Bras recroquevillés contre son visage, il sentit la bête foncer droit sur lui.
J’ai encore échoué… Pour un prince de la lignée des Stars, n’est-ce pas pathétique ?
Asher… toi, tu n’aurais pas perdu, pas vrai ?
CRAAAAACK !
Comme si ses pensées avaient traversé le ciel, une masse s’écrasa derrière lui. Le sol trembla violemment et la pierre se brisa à l’impact. Une ombre titanesque le recouvrit. Luci ne voyait que la silhouette déployée avec ses deux ailes immenses.
— ROOAARR !!
Le rugissement fit vibrer l’air, accompagné d’une vague de mana si puissante que Luci dut se protéger le visage.
La démone-hyène fut repoussée de plusieurs mètres, griffes plantées dans la pierre pour ne pas être emportée.
Les autres démons, projetés ou figés par la peur, reculaient en haletant. Aucun cercle magique, aucune incantation.
C’était du mana pur. Brut. Instinctif.
C’était son mana naturel, celui de son sang.
C’était lui sans aucun doute… c’était leur Overlord.
Tellement intense, tellement écrasant, que Luci sentit son cœur rater un battement. Sa gorge se noua.
Y avait-il encore une trace du gentil démon de ses souvenirs dans ce cri capable de démolir une montagne ?
Un souffle rauque. Une respiration lourde. Celle d’un prédateur.
Il n’osait pas lever la tête. Mains tremblantes, gorge sèche, il tenta tout de même :
— A… Ash…
— ASSEZ !!
Le sursaut fut immédiat. Pas seulement à cause du volume, mais à cause… de l’aura.
L’ordre avait été lancé avec une autorité si puissante qu’elle fit frissonner tous les démons présents.
Leurs queues tombèrent, leurs oreilles se baissèrent. Soumission.
Seul Luci avait échappé à son effet.
…C’est donc ça, le pouvoir des Demon Lords…
Le Dux… Est-ce que c’est vraiment Asher qui vient de faire ça ?
L’Overlord s’approcha, se pencha, et attrapa Luci par les épaules.
Le prince osa enfin lever les yeux... et aperçut la chevelure rouge flamboyante qu’il aurait reconnue entre mille.
Asher.
La chaleur de ses mains contrastait avec la froideur de ses griffes. Une sensation étrange... entre réconfort et crainte, entre l’envie de se blottir et celle de fuir au plus vite.
— Ça va aller. Je vais arranger ça, Luci, murmura-t-il doucement.
Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas entendu son prénom dans cette voix. Plus grave, plus assurée. Familiarité rassurante dans un monde devenu étrange.
Luci releva doucement la tête.
Asher lui adressa un sourire.
Ce sourire-là… il le connaissait.
C’était celui du petit démon de la forêt.
Il est encore là.
Asher se tourna vers la foule, reprenant un ton solennel, en latin parfait :
— Luc.. ahhm e veux dire le prince humain est mon invité. En tant que dirigeant de son peuple, il mérite le même respect qu’un Lord.
Je souhaite établir des échanges bénéfiques entre nos clans. À partir d’aujourd’hui, traitez-le avec les mêmes égards que moi. Je compte sur vous tous pour lui offrir un accueil chaleureux.
Un silence gêné s’installa.
Les démons semblaient… perplexes.
La démone-hyène et le démon-pangolin échangèrent un regard, puis s’exprimèrent :
— Euh, mon Lord ? On a juste répondu à sa demande de duel. On s’est battus à la loyale. En quoi l’avons-nous offensé ?
Asher jeta un regard à Luci, un sourire nerveux sur le visage.
Il n’a pas fallu cinq minutes à Luci pour se battre avec des démons… Il n’a pas changé, hein ?
— Euh… disons que les humains ne sont pas… familiers avec les coutumes démoniaques.
Ils ne se battent pas comme nous. Donc… je vous demande de ne plus l’affronter.
Un moment de flottement.
— Oh…
La hyène maugréait dans sa barbe, "pourtant il a dit qu’il les connaissait…" avant que le pangolin ne lui tire la queue pour la faire taire.
La foule semblait presque déçue dans ses murmures mais n’osa s’opposer à son chef. Des bruits devinrent vite un grand brouhaha et de plus en plus de questions étaient soulevées.
— Mais alors est-ce qu’on peut le sentir ?
— Ahh…
— Et pour les humains, c’est bon si on les lèche ?
— Euhh…
— On lui gratte le ventre, alors ?
— …
Asher ne savait plus où donner de la tête. Il était tout sauf prêt à faire la passerelle entre les cultures drastiquement opposées des humains très organisés et des démons souvent chaotiques.
— AH, PAR PITIÉ ! Ça suffit ! Pas plus de questions pour aujourd’hui !
