Alors que le vent balayait doucement les premières fleurs de l'année après un hiver rigoureux, une silhouette encapuchonnée apparaît au détour d'un sentier. Son vêtement était bien trop grand pour elle, et se trouvait dans un état déplorable: élimé, troué ou arraché à de nombreux endroits, sans compter la crasse de ce tissu qui flottait derrière elle, découvrant par moment une queue de renard.
Alors que la muraille de la ville se dessinait à l'horizon, la jeune femme ne put retenir un soupir de soulagement.
{ Enfin... la capitale du royaume d'Athalya... Ici au moins, je pourrais me dissimuler... }
Dans ses pensées, la voyageuse trébuche sur un caillou du sentier et grimace. La douleur de ses pieds lui rappelle le long chemin que la femme a parcourut pour arriver dans ces plaines luxuriantes. Alors que la voyageuse approche des bas quartiers de la capitale, elle a tout le loisir de contempler la beauté de cette cité à flanc de falaise entourée de murailles massives. Tout en haut de la ville se dresse fièrement le château de la famille royale Athalienne.
*{J'espère vraiment ne jamais savoir à quoi ressemble l'intérieur de cette citadelle. Ce genre d'endroit n'est que le théâtre de la cruauté humaine... }
Ses oreilles se baissèrent sous sa capuche lorsque des souvenirs encore frais lui reviennent à l'esprit. Dans ses moments de solitude, elle regrette la grande guerre, qui permet, du moins pendant un temps, de détourner le sadisme des nobles sur d'autres cibles que les hommes-bêtes. La femme chasse ses idées noires d'un vigoureux hochement de tête, son regard se posa alors sur ses vêtements, et elle grimace de dégoût. Elle tente alors d'ôter la poussière et la crasse du revers de sa main, avant de réarranger les cheveux blonds qui pendaient mollement devant son visage.
{ Ce n'est pas avec cette apparence de pauvresse que je referai ma vie... }
Non loin de la jeune femme serpentait un cours d'eau qui viens des bas quartiers. Après s'être approchée, elle admire le reflet renvoyé par le liquide sous le soleil d'après midi de printemps. Elle donna une gifle dans le ruisseau comme pour effacer son teint fatigué, ses yeux bleus délavés et ses lèvres gercées, mais aussi pour le punir de lui renvoyer une image d'elle aussi désolante. Cependant son geste est vain. Le reflet lui revient comme une gifle, c'est avec un sentiment de tristesse qu'elle ferme ses yeux avant de passer un peu d'eau fraîche sur son visage. La saleté accumulée ces derniers jours retombe avec l'eau mais pas ses traits amaigris par le manque de nourriture. Pour se motiver, elle se claque les joues avec ses deux mains.
« Allez Sharess, tu y es presque ma grande, un petit coup de maquillage et tu seras fin prête à te mettre au travail ! »
Elle pouffe de rire devant l'ampleur de la tâche que même le fard le plus cher ne peut relever.
« Il me faut surtout un bon bain, et un bon repas ! Bon, voyons les possibilités qui s'offrent à moi ! »
C'est dans cet objectif qu'elle traverse la large porte de bois délabrée menant aux bas quartiers. Aussitôt entrée dans le district que l'odeur nauséabonde de déjections et de putréfaction lui monte au nez. Elle remonte le col de son manteau devant son visage afin de masquer son dégoût et atténuer les effluves. Ses chaussures déjà bien malmenées par le voyage se noient bientôt dans une substance que la jeune femme ne va même pas prendre la peine d'identifier, elle se contente de marcher. Sur sa route, Sharess découvre la misère qui règne en ces lieux. Quelques gamins rachitiques jouent aux osselets à côté d'un puits, et la femme peut presque parier que leurs jouets appartenaient autrefois à un être humain. Dans une ruelle, elle entend la respiration encombrée et sifflante d'une personne luttant pour respirer, entre suffocation et toux, le corps de cet homme essaye de libérer ses poumons malades. Dans le vieux bol posé devant ses jambes, quelques petites pièces de bronze luisent dans la pénombre. C'est alors que la jeune femme porte la main à sa bourse, soigneusement cachée sous sa robe.
