Il y a onze ans
Il n’osa pas se retourner.
Le brouillard l’engloutit lorsqu’il franchit les falaises marquant la frontière naturelle entre le monde des humains et les terres démoniaques. Une fumée épaisse, humide, qui avalait la lumière et brouillait les sens. Asher volait à l’aveugle, les yeux plissés, les ailes battant trop vite, trop fort, comme celles d’une libellule traquée.
S’arrêter, c’était mourir.
Il serrait son petit sac contre lui, ses pensées tournant en boucle.
BAM.
VLAN.
Le sol céda sous son poids. La roche friable se déroba sous ses pieds. Il tenta de s’agripper à ce qui passait sous ses mains, mais ses griffes étaient trop petites, trop faibles. Incapables de retenir quoi que ce soit.
Asher chuta avec l’éboulement, englouti par la poussière et la pierre, avant de s’écraser plus bas, amorti par un amas de mousse humide.
Il tenta de se relever.
Une dernière pierre le frappa au crâne.
Puis plus rien.
Il revint à lui bien plus tard.
Quelque chose lui chatouillait le nez. Asher fronça les sourcils avant d’éternuer faiblement. La petite créature argentée qui s’était aventurée sur son visage détala aussitôt, disparaissant entre les roches.
Il ouvrit lentement les yeux.
Le noir.
Il repoussa les débris au-dessus de lui jusqu’à apercevoir un filet de lumière. Sa tête le lançait douloureusement là où la pierre l’avait frappé, mais le sang avait séché. Il était vivant. Du moins, il l’espérait.
Après une quinte de toux, il se redressa tant bien que mal.
Ce n’était pas la forêt.
Les parois autour de lui étaient couvertes d’une mousse étrange, aux teintes changeantes. Là où passait le petit lézard argenté, la couleur des plantes se modifiait, se fondant avec son corps comme si le mur l’acceptait.
Asher posa une main contre la paroi et ferma les yeux.
Il déploya ses ailes pour s’élever.
— Aïe !
Une douleur aiguë lui traversa l’épaule. Il grimaça et les replia aussitôt. Sa tête n’était visiblement pas la seule à avoir souffert.
Il rampa, s’écorcha les coudes, puis put enfin se redresser.
Le couloir d’une grotte s’ouvrait devant lui.
D’étranges cristaux aux reflets bleu violacé étaient incrustés dans la paroi. Le petit lézard s’y était posé, brillant de mille feux. Lorsque Asher s’approcha et posa la main contre la roche, le cristal réagit.
Il scintilla.
Puis un autre.
Puis toute la grotte s’illumina, comme si la pierre elle-même répondait à sa présence. Une lumière boréale se mit à danser autour de lui, révélant des galeries entières tapissées de cristaux.
Un bruit coupa le silence.
Plip.
Un clapotis.
Elle était légèrement chaude. Plus chaude que la roche elle-même, étrangement tiède.
Ce n’était peut-être pas une sortie, mais c’était une piste.
Plop.
Une goutte tomba du plafond. Puis une autre.
Asher leva les yeux. L’eau s’écoulait lentement le long des cristaux, limpide. Il s’agrippa à la paroi pour se hisser et tendit la langue, récupérant quelques gouttes brûlantes mais pures.
Ce n’était pas suffisant.
Il sentait le flux derrière la roche. La pression. Toute cette eau, tout ce mana, si proche.
Il agrippa la paroi plus fort. Ses écailles se mirent à scintiller, imitant le lézard. Les cristaux vibrèrent.
CRACK.
La paroi céda sous sa main. Une fissure s’ouvrit, laissant jaillir un ruisseau d’eau chaude et claire.
— De l’eau…!
Il but sans réfléchir, à grandes gorgées, jusqu’à en perdre le souffle. Un rire de joie pure lui échappa.
Shrrshrr.
— Hey… qui va là ?
…
…
Plop.
Rien.
Rien, sinon l’écho des gouttes d’eau.
Asher resta immobile un instant.
De son sac, il sortit le petit couteau de Luci et grava une croix sur la paroi, puis traça les chemins déjà parcourus.
Bientôt, il sortirait !
Les jours passèrent.
Un soir, allongé sur la mousse, Asher observa la chevalière à son doigt.
Luci lui avait dit qu’elle permettrait de le retrouver, où qu’il soit.
Mais même ici… au cœur de la terre ?
Loin de sa lumière ?
Il ferma les yeux et sombra dans le sommeil.
Le visage de Luci berçait ses rêves.
Lorsqu’il rouvrit les paupières, le prince laissa place à une silhouette.
— Luci… c’est toi…
Non.
Des formes se tenaient près du ruisseau. Humanoïdes, certes, mais ornées de… cornes et de queues mouvantes ?
Sphrrrh.
Quand sa vision s’éclaircit, seule une ondulation sur l’eau vibrait encore.
Avait-il rêvé ?
Asher resta longtemps immobile.
Puis une idée germa.
Ils étaient venus pour l’eau.
S’ils avaient soif… ils auraient faim aussi.
Le lendemain, il fit griller tous les petits lézards qu’il trouva, puis planta les brochettes dans le sol, un peu plus loin de son nid. L’odeur de viande grillée se répandit lentement.
Comme les camélias avaient mené Luci jusqu’à lui, il traça un chemin jusqu’à son refuge, puis se coucha.
Il dormit d’un seul œil.
Asher feignait le sommeil. Le cœur battant, l’oreille tendue. Il entendait leurs mâchoires, leurs pas hésitants.
Brochette après brochette, ils avançaient tel le petit poucet.
Lorsqu’il n’en resta plus qu’une, juste à côté de sa main, un silence hesitant s’installa.
Quelqu’un s’approcha.
C’était sa seule chance.
Asher attrapa la patte avant de sa proie.
— Aha ! J’t’ai—
Il s’interrompit.
Face à lui, un visage plus qu’inconnu. De grands yeux noirs et ronds. Un pelage doux, un petit nez rose, de larges oreilles. Une taille humaine, mais deux cornes indiscutables.
Il n’y avait plus de doute.
Alice n’était pas tombé dans le terrier de n’importe quel lapin, C’était…

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