Un peu paniqué et sans attendre l’autorisation, Asher agrippa Luci par la taille.
— Oh… WHOAAHHH ?!?!
Luci n’eut même pas le temps de protester. Il s’agrippa à Asher malgré lui. Il eut à peine le temps d’admirer la vue vertigineuse que déjà, le démon le redéposait avec douceur sur le balcon de sa chambre.
— Luci ! Je suis désolé ! Vraiment désolé ! Tu n’as rien ?! ta…ta joue, TU SAIGNES?!
Asher arracha un drap, le découpa d’un coup de griffe, et le pressa sur la plaie.
— Aie aie aie ! Doucement, doucement !
— Ah mon dieu ! C’est un malentendu ! Ce n’est pas ce que je voulais ! Est ce que tu m’en veux ? Je suis désolé, je ne voulais pas te kidnappé !! Je ne savais pas quoi faire et-
— Pff… Ahahaha !
— …Luci ?
— Calme-toi. Je vais bien. Et c’est grâce à toi. Alors détends-toi, d’accord ?
— Luci… C’est bien toi, pas vrai ? C’est toujours toi ?
— Oui, Ash. C’est bien moi.
Asher le regarda longuement, comme pour s’en assurer…
Puis le prit soudainement dans ses bras. Une étreinte pleine de bonheur et d’espoir inespérés.
Luci resta figé une seconde. Puis, lentement, referma ses bras autour de lui.
— Moi aussi, tu m’as manqué… mon gros idiot.
Asher le relâcha sans commenter le surnom.
— J’ai cru que je ne te reverrais jamais.
— J’ai cru que tu n’étais que le fruit de mon imagination… Si tu savais comme je m’en veux.
— Haha… Luci a toujours eu une imagination spéciale, mais pas au point d’inventer tout ça, hein ? dit-il en lui caressant la joue, juste pour s’assurer qu’il était bien réel.
— Mmmh… En parlant d’imagination… Je comprends que tu aies eu peur que je disparaisse encore, mais… tu ne penses pas que m’enchaîner à ton lit était un peu… excessif ?
— …
— …
— AAAAAH NON !! C’est pas ce que tu crois !! Je te jure !! C’est pas moi ! Je le jure devant Dieu ! C’est le service de chambre ! C’est un malentendu, je te le promet ! Je suis sorti et ils t’ont vu sans vêtements… Mais j’ai PAS regardé, c’est juste parce que c’était trempé ! Et ils ont cru… enfin ils ont pensé que… AH—
Il était si rouge qu’on aurait cru ses écailles faites de camélias.
— Donc… tu veux dire qu’ils m’ont confondu avec ton en-cas de minuit ?
— AHHH !! Non ! Enfin… un peu ? désolé… Mais je mange pas d’humains, hein ! Les démons en mange pas ! C’est des légendes ça.
Enfin si... mais c’est rare ! Genre… comme les humains qui mangent des rats en cas d’urgence ! Tu vois ?!
Voilà ! Tu n’as rien à craindre parce que pour les démons les humains c’est un peu comme des rats, ahah !
Luci répéta d’un air dépité, limite vexé.
— Comme … des rats.
— Ahhh… désolé. Je suis très mauvais avec les métaphores. Ahhh…
— Haaah… Donc m’attacher nu, ce n’était pas ton idée… Quelle déception, fit Luci, faussement songeur, main sur la joue.
— De… déception ?!
— Moi qui pensais que tu voulais encore jouer au « prince captif », ô grand démon Lord… . Il faut croire que j’ai eu encore l’imagination trop fertile, tant pis.
Luci esquissa un geste, discret mais tactile. Juste assez pour tester les réactions de son ami retrouvé.
Asher devint rouge camélias, jusqu’au bout des ailes. On aurait cru voir de la fumée lui sortir du crâne.
Les rois de cette terre peuvent conquérir bien des choses, mais le cœur d’un démon lord, ça, seul le petit prince n’en serait à jamais capable.
— T-tu… toi et… moi ? Non ! Enfin… peut-être ? Enfin NON ! Je veux dire… je n’oserais pas– AH ! enfin je-
Il gesticulait tant qu’il provoquait de véritables courants d’air.
J’en ai fait peut être un peu trop, le pauvre est en train de dérailler.
Luci leva la main pour lui tapoter la tête… avant de réaliser qu’il était devenu bien trop grand.
Alors il tira sur son oreille pointue.
— Aiiieeuhh– mais !
Le prince lui posa l’index sur les lèvres.
Les yeux louchant sur son doigt, le démon se calma immédiatement.
— Shhh. Je te taquine, idiot. Pas la peine de paniquer.
— Désolé…
Je pensais que c’était chose commune pour les démons lords, mais après tous c’est d’Asher dont on parle…
Peut-être qu’il est encore naïf, ce grand démon…
Dommage, avec un corps pareil…
— Ahahah… Tu t’excuses beaucoup pour un Démon Lord. C’est… courant ?