{ Ouf, elle est encore là. }
Le moment de stress passé, elle se met à réfléchir à sa propre situation. Il ne lui reste pas beaucoup d'argent, et ce n'est pas en se tournant les pouces que cela changera. Alors qu'elle progresse dans une large allée, une petite mélodie vient faire dresser ses oreilles sous sa capuche. Elle se dirige instinctivement dans la direction de la musique et tombe alors sur une taverne. L'écriteau, bien que délabré, affiche le nom de Taverne de Perath. Devant la porte d'entrée de cette dernière, trois femmes sont accolées à la façade, regardant autour d'elles. Lorsqu'elles remarquent la voyageuse, elles ne peuvent s'empêcher de commérer jusqu'à ce qu'un marchand itinérant ne stoppe sa carriole devant l'établissement. Telles une meute partant à la chasse, les trois vautours ne tardent pas à accoster l'homme d'âge mûr avant de l'entraîner à l'intérieur.
{ C'est vraiment une technique de bas étage... Ce n'est pas étonnant qu'elles semblent désespérées à ce point pour s'y mettre à trois sur un client... Bon, au moins j'ai toutes mes chances. }
Elle hoche la tête de haut en bas pour se donner du courage et pousse à son tour la lourde porte de la taverne. Changement d'ambiance pour la voyageuse, qui quitte la grisaille, le froid et les effluves de mort pour une salle presque surchauffée, rythmée de la musique et des discussions bruyantes des clients, le tout sublimé par une forte odeur d'alcool et de testostérone. Le groupe de saltimbanque posté dans un coin de la salle, jouaient une musique entraînante donnant une ambiance joyeuse à l'endroit, pour le plaisir des ivrognes qui roulaient presque déjà sous les tables. Sharess profite du vacarme pour se diriger lentement et discrètement jusqu'au bar où se tient un vieil homme à la barbe grisonnante. Elle s'adressa alors à lui:
« Bonjour, je voudrais une chambre avec baquet s'il vous plaît.
_ C'est 5 bronze, et le p'tit-déjeuner n'est pas inclus. »
Le ton bourru et la somme exorbitante ne manquent pas de refroidir la jeune femme, mais sans meilleure alternative pour le moment, c'est à contrecœur qu'elle sort les dites pièces de bronze de sa bourse et les pose sur le comptoir.
« Je vous en donne le double pour réserver la chambre pour deux nuits.
_ Marché conclu. »
Il se saisit d'une clé en fer qu'il pose avec fracas à côté des pièces qu'il récupère dans la foulée. Un petit porte clé en bois indique la chambre numéro 5.
« La clé n'sort pas du bâtiment. Quand vous sortez vous la laissez ici. »
Sharess acquiesce et prend possession de ladite clé, avant de se diriger vers l'escalier. Elle contourne les musiciens, sous le regard peu discret des trois harpies. Le palier ressemble au rez-de-chaussée, mais en plus calme. La quasi-totalité de la structure est faite de bois et de chaux. Alors que la femme cherche sa chambre, elle interpelle une employée afin qu'on lui apporter de l'eau. La gamine s'incline et part aussitôt en direction du bar, alors que la voyageuse arrive devant sa porte. Elle la déverrouille et pose son maigre baluchon sur le lit de paille avant de faire un rapide état des lieux: une commode, un tabouret, un baquet avec une serviette et une bougie, le strict minimum. De léger coup contre la porte tire Sharess de son inspection. Après la récupération du seau d'eau, la jeune femme referme la porte et se déshabille après avoir versé le contenu du seau dans le baquet. Elle lave son corps fatigué et ses cheveux emmêlés, avant de se refaire une beauté. Mais la fatigue est plus forte qu'elle et c'est sans même prendre la peine de se mettre dans les draps qu'elle s'endort.
Le sommeil de la femme renarde était très agité, et son visage semblait crispé. Dans ses songes, ses derniers instants avant son exil viennent la hanter. À la fenêtre d'un château surplombant une cité imposante, Sharess essayait de profiter de la douce brise pour calmer son cœur emprunt de stress. C'était le jour j, tout allait enfin s'arranger. Mais lorsque la porte de sa chambre s'ouvrit et que la mine horrifiée de son amant apparut dans l'embrasure, elle sut que son utopie s'était embrasée comme un phénix.
« Trouvez-les tous ! Aucun d'entre eux ne doit sortir d'ici vivants ! »
C'est lorsqu'un torrent de flammes se déversa dans le couloir que Sharess se réveilla en sursaut. Elle se redresse lentement dans son lit en se tenant la tête.
