IL COMMENÇAIT à y avoir beaucoup de « Jamais » dans sa vie, mais pour cette fois, Ayden ne s’en plaignit pas. Absolument pas. Il avait un petit pavillon à lui seul, à côté d’un autre pour le moment inhabité, et avait de ce fait une paix royale. Lu Xiaofeng – ou peut-être Lu Dehui ? Oui, sûrement lui – avait même fait apporter un bain et le rouquin barbotait présentement dedans avec grand plaisir. Jamais n’avait-il connu pareil luxe, et s’il se laissait aller, il risquait d’y prendre goût très vite. Jambes à moitié dehors et les chevilles croisées, il observait le plafond de poutres savamment architecturées rêveusement, ressassant la discussion qu’il avait pu avoir avec Lu Lisong.
Leur société été éminemment plus complexe, fait d’une quantité de codes qu’il n’avait pas encore saisis dans son entièreté. Les cultivateurs – ces combattants qui pratiquaient la cultivation, apprentissage de l’utilisation de l’énergie spirituelle et toute la pensée qui allait avec – se rejoignaient parfois pour constituer un clan s’ils provenaient de la même famille. Ils formaient une secte s’ils ne partageaient aucun lien de sang. Si des clans mineurs apparaissaient et disparaissaient ici et là, la plupart des grands clans possédaient une histoire vieille de plusieurs centaines d’années, voire millénaire.
Chaque grand clan était rattaché à une région et assurait la protection de cette dernière. Il se trouvait dans la région du Kuming dont le chef-lieu était la cité de Beiming. Kuming formait, avec quatre autres régions, la province de Libai. Il y avait donc cinq grands clans qui dominaient la province et chacun d’entre eux représentait une pensée et une pratique de la cultivation qui lui étaient propres.
Et Ayden commençait à avoir mal à la tête. Il soupira et se passa une main pleine d’eau sur la figure, roulant la nuque pour se détendre. Il n’avait jamais été du genre à s’intéresser à la politique et aux intrigues de cour. Et voilà qu’il se trouvait dans un monde encore plus complexe que celui de Sa Majesté.
Certains disciples venaient de bonne famille et d’autres avaient des origines plus humbles. Tout un chacun pouvait prétendre à la cultivation et tenter d’intégrer l’un des clans. Tant que l’un en possédait la volonté et était prêt à s’investir pleinement dans l’étude et la pratique de ces arts en suivant les doctrines du clan. Mais, selon ce qu’Ayden avait compris, certains codes d’honneur étaient largement répandus : honneur, modestie, travail et diverses choses du genre.
— On dirait les chevaliers des contes et mythes…, souffla Ayden pour lui-même avec un sourire.
Il avait saisi l’essentiel et c’était ce qui importait.
— Si Themis était là, il serait en train de jouir dans sa robe…
Son camarade le mage était – ô cliché – un féru de légendes et autres histoires. Tout ce qui pouvait être lu, il le lisait ; tout ce qui pouvait être appris, il l’apprenait. Nul doute qu’il aurait adoré pouvoir discuter du fonctionnement de cette société et de ce monde avec Lu Lisong.
La pensée de son ami assombrit son humeur et son esprit dériva sur le reste de ses compagnons tandis qu’il terminait de se nettoyer avant de sortir. Son dos, son torse et même ses jambes portaient les traces des nombreux champs de bataille qu’il avait connus. De la plus fine à la plus grande, chaque cicatrice nervurait sa peau claire, soulignant les muscles puissants.
Grand Maître Zhongyou avait laissé à son attention un plateau plein de bandages et baume après qu’Ayden soit parvenu à le convaincre qu’il réussirait à se traiter seul.
Ouvrant l’une des portes de bois pour chasser l’humidité chaude de la vapeur, il s’installa à l’entrée de son pavillon, torse nu, pour commencer les soins. Le pantalon qu’il revêtait était d’un blanc immaculé, le tissu épais et de très bonne qualité. Deux robes lui avaient été laissées : une blanche et la seconde de pareille couleur, mais dont les bords étaient décorés des arabesques du clan. Après réflexion, Ayden ne porta que la plus simple, ne s’ennuyant pas à la fermer puisqu’il était seul. Peu habitué au climat de ce Nouveau Monde, il avait rapidement chaud.
La Contrée des Plaines dont il était originaire était pluvieuse, les périodes de chaleur plus douces que dans les Terres du Sud dont l’autre nom était en outre plus parlant : les Royaumes du Soleil. Si la météo de Beiming n’était pas aussi aride, elle ne lui donnait pas envie plus que cela de se vêtir et ce fut ainsi qu’il commença à manger la nourriture qui avait été laissée à son attention.
Tout était calme. La nuit était tombée depuis déjà quelques heures et les plus jeunes étaient tous partis se coucher. Les quelques personnes encore éveillées n’étaient nulle part en vue et il se retrouvait donc… Seul.
Un froissement sur sa droite eut tôt fait de lui apprendre que non. Non, il n’était pas seul. Les doigts tenant une minuscule boule de riz, Ayden tourna la tête. Il referma la bouche dans un discret claquement de dents alors que ses yeux s’écarquillaient légèrement.
L’homme qui le fixait depuis l’autre pavillon était absolument magnifique. En dépit des robes du clan, Ayden le devinait bien bâti, un peu plus petit que lui, les épaules bien faites et la taille étroite marquée par la ceinture.
Sur sa peau claire, ses longs cheveux couleur d’encre n’en ressortaient que plus et étaient brillants, presque liquides, portés libres avec la moitié haute retenue en une haute queue de cheval, le tout lui battant les reins. Le bijou dans sa chevelure était simple, mais sur la crinière noir de jais, la blancheur de l’objet n’en était que plus visible. Quelques mèches plus courtes encadraient son visage de part et d’autre, flattant ses traits délicats et pourtant masculins. Il se dégageait de lui une grâce qu’Ayden ne parvenait pas à décrire, comme éthérée, et, à défaut de savoir quoi faire, Ayden inclina légèrement la tête pour le saluer.
L’inconnu sortit de sa contemplation et lui retourna ses civilités avec révérence avant de tourner les talons pour entrer dans son pavillon. C’est là qu’Ayden remarqua la blessure.
— Hey, attends !
L’homme se figea puis recula d’un pas pour le regarder. S’il avait été surpris par l’appel du rouquin, il n’en montrait rien.
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