Il est déjà tard quand Gründ saute sur le lit d’Aeris pour la réveiller. Après le rendez-vous avec les médecins, les souvenirs n’ont pas cessé d’affluer et elle ne s’est endormie que peu avant l’aube, épuisée, les oreilles encore bourdonnantes du bruit lointain de fers que l’on traîne sur le sol en trébuchant.
Mura a préparé des crêpes avant de partir aider Tobias à rentrer les moutons pour les préparer à la tonte, et même si elles sont déjà froides, Aeris les trouve délicieuses.
“Aussi étrange que ça puisse paraître, ce sont les crêpes de ma mère qui me font comprendre que je suis chez moi. Goûtes-en une, Gründ, avant qu’il n’y en ait plus! Ce petit arrière-goût de brûlé leur donne plus de saveur.”
Le rongeur ne se fait pas prier, et rejoint son comparse pour s’empiffrer joyeusement de ce qu’il considère comme d’extraordinaires friandises. Il ne sait pas ce qu’il a fait pour mériter un tel honneur, mais il ne va pas laisser une seule miette de ce délice sucré.
Une fois les crêpes disparues, les trois amis se dirigent vers l’enclos aux moutons pour proposer leur aide. Béquilles ou pas, Aeris est bien décidée à se rendre utile. Malheureusement, pour s’occuper de ces animaux il faut pouvoir leur courir après ou les forcer à rester sur place, et elle est donc redirigée vers le tri du grain.
Assise à une table sur laquelle se sont juchés les rats, Aeris fait passer les grains fraîchement ramassés sur des tamis, pour enlever la poussière et autres particules non souhaitées. Ensuite, il faut séparer le bon grain du mauvais, et pour cette tâche Rahar et Gründ se révèlent d’une aide indéniable. Avec leur flair plus sensible que celui des humains, ils trouvent sans difficultés les grains pourris ou abîmés, et ils font preuve d’une vitesse remarquable pour des animaux si petits. En guise de remerciement, on leur donne une petite portion de ce qu’ils viennent de trier.
Après avoir rapporté leurs gages à la maison et les avoir soigneusement rangés dans le garde-manger, Aeris emmène les rats dans la clairière d’entraînement. Elle ne peut toujours pas faire tout ce qu’elle souhaite, mais les mouvements de base sont à sa portée, et la routine simple lui fait un bien fou. Elle passe en revue toutes les postures d’étirement qui ne nécessitent pas trop d’équilibre, et même quelques-uns des pas de danse les plus basiques qu’elle a dû apprendre dans le Carré des Voiles.
L’exercice physique la détend, les postures lentes aident ses muscles tendus à se relaxer et sa tête à se vider des inquiétudes qui l’étreignent chaque fois qu’elle pense à son père.
“Par où est-il parti? Depuis combien de temps? Avec qui? Que lui est-il arrivé? Depuis tout ce temps, pourquoi n’est-il toujours pas rentré? Il faut absolument que j’en parle à ma mère, il faut que j’aille le chercher.”
Concentrée sur ses gestes et sa respiration, elle n’entend pas Mura arriver du fond de la clairière. Rahar s’est précipité vers elle, tant pour la retenir que pour lui signifier son affection, et elle reste donc un peu à l’écart pour observer sa fille en silence, émerveillée malgré elle par ce qui est certainement la danse la plus étrange et la plus émouvante à laquelle elle ait jamais assisté. Les yeux brillants, Mura caresse le rat qui lui mordille affectueusement l’index, en ne perdant pas un seul instant sa fille du regard.
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