« Décidément, il semblerait que ma poisse ne me laisse pas de répit, même dans mon sommeil... »
Elle tente de calmer les battements affolés de son cœur, qui semble sur le point de se briser à tout instant, et que seul l'espoir d'une vie meilleure parvient à garder en un seul morceau. Alors qu'elle jette un œil à travers la fenêtre, un rayon de soleil vient balayer la chambre avant de s'arrêter non loin d'elle. Sharess soupire tristement, se demandant pourquoi tout autour d'elle semble l'éviter. Légèrement agacée, elle ouvre son vieux baluchon tombé au pied du lit durant sa sieste, pour y chercher sa tenue de danse écarlate. Elle se change à la lueur des dernières lumières du jour, ajustant sa robe à ses changements physiques, avant de se maquiller et sortir de la pièce, verrouillant la porte derrière elle. Elle descend les escaliers d'une démarche élégante, sa confiance en elle ayant regagner de sa superbe avec son changement d'apparence. Elle remarque rapidement les trois harpies des remparts regroupées à une table.
{ Héhé, je savais bien qu'elles n'arriveraient à rien. }
Ces dernières ne manquent pas le sourire en coin et l'air hautain de la femme-bête dans leur direction, alors qu'elle s'asseyait à côté d'un homme, lance posée contre le bar et semblant s'ennuyer en attendant son repas. Elle entame rapidement la discussion, et l'homme semble sensible à ses charmes. Il lui paye un repas qu'ils dégustent ensemble, avant de se lever et de se diriger vers l'étage pour partager le dessert. Le trio de femmes de joie, bouillonnant littéralement de rage à l'autre bout de la taverne en voyant la concurrence, se rapprochent les unes des autres pour faire des messes-basses.
L'homme quitte la chambre quelques dizaines de minutes plus tard pour rejoindre la sienne. Et c'est une toute nouvelle Sharess qui descend dans la taverne: cheveux souples et brillants, peau douce et son teint hâlé bien visible, yeux d'un bleu éclatant, elle avait presque l'air plus jeune. L'ambiance de fin de soirée était légèrement plus calme, seul un musicien à la mandoline était encore présent, et jouait un air entraînant mais qui avait du mal à attirer le public. Pleine d'énergie, la jeune renarde commence à battre la mesure avec le pied, avant de rejoindre le joueur de mandoline. Elle lève lentement les bras au-dessus d'elle, faisant lentement onduler ses hanches. La sensualité de sa danse, ainsi que ses compétences, semblent réveiller la salle, les regards curieux se tournant dans la direction du spectacle improvisé. Mais cela n'était pas du tout du goûts des harpies, qui dans un regard entendu, se levèrent de leur table, sourire aux lèvres, pour rejoindre Sharess dans sa danse. Cette dernière continue de faire virevolter les pans de sa robe au rythme de la musique, quand l'une des mégères lui fait un croche-pied, profitant d'un pas difficile pour que Sharess ne la remarque pas. La cheville de la danseuse fait un bruit terrible et la jeune femme tombe au sol, la douleur la foudroyant sur place. Le trio profite de ce moment pour s'éclipser et retourner à leur table, en gloussant de fierté derrière leur éventail.
{ Tu ne dois pas te laisser envahir par la colère... Tu dois conserver les apparences... Il ne faut pas... }
Sharess serre les dents, découvrant ses crocs acérés, alors que ses ongles se plantent dans le bois usé du parquet de la salle. Des larmes perlent au coin de ses grands yeux, de douleur et de rage contenue. À cause du bourdonnement de son esprit la rendant partiellement sourde, elle n'entend pas une personne s'approcher d'elle, dans la lumière bleue de la lune s'infiltrant par la porte ouverte de la taverne. Une main délicate et blanche se pose sur sa cheville et une lumière chaude et rayonnante se diffuse sur l'articulation malmenée de la jeune femme. En levant les yeux, Sharess contemple alors la femme habillée d'une tenue étrange, et son sang ne fait qu'un tour. Incapable de savoir si c'est le soulagement de la douleur, la douceur de cette main, ou l'aura que dégage cette femme qui la bouleverse tant, Sharess ne peut s'empêcher de croire au bonheur, qui enfin, accepte de la considérer.
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