Tout se passa en un instant sans même qu'Ori puisse réagir. Quand il rouvrit les yeux, Kuwa était à plat ventre sur le sol. Ylva enveloppait Flore avec ses ailes argentées, et elles tournaient le dos à un grand rondin de bois, pendu avec des cordes à chaque extrémité. Sora était juste devant Ozan et tendait-la main vers le rondin. Sa main ne le touchait pas mais elle semblait l'avoir arrêté. - Tout le monde va bien ? Demanda-t-elle. Je ne m 'attendait pas à rencontrer des pièges ici. Nochi lui, jouait au funambule sur le rondin - J'crois qu'on a retrouvé un de vos mâts. Le reste doit pas être bien loin. - Sacrée façon d'utiliser des bateaux volés. Kuwa était en train de se relever et de s'épousseter Il continua d'un ton ferme. - Laissez-moi passer devant, s'il y a d'autres pièges je les verrai. Mais soyons sur nos gardes. Si c'est bien notre créature qui a construit ça, elle est bien plus maline que prévu. - Tu sais vieux boulon, y'a pas que vos gros cerveaux de Baru qui savez réfléchir - Ne commencez pas tous les deux. Intervint Ylva. Je note qu'aucun de vous n'a pris la peine de protéger les enfants ; vous ne devriez pas faire les fiers... Kuwa baissa la tête sans répondre repris la marche. - Mais ça on se débrouille on est grands, répondit Ozan. - Ah oui ? Sa tante le toisait d'un air déçu. - Et qu'est-ce que t'aurais fait si j'avais pas été là ? Hein ? T'as même pas eu le temps de canaliser une brise... Va falloir me montrer bien mieux que ça. - Mais... Sora leva la main. Son regard suffisait à comprendre qu'il valait mieux arrêter la discussion ici. Ori, toujours choqué de la situation, restait immobile alors que tout le monde reprenait la route. Ylva le sortit de sa torpeur en posant la main sur son épaule - Tout va bien ? - .. Oui ! Oui oui... s'exclama ce dernier Je, je ne m'attendais pas vraiment à ça. C'est tout. - Tu t'es lancée à la poursuite d'un homme qui a fait exploser une caserne. Je persiste à croire que tu devrais rentrer... La valkyrie continua à l'attention de Flore : Et il en va de même pour vous princesse. Vous n'êtes pas en sécurité ici. - Ne t'en fais pas pour moi Ylva ! Et puis, j'ai une super protectrice. Flore ne semblait absolument pas affectée par ce qui venait de se produire. Ce qui n'était visiblement pas le cas d'Ori. Ylva reprit la marche, entrainant Ori sous son aile. - Il va falloir que tu t'endurcisses un peu si tu veux pouvoir découvrir ce monde sans crainte. Il n'est pas très accueillant, tu t'en rendras vite compte. Je peux t'apprendre à te défendre si tu veux. - Euh merci Ylva mais c'est pas vraiment fait pour moi. Je suis plutôt du genre à réfléchir à comment fuir l'affrontement. - Ne te dévalorise pas. Je sens que tu pourrais être forte avec le bon entrainement. Le petit groupe continua à avancer prudemment pendant quelques minutes. Kuwa parvint à déceler quelques trappes installées sur le chemin, puis il s'arrêta devant l'une d'elles qui prenait quasiment toute la largeur du chemin. - C'est étrange. Depuis le début il n'y a rien pour désactiver les pièges. Comment il pense rentrer ici sans les activer ? - Peut-être en arrivant par bateau sur la rivière souterraine, proposa Ori. - C'est beaucoup plus simple que ça. Répondit Sora en faisant flotter tout le monde par-dessus la trappe tour à tour. C'est une créature sous-marine. Une sirène plus précisément. Tout le groupe s'arrêta soudainement dans l'obscurité. - Quoi ?! - Comment pouvez-vous en être sûre ? - Qu'est-ce qu'une sirène viendrait faire à la surface, si loin de son royaume ? - Pourquoi est-ce qu'une sirène volerait nos bateaux ? Ori était le seul à être plus impressionné que surpris. - On va vraiment voir une sirène ?! Sora se tourna alors vers la rivière souterraine à côté d'eux - Elle va pouvoir vous répondre. N'est-ce pas ? s'exclama-t-elle. Je sais que t'es pas loin. Tu dois nous entendre alors montre toi, on te veut aucun