Le soir tombait. À perte de vue, la terre brûlée, résultat de l’acte collaboratif des astres et des hommes, s’étendait, noire, brune, et morne ; et seules dépassaient des herbes sans vie les carcasses éventrées de quelques anciennes habitations qui longeaient la route de Braün. Sur cette longue cicatrice de terre battue s’avançaient trois cavaliers dans le silence le plus complet – à l’exception du claquement des sabots et de l’ébrouement des destriers, indifférents à ce désolant spectacle –, tous trois emmitouflés dans d’épaisses couvertures de lin. Sans plus aucune branche ni aucune feuille pour l’arrêter, un vent glacial sifflait à pleine allure sur la plaine et pénétrait les chairs jusqu’aux os. Tranquillement, alors que le soleil retournait s’enfouir sous la croûte terrestre, le paysage perdait ce qu’il lui restait de couleurs.
« Peut-être devrions-nous nous arrêter ici pour la nuit ? Regardez, celle-là au moins a deux murs encore debout.
- C’est vous qui déciderez, répliqua un second, sans même enlever le tissu qui lui masquait le visage, mais je dois vous le déconseiller. Il n’y a rien que des charognards qui peuvent survivre dans des endroits pareils – ce qui ne l’était pas, le devient. Et puis le camp ne devrait plus se trouver qu’à quelques heures.
- Quoi ? s’écria le troisième, la tête dans le vent.
- J’ai dit que, et cette fois il retira la couverture d’au-devant de ses lèvres, dévoilant une barbe châtaine mal rasée et sans doute pouilleuse, j’ai dit que le campement des Brojeliens n’est plus très loin.
- Excellent, s’époumona le troisième. Je commence à avoir des crampes jusque dans les orteils ! Sinon, il y aurait toujours ces ruines…
- Laissez, pouffa le premier. Nous écouterons votre conseil, mon bon monsieur – après tout, c’est pour ça qu’on vous paye !
- Vous seriez surpris à quel point les gens l’oublient. Restez près de moi, je ne verrai bientôt plus grand-chose. Et la lune ne devrait pas se pointer ce soir. »
La discussion conclue, les trois cavaliers continuèrent leur chemin au travers de la plaine grisâtre, s’éloignant, pour certains avec regret, de ce qui fut probablement il y avait quelques semaines une paisible bourgade. Comme ils la quittaient, ils aperçurent, à quelques mètres de la dernière poutre calcinée, une petite silhouette recroquevillée sur elle-même, les fesses au sol, les genoux dans les mains. Il aurait été aisé de la manquer, car outre les faibles tremblements que lui suggérait le froid, celle-ci était entièrement immobile. Mais alors qu’ils la dépassaient, la figure ombragée leva la tête et croisa le regard du garde-escorte – et ce dernier ne sut si c’était là un effet optique dû au soleil couchant, mais il lui sembla que les yeux de celle-ci étaient habités par les flammes d’un terrible brasier.
« Pauvre gamin », lâcha le premier. Puis ils disparurent dans la pénombre.
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