Bien sûr qu’une charlotte ratée ne suffirait pas à faire changer d’avis sa fille. Mura ne s’attendait cependant pas à se voir de nouveau invitée à une séance, étant donné sa réaction la dernière fois. Elle n’est pas certaine de pouvoir supporter plus de mensonges, mais si cela peut l’aider à mieux comprendre les motivations d’Aeris, elle fera l’effort d’écouter. Mais il est hors de question qu’elle aide à préparer cette expédition. C’est une véritable folie! Aeris est rentrée, miraculeusement indemne à part une jambe qu’il a fallu immobiliser, ce serait irresponsable de sa part de la laisser repartir, d’autant que la dernière expédition n’est toujours pas rentrée au bout d’un an et demi. Mura refuse de risquer à nouveau de perdre sa fille en plus de son époux. Elle l’enfermera s’il le faut.
Ainsi donc, Mura, Aeris, Rahar et Gründ se dirigent vers la maison du médecin pour leur quatrième séance, en silence. Chacun est perdu dans ses pensées et essaie de trouver un moyen de se convaincre qu’il fait la bonne chose. Gründ espère obtenir plus de mots pour mieux communiquer avec ses amis, et il voudrait s’entraîner et retrouver ses réflexes et sa force qu’il a un peu laissés de côté depuis son retour. Rahar voudrait bien apaiser les tensions entre Aeris et Mura. Aeris souhaite faire comprendre à sa mère l’importance à la fois de relater son histoire, et de partir à la recherche des autres. Et Mura désire plus que tout protéger sa fille, y compris d’elle-même puisque, visiblement, elle n’a plus toute sa raison.
A leur arrivée, il est décidé de passer une heure à augmenter le nombre de mots du nouvel alphabet jusqu’à en obtenir environ 200 au total, ce qui permettra à terme aux rats de communiquer plus facilement avec leurs amis humains, et aussi aux villageois de se laisser des messages écrits indéchiffrables par des étrangers. Si cet alphabet avait existé lorsqu’Elathan est parti, il aurait pu laisser des indices pour le retrouver… Aeris espère rassurer sa mère et qu’elle lui permette de partir avec l’assurance de lui faire porter des messages par les rats régulièrement. Mais ce sera pour une autre discussion, pour l’instant il est temps de commencer la quatrième séance.
“Notre temps était réparti en plusieurs activités, pas toujours les mêmes. A notre arrivée on nous a fait passer des examens médicaux, et des représentants des différentes factions au pouvoir à Stargh sont venus nous observer, pour déterminer quelles tâches nous confier. Ils ne cherchaient pas à savoir ce qui nous plaisait, bien entendu, mais ce à quoi on pourrait servir ou comment on pourrait le mieux les divertir. On m’a octroyé le Cercle de Sable, le Carré des Voiles et la table des Hommes. Je n’étais faite pour aucune de ces tâches, et les puissants ont pensé que ma faiblesse pouvait être amusante. Je me suis donc retrouvée, dès le lendemain de mon arrivée, dans une arène devant une estrade sur laquelle était installée une immense table, plus grande que celle qu’on utilise pour les banquets sous le vieil érable de la place du village. Y étaient attablées les femmes des nobles et des marchands, certains de leurs amants et de très rares concubins (qui avaient, comme les concubines, une marque le long de la colonne vertébrale). De l’autre côté de l’arène, un colosse m’observait. On m’a dit que je devais me battre contre lui pour divertir les Dames, et que si je le battais je pourrais récupérer ses armes pour le combat suivant. On ne m’a pas dit ce qu’il se passerait si je perdais. J’étais donc seule, sans armes, face à un homme de 2 mètres qui semblait constitué exclusivement de muscles et qui portait deux énormes couteaux. C’est à ce moment-là que j’ai découvert à quoi pouvait ressembler l’angoisse. Mon coeur s’est mis à battre beaucoup trop vite, ma tête à tourner, mon corps entier baigné de sueur, j’avais chaud et froid en même temps, je transpirais et je ne sentais plus qu’à peine mes pieds et mes mains. Je tremblais. Et le colosse, voyant mon état, m’a souri. Ce n’était pas un sourire sadique, ni un sourire condescendant, c’était plutôt une marque de sympathie. Il savait ce que je ressentais, comme s’il l’avait vu des centaines de fois, ou qu’il l’avait lui-même expérimenté. Je penchais pour la première option, et me demandais qu’en penser, quand il s’est élancé vers moi en hurlant. J’ai honte d’admettre que mon angoisse a eu raison de moi et qu’en voyant cette montagne approcher, je me suis évanouie.”
Gründ ne connaissait pas cette histoire. Rahar et lui n’avaient pas encore retrouvé Aeris à ce moment-là, et il ne pensait pas qu’elle ait pu être mise à ce point en danger en son absence. S’il l’avait su, il se serait démené pour la rejoindre bien plus tôt! Il n’aurait jamais dû la laisser seule, elle ne savait pas se défendre. Il s’en veut beaucoup de l’avoir abandonnée face à un danger pareil, et lui saute sur les genoux pour se faire pardonner, ne sachant comment lui faire part de ses remords. Le peu de vocabulaire qu’il a obtenu ne couvre pas les émotions, ils se sont cantonnés au fonctionnel comme “manger”, “dormir”, “se battre”, “danser” et les noms des rats et de leurs amis. Il en veut plus.
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