mal. Petit à petit une lueur remonta dans l'eau. Un point lumineux, grandissant jusqu'à arriver vers la surface, éclairant un peu plus la grotte. Et dans une lueur bleutée, une jeune femme sortit de l'eau. Mais pas une jeune femme ordinaire. On voyait percer à travers ses longs cheveux noirs, là où auraient dû se trouver ses oreilles, deux nageoires verdâtres recouvertes d'écailles. Elle avait autour du cou un pendentif tombant sur son torse nu. Au bout duquel était accroché un coquillage, source de cette lueur bleutée. Seul son buste sortait de l'eau, mais en s'approchant doucement Ori aperçut une longue queue recouverte d'écailles refletant la lumière. Et alors qu'Ori, seul à s'avancer, fit visiblement le pas de trop, la créature montra une rangée de crocs pointus, et brandit une machine hors de l'eau. Kuwa attrapa le bras d'Ori pour le faire reculer. - Doucement mon garçon, ces bêtes sont dangereuses - Ces," bêtes", comme vous dites, intervint Sora, sont des êtres vivants comme nous tous. Flore continua en s'avançant, montrant ses mains vides - Et comme nous tous elle préférerais sûrement ne pas avoir à se battre. N'est-ce pas ? Comment vous appelez-vous ? Est-ce que vous nous comprenez au moins ? - Evidemment que je vous comprends ! On n'est pas des bêtes. répondit-elle. Vous êtes venus me chasser ? C'est ça ?! Elle brandissait toujours sa machine en bois entre ses mains palmées. Sora s'assit au bord de l'eau devant la sirène - Pas spécialement. Tu pourrais rester là si t'en as envie, mais visiblement c'est toi qui voles mes bateaux. Elle disait ça en regardant alternativement la sirène et sa machine. - Tu pourrais baisser ton... - C'est un trébuchet multicibles miniature. Intervint Kuwa. Ça n'a pas dû être facile à construire avec ces-mains. La sirène le brandit en direction de lui en sifflant. - Tu veux vérifier s'il marche bien peut-être ? Espèce de décharge ambulante ! Flore s'interposa, toujours les bras ouverts vers la sirène. - Ou là on va essayer de se calmer hein - Je l'aime bien celle-là. Ricana Nochi Flore reprit - Ecoutez mademoiselle... - Folombe. - Ecoutez Folombe, on n'est pas venus pour nous battre. On voulait juste récupérer les bateaux car le village en a besoin pour pêcher. Alors je ne sais pas encore pourquoi vous les volez, mais je suis sûre que vous allez pouvoir nous expliquer et comme ça on pourra trouver un arrangement. Folombe ricana, puis fut prise d'une crise de toux. Après avoir recraché du sang, elle répondit. - Oui bien sûr, vous allez m'aider comme ça, par pur sympathie. On vous connait les surfaciens. Vous êtes mauvais ! Vous nous traitez comme des animaux, vous ne reconnaissez même pas notre royaume, et dès que l'un d'entre nous pointe le bout de sa nageoire à la surface, soit il revient en lambeaux, soit les courants nous ramènent son corps sans vie tailladé de partout. Sans parler de ceux qui ne reviennent simplement pas car ils sont capturés et enfermés comme des animaux de compagnie. On sait ce qui nous attend quand on vient à la surface... Un silence coupable s'installa alors dans le groupe. - Osez me dire que les histoires nous concernant ne parlent pas de monstres dangereux. J'ai lu vos livres... Ceux que vous jetez à la mer avec vos expériences ratées. Elle semblait s'adresser à Kuwa. Rien ne disparait. Les courants nous ramènent tout ce que vous rejetez, et notre paysage se meurt à cause de vous. - Alors t'es remontée pour te venger, conclut Sora. Malheureusement t'as mal visée, on n'est pas à Baru ici. On est peut-être les seuls à la surface à respecter la nature autant que vous. - Je sais. En remontant, les courants m'ont entrainé ici. Et je sais que je n'aurais pas la force de traverser la mer jusqu'à la terre des machines. C'est pour ça que j'ai besoin d'un bateau adapté. Alors je le construis moi-même. Tout le monde écoutait Folombe respectueusement. Kuwa ne savait pas où se