IL ÉTAIT persuadé que Lu Yuntu lui faisait la tête depuis hier soir. Ou en tout cas, qu’il lui en voulait un peu. Le problème, c’était qu’Ayden ne parvenait pas à le trouver ce matin. Il y avait pensé la nuit précédente et, après réflexion, s’était demandé s’il n’avait pas réellement dépassé les bornes.
L’étiquette était rigoureuse dans ce monde, pire encore que dans la cour du roi, et il se sentait complètement perdu face à toutes ces petites choses que les gens considéraient comme évidentes. Themis et Monica étaient bien meilleurs que lui pour les échanges de ce type et c’était généralement eux qui menaient les négociations lorsqu’un seigneur cherchait à les engager. Ayden soupira, l’humeur sombre. Il tentait autant que possible de ne pas trop penser à ses amis afin d’empêcher justement ce genre de coup de mou, mais… C’était inévitable.
Ses cogitations finissaient fatalement par se diriger vers eux à un moment ou à un autre. Il suffisait d’un élément pour qu’il se rappelle qu’il était seul. Mais des détails, il y en avait quantité et il devait y faire attention : apprendre à connaître ce monde était une question de survie.
Qui sait combien de temps il allait rester coincé ici ?
— N’y pense pas, imbécile…, se murmura-t-il pour lui-même en se passant une main sur la figure.
— Je confirme, tu as l’air d’être un imbécile de la pire sorte.
Ayden se retourna d’un coup pour découvrir Huang Yiqiang arriver d’un pas calme. Le cultivateur avait cette expression sévère de celui qui jugeait une âme devant lui. Il le laissa approcher jusqu’à se tenir à côté de lui, sans jamais l’avoir lâché des yeux alors que Huang Yiqiang fixait le paysage matinal, dos droit et mains jointes derrière.
Ils pouvaient voir au loin nombre et nombre de personnes se rendre à la cité de Beiming. Les dégâts causés par la panique et leur combat avaient été pris en charge d’un commun accord par le clan Beiming Lu et le clan Fengtian Huang.
— Je ne sais pas ce que vous me cachez.
— Écoute…, coupa Ayden d’une voix sombre et basse, pas d’humeur à subir l’autre.
— Mais le chef de clan Lu Lisong est un maître estimé et un homme digne de respect. Il t’a permis de rester, t’offrant refuge, et te protège au nom même du clan, continua Huang Yiqiang comme s’il ne l’avait pas entendu. Lu Yuntu, aussi. Alors peut-être que je ne connais pas toute l’histoire, mais j’ai confiance en leur jugement.
Ayden le fixait à présent, méfiant, comme s’il s’attendait à un revers de bâton.
— Tu n’as aucune manière, ne connais pas l’étiquette et parles d’une façon tellement inappropriée que mes oreilles saignent à chacune de tes paroles. Sans compter ton attitude, ton style de combat reflète tes lacunes et ton manque de raffinement.
Le voilà. Sans même s’en cacher, Ayden gronda sourdement et avec agacement, prêt à répliquer. Il n’en eut pas la possibilité.
— Mais tes actes s’expriment d’eux-mêmes. Tu as tenté de protéger les jeunes disciples du maître Lu Lisong et as fait face au problème au lieu de fuir ou de te terrer derrière eux malgré ton désavantage certain.
— …pardon ?
Ayden le fixait à présent d’un air abasourdi alors que le cultivateur, inébranlable, regardait droit devant lui sans sourciller. Puis il pouffa. Et il éclata de rire, sans plus pouvoir se retenir. Huang Yiqiang ne s’y attendait visiblement pas et avait sursauté avant de le dévisager avec de gros yeux, comme s’il lui avait poussé une seconde tête ou qu’il était en train de commettre une hérésie. Une main masquant en partie son expression, Ayden secoua la tête, partagé entre dépit et amusement.
— Toi ! Qu’est-ce qui te fait rire ?!
— Toi !
— Que… ?! Espèce de… !
Ayden le scruta à nouveau et lui sourit franchement, coupant là les insultes qui allaient lui tomber sur le coin du nez avec ce petit quelque chose de brillant – honnête – dans ses iris.
— Merci, continua le rouquin sans se départir de cette joie tranquille qui habitait maintenant son regard.
Huang Yiqiang le fixa, interdit, avant de tourner brusquement les talons pour partir.
— Pourquoi est-ce que tu me remercies ?! Ne cause pas de problèmes au Grand Maître Lu Lisong et à Lu Yuntu ! Et apprends les bonnes manières ! Tu n’es plus un enfant ! Ne leur fais pas honte ! C’est tout ce que j’avais à te dire ! Je dois partir !
Ayden le regarda s’en aller sans cesser de sourire et secoua la tête en se passant une main dans les cheveux. Il soupira. Peut-être qu’il cachait moins bien son amertume qu’il ne le croyait. Mais qu’un homme tel que Huang Yiqiang en arrive à tenter de lui remonter le moral, de manière aussi gauche, alors qu’ils venaient juste de se rencontrer… Était-il si facilement lisible ?
— Par tous les dieux…, murmura-t-il tout bas avant de lever les yeux.
Il se sentait seul, perdu et même un peu en colère et ses amis lui manquaient affreusement. Il ne comprenait pas. Pourquoi lui ? Pourquoi soudainement ? Pourquoi et encore pourquoi ? S’il était honnête envers lui-même, il pouvait aussi dire qu’il avait peur. Et pourtant, dans son malheur, il y avait du bon. Visiblement, il pouvait compter sur quelques personnes prêtes à lui tendre la main. La moindre des choses était d’essayer de ne pas leur causer de problèmes. Ou du moins, pas trop.
Il posa un genou au sol et enleva le collier à son cou pour observer la pierre qui s’y trouvait. Elle était d’un rouge intense, flamboyant au soleil, et était taillée simplement en forme de poire, enchâssée dans de l’argent qui avait noirci au fil du temps. Il la baisa du bout des lèvres avant de la tendre en la tenant entre le pouce et l’index, la laissant baigner dans la lumière alors qu’il ployait la nuque.
— Père, Mère, où que vous soyez, ayez un regard bienveillant pour votre fils perdu…, commença-t-il à murmurer en prière.
Plus loin, derrière lui, Lu Yuntu observait la scène silencieusement avant de s’en aller.
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