’épaule du tigre. « Tout est rentré dans l’ordre. Nos invités sont des amis. »

— Les villageois échangèrent des regards. Puis commencèrent à chuchoter entre eux.

Trafalgar haussa un sourcil. Il pencha la tête vers Shadow :

— T’as remarqué comment ils s’appelaient entre eux.

Shadow, un sourcil levé lui aussi, regardait autour de lui avec un air intrigué.

— « Frère, cousin, oncle, tante… C’est un village ou une réunion de famille géante ? » souffla Shadow.

Le vieux chef fit signe à tout le monde de le suivre vers le centre du village sous les regards indiscret des villageois. Après quelques minutes de marche sous un ciel rosé du crépuscule ils finissent par entrer dans la grande maison au centre du village. Une sorte de petit château, taillé dans le bois et décoré de drapeaux colorés, se dressait fièrement au cœur du village. Une fois à l’intérieur, les invités furent guidés vers une salle de bain rudimentaire mais propre. Des femmes leur apportèrent des vêtements frais, tissés à la main, aux motifs marins et forestiers. Pendant ce temps, le tigre blessé fut confié aux soins d’un vieil herboriste.

La nuit tomba rapidement, et les lampes à huile furent allumées. Une grande table avait été dressée dans la salle principale. Fruits tropicaux, poissons grillés, racines savoureuses, champignons colorés… tout était disposé avec soin.

Ils étaient nombreux à table. Le vieux chef était là, assis au centre, entouré de plusieurs femmes âgées – ses épouses. Une douzaine d’enfants riaient en courant dans la pièce avant de se poser calmement. L’ambiance, d’abord solennelle, s’adoucissait peu à peu. Tout le monde s’installa puis le vieux parla : 

_ Je ne me suis pas présenté depuis le temps, je m’appelle Solano.

_ Enchanté, moi c’est Arnaud dit Arnaud puis les autres en firent de même. Trafalgar en mettant un champignon dans sa bouche dit :

 — « J’ai remarqué… que tout le monde s’appelait frère, tante, cousin... C’est pas commun. »

Le vieux chef sourit doucement, regardant les flammes d’une lanterne vaciller :

— « Ce n’est pas un hasard. Ce village a été fondé par un seul homme. Notre père… Sébastian de Magellan. »

Silence autour de la table.

— Ahh ouais dit Bass, les yeux écarquillés. 

—  Le navigateur plus grand navigateur de tous les temps compléta Solano avec fierté.

Le vieil homme hocha lentement la tête.

— « Il a fait le tour du monde… deux fois. Et à la fin de son second voyage, il a choisi cette île qui était autrefois désert. Il s’y est installé, y a fondé une famille. Une grande famille. »

Albert fronça les sourcils :

— « Deux fois le tour du monde… Mais c’est gigantesque ! Ça a dû lui prendre des dizaines d’années ! »

— « T’as raison, » dit Maxime, posant ses coudes sur la table. « Même une seule fois, c’est presque une vie entière. »

Le vieux chef acquiesça, les yeux brillants :

— « C’est parce que notre père est… particulier. Il a aujourd’hui 204 ans. »

Trafalgar recracha presque ce qu’il venait de boire.

— « Attends, QUOI ?! » — « Deux cent… quoi ? » balbutia Albert. — « C’est pas humain, » murmura Arnaud.

Les enfants éclatèrent de rire. Le vieux chef lui-même riait. Un rire bizarre qui faisait La la la la la la laaa

— « C’est vrai. Il a vécu longtemps. Et il a eu… comment dire… » Il toussota, regardant ses femmes. « … trente-trois femmes. » Maxime s’étrangla.

— « TRENTE-TROIS ?! » — « Et… combien d’enfants ? » demanda Shadow, moitié curieux, moitié effrayé.

— « Cent soixante-dix-neuf, » répondit calmement le vieil homme. «  Et moi je suis l’aîné ».

Un silence abasourdi suivit.

— « Ah ouais. Le gars a fondé une armée à lui tout seul, mais toi aussi tu devrais être aussi vieux, non ? » souffla Bass. — Euuuhhh oui j’aurai 180 dans près d’un mois La la la la la la la laaa — Wow mais vous avez une grande longévité chez vous dit Trafalgar — Oui c’est de famille rétorque Solano.

Albert éclata de rire, suivi par les autres. L’atmosphère se détendait, bercée par la surprise et les sourires. Puis Arnaud, un peu hésitant, demanda :

— « Et… il est où maintenant ? Il vit toujours ? »

Le sourire du vieux chef s’effaça doucement. Les visages autour de la table s’assombrirent. Les enfants baissèrent les yeux. Même le tigre, qui reposait plus loin, poussa un soupir lourd.

— « Je suis désolé, » ajouta Arnaud, croyant avoir ravivé un deuil.

Le vieil homme secoua la tête.

— « Tu n’as pas à t’excuser. Notre père n’est pas mort… mais il a été enlevé. Il y a deux ans et demi. »

— « Par qui ? » demanda Shadow, le ton plus grave.

Le vieux chef fixa la flamme vacillante de la lanterne, puis murmura :

— « Par le pirate le plus redouté des mers… Édouard. »

Le nom claqua dans la pièce comme un coup de tonnerre.

Un silence pesant s’abattit sur la grande maison.

Les regards s’échangèrent. Quelque chose venait de basculer dans l’air.