mettre et regardait dans le vide. Jusqu'à ce qu'il sorte une plaque en acier et se mit à graver quelque chose. - Si vous aviez besoin d'aide, reprit Flore, il suffisait de... - De demander ? Bien sûr. Et prendre le risque de me faire chasser... pas la peine. J'ai fait ce que j'avais à faire. C'est tout. Hugh Hugh. Elle cracha de nouveau du sang. Sora réfléchit un instant puis se releva. - Ton bateau il est où ? - Au fond de la grotte... Vous comptez faire quoi ? - Te fournir le bois nécessaire, et t'aider à aller accomplir ta quête. - Tante Sora ? Ozan semblait surpris par cette décision. - On a des réserves. Elles tiendront le temps de reconstruire des bateaux. Et puis... on a des magus des plantes alors on peut bien couper un ou deux arbres ça devrait aller. Flore semblait aux anges. Ylva, elle, toujours aussi neutre, demanda. - Pourquoi faire ça ? Un sourire narquois traversa le visage de Sora - Les Baru méritent bien un coup de pied dans leurs derrières de fer, vu comment ils exploitent la terre. Et puis... notre invité a l'air d'être plutôt compétente et de savoir ce qu'elle va faire. Alors ça me va. Nochi éclata d'un rire tonitruant. - Ha ha ha ! J'ai hâte d'entendre dire que Baru a été mis à feu et à sang par une sirène ! ! ! Flore calma un peu le jeu - Ce n'est peut-être pas non plus la peine de faire bruler tout le pays. Surtout que si vous faites ça, vous allez devenir ce qu'ils pensent de vous. Un monstre dangereux. On peut peut-être trouver une solution diplomatique. - Ce ne sera pas la peine. Intervint Kuwa en se levant. Il s'approcha de Folombe et lui tendit la plaque. - En arrivant vise le plus gros port. C'est Rec. Je connais le Caporal qui dirige la capitainerie. Donne-lui ça, il saura quoi faire. La sirène regarda attentivement Kuwa, insistant sur son bras mécanique. - T'es un militaire. Pourquoi je te ferai confiance ? Si ça se trouve tu me tends un piège. - Je suis scientifique, pas militaire. Et tout le monde à Baru n'est pas comme tu l'imagines, moi le premier. Mais c'est vrai que certains le sont. Et ils te trouveront avant que tu fasses le moindre attentat. T'as l'air maline, alors avec un peu d'aide, tu pourrais te faire respecter et monter en grade rapidement. C'est plus facile de changer une institution de l'intérieur que de s'y opposer. Folombe prit la plaque intriguée. Le général continua - A la fin de notre mission je viendrais te voir. J'espère pour toi que tu seras au moins Major d'ici là. Puis il fit demi-tour et entama son retour. Sora et Flore continuèrent quelques minutes à organiser le séjour de Folombe, puis le groupe rentra au village. Après avoir mangé, tout le monde se retrouva aux pontons pour le départ. Ozan, qui savait à quoi s'attendre avec sa tante, resta quelques minutes avec Firens. Il le serra dans ses bras - Merci tonton. Dit-il d'un ton maussade. Firens recula d'un pas après l'étreinte et regarda son nerveux avec un air compréhensif. - Qu'est-ce qui vo po ? - Rien de particulier, tata fait plus confiance à une sirène inconnue qu'à moi. Comme d'habitude quoi. - La déteste po trop. Elle est dure avec to parce qu'elle connait ton potentiel. Elle est forte pour ça. - Ouais fin elle a pas tort non plus. Depuis que j'suis parti j'ai pas progressé. Alors que j'suis parti juste pour ça ! Firens posa avec douceur sa main sur la tête du garçon et lui ébouriffa les cheveux. - Elle a peur pour ti c'est normal. Tu lui rappelle sa jeunesse. Tu voyages, tu t'fais des amis... Elle a peur qu'il t'arrive la même chose qu'elle. Olors elle veut t'rend fort. Plus fort qu'elle l'était à ton âge. Que tu sois libre de continuer à voyager sans avoir à renter o village. Ozan baissa la tête - Mais te prends po trop la tête. T'as l'temps. Puis t'en fais po hein, mo ossi elle m'fait peur quand elle s'énerve. Ozan ricana. Puis il prit son sac, embrassa son oncle une dernière fois, et partit vers les pontons.