Asher croqua dans un croissant, mâcha lentement, puis releva les yeux vers Luci.

– Par où commencer…? C’était il y a si longtemps… désolé si je ne me souviens pas de tout.


– Tu n’es pas obligé de me donner chaque détail, répondit Luci doucement. 

Te souviens-tu d’après mon départ ?


– Après ton départ… je me souviens m’être entraîné à voler. Beaucoup. Et j’ai attendu ton retour, encore et encore, jusqu’à-


– Tu m’as attendu ?! 

Luci le coupa, surpris.


– Asher, je suis revenu, mais il était trop tard. Tu n’étais plus là. Il n’y avait plus rien, tout avait brûlé… J’ai cru que tu étais mort. Je suis désolé. J’ai été trop long. Tu as dû abandonner et m’en vouloir. Je suis pathétique. Je n’aurais jamais dû te laisser seul.

– Ce n’est pas ça. Je n’ai jamais perdu foi en notre promesse, pas même aujourd’hui. Ce n’était pas de ta faute, Luci.
– Alors pourquoi ne m’as-tu pas attendu ? Pourquoi es-tu parti ?


– La forêt n’était plus sûre pour moi. Quelques jours après ton départ, des humains sont venus. Des hommes en armure, armés et déterminés, arborant la Camélia.


– Des soldats ?! De Camélia ?! Tu veux dire… mes soldats ?!


– …Oui. J’ai bien essayé de me cacher, mais ils me traquaient. Quand ils ont trouvé l’arbre-mère, ils l’ont brûlé. Je n’avais plus de maison. Alors j’ai volé aussi loin que je pouvais, dans la direction opposée. Voilà tout.


– Mais comment est-ce possible ?! Je n’ai jamais ordonné ça, je te le promets ! Qui aurait pu… Oh mon dieu… Anastasia… C’est ma faute… c’est ma faute… J’ai bien failli te tuer. Si j’avais su me taire plus tôt… pardonne-moi…

Asher serra les croissants dans ses griffes, une miette s’écrasant sous sa paume. Peu importait qui elle était : Luci ne semblait pas vouloir en parler, ni même s'en souvenir.
 Le démon laissa ses questionnements de côté pour se concentrer sur son ami. Son regard était sombre, presque désespéré. Quel poids portait-il sur ses épaules pour se mettre dans un tel état ? Pouvait-il l’aider, ou au moins alléger un peu ce fardeau ?


Asher fit glisser le bout de sa queue sur les lèvres de Luci pour l’interrompre doucement.

– Je vais bien. Arrête de t’en vouloir. Tu n’y es pour rien, tout n’est pas de ta faute.


– Et pourtant… C’est bien par ma faute qu’ils sont venus. J’étais jeune et perdu. J’avais encore confiance en les adultes qui m’entouraient. J’avais besoin de confier mes secrets… et j’étais trop naïf pour voir que même… elle se servait de moi. Ou peut-être que je ne voulais pas le voir. Et je t’ai mis en danger. C’est impardonnable, mon incompétence est inadmissible.


– Luci… on avait quoi ? huit ans, à peine. Tu étais un enfant. Pourquoi es-tu si dur avec toi ?


– Parce que c’est à moi de protéger les autres. Mes actions ont des conséquences. Chaque manquement peut être tragique pour ceux qui dépendent de moi. Mais ce jour-là, j’ai appris. Elle m’a donné une leçon que je n’oublierai jamais. Je ne mettrai plus jamais personne en danger. J’ai failli avec toi. Tu as toutes les raisons de m’en vouloir.

– Tu sais, Luci… quand j’ai vu les chevaliers arriver avec le blason de Camélia, j’ai cru, un instant, que c’était toi qui les avais envoyés. Pendant un vol qui m’a paru une éternité, je me suis demandé… pourquoi. Mais quand je me suis posé, j’ai regardé ta bague. Je me suis souvenu de ta promesse, et le doute s’est dissipé.


– Pourtant tu n’avais aucune preuve…


– J’ai simplement choisi de croire en toi. Même si ça me mettait en danger. Peu importe les autres : moi, j’ai confiance en l’adulte que tu es devenu.

– M… merci, Ash. Mais tu devrais penser à toi avant tout, les humains ne sont pas des êtres de confiance.


– C’est mon choix, pas le tien ! Tu n’es pas responsable de tout le monde ! On n’est pas tous des agneaux et toi notre berger, ahah !

– Tu m’as fait la peur de ma vie ! J’étais mortifié, espèce d’empoté ! J’avais souvenir qu’on t’avait mieux éduqué !


– Désolé… je voulais juste te sauver, je te le jure.


– Mouais… excuse acceptée, soupira Luci. Mais j’ai bien cru que tu étais venu pour m’achever. Tu as de la chance que je t’aie reconnu in extremis.

J'ai surtout de la chance que LUI met reconnu oui, sans ce miracle on écrivait mon épitaphe ! Pensa Luci.

Luci inspira profondément, retrouvant son calme.

Asher baissa les yeux, mal à l’aise. Les démons n’étaient pas faits pour réconforter, ce n'était pas dans leur culture. Pas de gros calins, plutot une petite baston amicales et l'affaire était oublié. Mais il fallait bien enterrer la hache de guerre pour éviter le malaise. 

Après une grosse bouchée de croissant pour le courage, il força un grand sourire, toutes ses dents pointues bien visibles.

Il réfléchit un instant. puis fier de sa trouvaille, ricanna:

Un silence tomba.
 Avec ce sourire carnassier, Asher croyait être rassurant. En réalité, en essuyant les miettes du bout de la langue, il ressemblait plus à une bête prête à dévorer sa proie.


Luci cligna des yeux, surpris par le contraste, un léger mouvement de recule instinctif, relant d'une peur ancestrale. Et puis après une seconde d'engoisse mutuelle, la grimace du prince se changea en un sourire qui s’étira lentement, narquois.

Il mordit dans un croissant, lécha la poussière de sucre du bout des doigts, et planta son regard dans celui du démon. Il n'allait pas manquer une occasion pareil de jouer avec plus fort que lui.

– Tu t’es enfui face aux soldats, il me semble.


– AH OUI ! Très bien, marmonna Asher, mortifié. Alors… je continue. Après avoir quitté la forêt, j’ai volé droit vers les Enfers…

Merci @PhotoBlur (bluesky) pour ce si joli fanart d’eux ! <3