“Si tu m’avais dit qu’ils étaient aussi gracieux et aussi beaux, je t’aurais laissé les faire, ces exercices.”
Aeris, surprise, se fige, le coeur battant, son cerveau soudain incapable de trouver une réponse adaptée. Elle se retourne lentement vers sa mère, et faute de répartie, attend. Mura ne sait pas comment réagir. Elle ne s’attendait pas à ce que sa fille lui désobéisse en allant s’exercer en cachette, mais après réflexion s’aperçoit qu’elle aurait dû s’en douter. Bien que timide et réservée, Aeris n’a jamais été très obéissante, mais une véritable tête de mule. Rien n’a jamais pu l’empêcher de faire ce qu’elle voulait une fois qu’elle l’avait décidé, à part peut-être un léger manque de confiance en elle-même et en ses capacités.
“Je suis désolée, ma fille. J’aurais dû savoir à quel point c’était important pour toi. J’avais peur que ça te fasse revivre des évènements douloureux, et je ne supporte pas de te voir souffrir. Je pensais que si on n’en parlait pas, si on ne faisait rien qui risquait de te rappeler ce que tu as vécu, tu finirais pas l’oublier et retrouver ta vie d’avant, quand tu étais souriante et que ton plus gros souci était de savoir si tu voulais des crêpes ou du gâteau au chocolat.”
La montée d’adrénaline qui a suivi sa découverte n’est pas encore retombée, et Aeris ne parvient toujours pas à réfléchir correctement. Elle déteste être prise la main dans le sac, et elle a tant de rancoeur envers sa mère qui refuse de l’écouter depuis des jours et lui hurle dessus à la simple mention d’un événement quelconque survenu ces deux dernières années, qu’elle craque. Au lieu de fondre en larmes comme sa mère, elle sent la colère monter en elle. Et malgré tous ses efforts, elle ne parvient pas à la réprimer.
“Du gâteau au chocolat? Vraiment? J’ai été enlevée ; on m’a fouettée, battue, violée ; on m’a humiliée et fait danser de force ; on m’a ôté toutes mes larmes, tout espoir, toute envie de vivre, et tu me parles de gâteau au chocolat? Tu n’as donc pas prêté attention à mon histoire? Comment peux-tu être assez naïve pour croire qu’après toutes ces épreuves je serais toujours la même gamine niaise et timide qui n’aurait pas su se servir d’un bâton si sa vie en dépendait? Comment oses-tu me dire d’oublier les fers qu’on m’a passés aux chevilles, les cris de mes compagnons d’infortune, comment fais-tu pour te voiler à ce point la face? Pour qui me prends-tu, Mura?”
Sa fille ne l’a jamais appelée par son nom, et c’est cette dernière question qui fait le plus de peine à Mura. La tirade qu’elle vient d’entendre lui fait l’effet d’une gifle, et elle titube sous la force de la colère d‘Aeris. Qu’est donc devenue sa petite fille? Malheureusement, et bien qu’aucune des deux ne veuillent l‘admettre, c’est bien de sa mère qu’Aeris tient son caractère, et la seule réaction qu’elles connaissent, l’une comme l’autre, à la douleur, c’est la colère.
Sans comprendre ce qu’il se passe, sans savoir pourquoi ni comment, la main de Mura part d’elle-même et va former sur la joue de sa fille une marque rouge. Et elle sent s’en former une en retour sur sa propre joue. Incapable de se contrôler, et voulant à la fois mettre fin à cette situation déroutante et se prouver… quoi? elle ne sait pas, Mura pousse de toutes ses forces et renverse l’insolente éclopée, qui tombe brusquement sur le sol, une douleur aigüe au coccyx et le souffle coupé.
De honte et de chagrin, sa vision embuée par des larmes qui refusent de couler, Mura se retourne et part en courant, sans savoir où elle va et sans s’en soucier.
“J’ai frappé ma fille. Elle a tant souffert, et moi, plutôt que de l’aider, je lui ai crié dessus et je l’ai frappée. J’ai frappé Aeris. Je suis une mauvaise mère. J’ai tout fait de travers, et encore une fois j’ai tout gâché. Ma fille me revient après deux ans, après que j’aie cru l’avoir perdue à jamais, et moi, je crie et je frappe. Je ne la mérite pas. J’ai frappé ma fille, bon sang, mais pourquoi ai-je donc frappé ma fille?”
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