— Ah… Stolas me le dit souvent aussi. Parfois, j’ai l’impression de ne pas avoir les épaules pour diriger.
Luci jeta un regard à la largeur de leurs épaules respectives. Il soupira intérieurement.
Parle pour toi.
— Stolas ? Alors c’est officiel, je ne suis plus ton seul ami ?
— Ohh, faut que je te le présente ! Lui et les autres ! Je sais, ce sont de vrais démons, des vrais démons des enfers, mais je te jure sur Dieu : ils sont gentils ! Tu vas les adorer ! ET ils ne mangent pas d’humains NON NON !
Même ici, il a su se faire des amis…
Je crois que je l’envie un peu. Il semble plus chez lui ici que je ne l’ai jamais été dans mon propre royaume.
— Asher… Est-ce que tu te sens chez toi, ici ?
— Eh bien, j’ai construit ma chambre… et aidé à bâtir la cité avec mon clan. Alors ça ne pourrait pas être plus adapter et confortable, je suppose..
— Non, je veux dire… est-ce que tu te sens chez toi… parmi les démons ?
Asher toucha instinctivement la croix d’or à son oreille.
— Ahh…ça. Parfois, je ne les comprends pas. Ils sont étranges, imprévisibles… Mais ça n’a rien avoir avec ce que mon papa me racontait !
Ils m’ont accueilli comme l’un des leurs. C’est imparfait. Mais c’est ma famille. Je crois que maintenant c’est ici chez moi.
— Je vois. Alors je suis content pour toi. Tu as trouvé ta place.
Luci recula d’un pas, comme si cela avait créer une barrière entre eux. Son sourire était à la fois sincèrement heureux et avec une pointe de tristesse.
Mais cette fois, Asher ne le laissa pas fuir. Il lui attrapa la main.
— Mais maintenant que tu es là… j’ai vraiment l’impression d’être rentré à la maison.
La voix de Asher était douce et son sourire sincère.
Luci resta sans voix. Ses joues parlèrent à sa place.
Asher se rendit compte de ce qu’il venait de dire… et rougit à son tour.
— Enfin… tu sais… y’a de la place ici. Tu pourrais rester… si tu voulais.
— Ici ? Tu penses que cette cité est faite pour un simple humain comme moi ? Et puis… tu sais bien que ça ne dépend pas que de moi.
— Oui, je me doute. Tu es un souverain. Tu as ton propre royaume…
C’est juste que… il s’est passé tellement de choses. Je ne sais même pas par où commencer…
Luci huma l’air. Une odeur irrésistible de pâte chaude et de sucre flottait dans la pièce.
Il tourna la tête.
— Hmmm. Par exemple… tu pourrais commencer par m’expliquer comment le gentil petit démon de la forêt est devenu l’Overlord d’un clan de démons.
Il attrapa un croissant en forme de dragon, encore tiède, et en croqua une corne.
Toujours aussi bon cuisinier, difficile de lui trouver des défauts… enfin si on fait abstraction de ses origines plus que blasphématoires.
Asher apporta le plateau près du lit où Luci s’était assis. Le prince s’essuya de nouveau sa joue tachée de sang et son cou avec le bout de drap, avant d’être gêné par son collier d’or toujours présent.
— Et au passage… tu pourrais aussi m’enlever cet attirail, non ?
— Ahhh ! Oui, oui, tout de suite !
Quel idiot ! Comment j’ai pu oublier ça ?!
D’un geste précis, Asher brisa les chaînes comme si c’était de simples rubans de papier.
Comment peut il plier l’or comme une brindille et en même temps être capable de tenir de la porcelaine sans la casser ?!
Luci garda ses pensées trop curieuses pour lui même avant de se frotter le coup et les poignets. Les deux garçons s’allongèrent enfin sur le lit.
Luci s'allongea sur le lit, jambes croisées en l’air, et attrapa un nouveau croissant-dragon toujours chaud, ses petits yeux en sucre brillants le fixant presque avec innocence.
— …Il est trop mignon pour être mangé, murmura-t-il.
Il hésita… puis croqua doucement dans la queue, juste le bout.
— Voilà. Il peut encore s’envoler.
Asher éclata de rire.
— Tu viens de traumatiser un dragon en sucre.
— Tsss. C’est toi qui lui as donné une âme avec tes yeux en caramel. Mais si tu préfères je peux plutot manger ta queue... sauce épicé, héhé.
- Ah ! tu n'oserais pas ?!
Il se tient la queue d'éffroi, avant de la relaché dépité.
- Attend, tu l'as déjà fait celle là.
Avec un petit sourire en coin il lècha les miettes sur ses doigts.

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