“Je ne comprends pas pourquoi vous devez retourner chez le médecin aussi vite. Il nous a pourtant dit que vous étiez presque remis, et je sais qu’il est bien trop tôt pour enlever ton attelle… Ce n’est pas une visite de simple courtoisie, sinon vous ne penseriez même pas à partir les mains vides. Aeris, je sais que tu me caches quelque chose. Et je sais que ça a un rapport avec vos comportements étranges. Pourquoi ne veux-tu pas me parler? Qu’est-ce que j’ai fait pour perdre ainsi ta confiance? Je t’en prie, ma fille, parle moi!”
Ne sachant que répondre, Aeris baisse les yeux. Elle ne peut se résoudre à montrer sa faiblesse à sa mère, ne voulant pas l’inquiéter. Comment lui expliquer les souvenirs qui l’assaillent quand elle entend un bruit de couverts ou qu’elle sent une odeur de sable? Comment lui faire comprendre les cauchemars qui la réveillent toutes les nuits en sursaut, la laissant tremblante et en sueur? Comment dire à une mère que sa fille est brisée?
Les larmes aux yeux, sans un mot, Aeris fait monter ses amis sur ses épaules et sort de la maison, le coeur trop lourd. Rahar lance à Mura un regard éperdu, plein d’affection et de tristesse, tandis que sa compagne ferme la porte. Il a de la peine pour cette femme qui partage avec lui ses tartines beurrées et lui caresse la tête quand il a besoin de réconfort. Il faudra qu’il essaie de lui faire comprendre qu’elle n’est pour rien dans leur calvaire. Peut-être le vétérinaire pourrait-il l’aider à communiquer avec elle? Il lui demandera, s’il le peut. Pour la première fois de sa vie, le petit animal regrette de ne pas pouvoir parler.
“J’aimerais tenter une petite expérience avec Rahar et Gründ, si vous me le permettez. Je voudrais leur apprendre à écrire. Je sais bien qu’avec leurs petites pattes il ne peuvent pas manipuler de crayon ni de plume, mais ils peuvent peut-être tracer des signes avec leurs griffes, sur de la terre ou trempées dans de l’encre. Bien sûr, il leur faudra un autre alphabet que le nôtre, les courbes seraient trop compliquées, mais je pense avoir trouvé quelque chose qui conviendrait.”
Le vétérinaire pose sur la table un livre qui parait trop neuf pour avoir été depuis longtemps en sa possession. Il réfléchit à une solution pour permettre aux rats de raconter leur version de l’histoire depuis qu’il les a examinés la première fois, et est tombé par hasard sur ce livre dans une langue inconnue lorsqu’il est allé faire des provisions de médicaments.
“Comme vous le voyez, ces signes se composent de traits verticaux, horizontaux et mêmes quelques uns en diagonale. Ils ne devraient pas être trop difficiles à tracer pour des petits êtres aussi habiles que nos amis ici présents, et même si je ne connais pas cette langue, nous pouvons donner à ces signes le sens que l’on veut. On se mettra d’accord sur leur signification au fur et à mesure, et on pourrait peut-être même travailler tous ensemble sur une traduction afin que d’autres puissent communiquer avec eux en cas de nécessité.”
C’est exactement ce que souhaite Rahar, et Gründ aime assez l’idée de ne plus avoir besoin de se ridiculiser chaque fois qu’il doit mimer quelque chose. L’alphabet étrange est donc adopté, et les rats résument, en traçant sur de la terre humide des traits dans tous les sens, l’histoire qu’Aeris a rapporté lors de leur dernière rencontre. Cela permet, au fil du récit, de mettre au point une traduction, et de s’assurer que cette méthode de communication fonctionne.
Après une bonne heure de discussions, un accord est trouvé sur une centaine de mots utiles, le reste devant encore pour l’instant encore être mimé, au grand désespoir de Gründ. Rahar sautille un peu pour demander l’attention, puis trouve un coin de terre humide encore vierge de signes et trace un seul symbole : celui qui veut dire ‘Mura’. Il regarde Aeris, et attend qu’elle se décide à aborder le sujet qui commence à sérieusement inquiéter le petit rongeur.
“Je ne vois pas pourquoi tu veux parler de ma mère. Elle n’a rien à voir avec ce qu’il nous est arrivé, et nous sommes là pour soigner les blessures de notre cerveau, pas demander des conseils sur les relations familiales. En plus, ce qu’il se passe à la maison ne regarde que nous. Et le bon docteur est déjà très gentil de nous aider à arrêter de sursauter au moindre bruit, on ne va pas l’embêter plus.”
Rahar n’est pas d’accord. Il couine, tourne, tape des pattes, secoue les oreilles, et va même jusqu’à lancer un regard implorant au vétérinaire pour qu’il l’aide à faire entendre raison à sa compagne. Gründ, lui, n’a pas l’air de comprendre ce qu’il se passe, et lève une oreille vers Aeris d’un air interrogateur.
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