Le trajet en voiture vers la maison fut étouffant. Mon père ne prononça pas un mot, mais son silence était plus lourd que les reproches. Les rues familières défilaient par la fenêtre, chaque coin évoquant des souvenirs d'une enfance sous haute surveillance.
Une fois arrivés, il m'entraîna fermement à l'intérieur de la maison, ses doigts serrés autour de mon poignet.
“ Assieds-toi ! ” ordonna-t-il en me poussant vers le canapé du salon.
La pièce, avec ses meubles en bois sombre et ses rideaux lourds, semblait soudain plus oppressante. Ma mère nous attendait, ses bras croisés, son visage fermé comme un masque d'acier.
“ Que s'est-il passé, Yui ? ” demanda-t-elle, mais je pouvais voir qu'elle connaissait déjà la réponse. Mon père l'avait certainement appelée en chemin.
Je m'assis, la tête baissée, incapable de supporter leurs regards accusateurs.
“ Je suis désolée, mère, père. J'ai juste voulu passer du temps avec mes amies. ”
“ Passer du temps avec des amies ? ” Mon père éclata d'un rire sans joie. “ C'est ainsi que tu nous remercies ? En traînant avec des fréquentations inutiles et en obtenant des notes déplorables ? Regarde ça ! ”
Il brandit mon dernier bulletin de notes, son doigt pointant une note particulièrement basse en mathématiques.
“ Nous t'avons donné toutes les ressources nécessaires pour réussir… ” dit ma mère, sa voix tremblant légèrement de colère. “ Et toi, tu nous trahis ainsi ? ”
“ Je ne voulais pas... Je voulais juste... un peu de liberté… ” murmurai-je, ma voix brisée par la honte et la frustration.
Les mots sortaient difficilement de ma bouche, comme s'ils étaient prisonniers de ma peur.
“ Liberté ? ” Mon père répéta le mot avec mépris. “ La liberté est un privilège, Yui, pas un droit. Tu n'as rien fait pour la mériter. ”
Chaque mot qu'ils prononçaient me blessait profondément, comme des coups de poignard. Une colère sourde commença à monter en moi, mais je savais qu'il était inutile de riposter. Ils ne comprendraient jamais. Mais soudain, je ne sais comment, des mots sortirent seuls de ma bouche.
“ Peut-être que si vous ne me traitiez pas comme une prisonnière et ne m'infligiez pas une telle pression, j'aurais eu de meilleures notes et n'aurais pas eu à vous cacher cette sortie… ” dis-je finalement, la voix tremblante mais le regard fixé au sol.
Je repris mes esprits et me rendis compte de ce que je venais de dire. Qu'est-ce qui m'a pris de sortir ça ? Je fais vraiment n'importe quoi aujourd'hui.
Je levai la tête pour voir la réaction de mon père. C’est alors que, dans un élan de colère, il leva la main et me gifla violemment. La douleur me traversa le visage comme un éclair, et je restai paralysée par le choc.
“ Ne t'avise plus jamais de nous désobéir, ni de me répondre. Une pression ? Prisonnière ? C'est comme ça que tu nous remercies ? ” dit-il, sa voix remplie de rage. Ses yeux brillaient de fureur, et je pouvais voir les muscles de sa mâchoire se contracter.
La douleur me semblait insupportable, mais au-delà de l'impact physique, c'était la douleur émotionnelle qui m'écrasait. J'avais toujours fait ce que vous m'aviez demandé, je me suis toujours pliée à vos attentes, je me suis toujours surpassée, quitte à souffrir et à m'oublier complètement. Mais est-ce qu'une seule fois vous vous êtes réellement inquiétés pour moi ? Vous êtes-vous déjà demandé ce que je ressentais, ce que je voulais ? M'avez-vous demandé ne serait-ce qu'une fois mon avis ? M'avez-vous accordé un amour sincère ?
Moi, le problème ? Non, c'est vous. Vous êtes tellement préoccupés par le statut social, par ce que peuvent penser les autres, par la réussite, que vous avez oublié ce qu'est d'être un parent. Vous êtes horribles et mauvais en tant que parents. Ce n'est pas moi le problème, non, c'est vous, père et mère !
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Cette nuit-là, enfermée dans ma chambre, je laissai enfin les larmes couler. Pas seulement pour la gifle, mais pour toute cette vie que je menais, cette existence sous haute surveillance, cette douleur au cœur qui ne voulait pas partir et qui s'était accumulée tout au long, que j'essayais de réprimer.
Les murs de ma chambre, autrefois refuges, me semblaient désormais oppressants. Les posters de paysages sereins, que j'avais accrochés pour m'évader mentalement, ne suffisaient plus. Je regardais autour de moi, les murs se rapprochant, m'étouffant presque. Je ne pouvais plus supporter cette vie contrôlée, surveillée à chaque instant.
Pourquoi moi ? Pourquoi dois-je vivre tout cela ? Je suis humaine aussi, tout cela me fatigue et me fait beaucoup souffrir. Pourrais-je ne serait-ce qu'une fois rêver d'une vie ordinaire ? Toutes ces choses qui semblent banales pour les autres, moi j'en rêve en sachant consciemment que ça ne restera qu'un rêve.
C’est alors que l'idée germa dans mon esprit. Partir. Partir loin de tout cela. Je savais que c’était risqué, mais je n’avais plus rien à perdre. En silence, je me levai et ouvris le tiroir où je cachais mes économies. Ce n'était pas de l'argent mis de côté pour m'échapper, mais simplement de l'argent que je n'avais jamais eu l'occasion de dépenser, car je n'étais jamais libre de le faire à ma façon.
Mon cœur ne battait plus à tout rompre, l'adrénaline et la peur qui se seraient mélangés en moi auparavant n'étaient plus présents. Que mes parents découvrent ou non mon plan, que les conséquences soient terribles, ne m'importaient plus. Quel est ce sentiment nouveau qui m'empêche de ressentir tout cela ?
Je sortis par la fenêtre de ma chambre, descendant prudemment le long de la gouttière. Chaque mouvement était calculé, chaque bruit un potentiel signal d'alerte. Mes pieds touchèrent doucement le sol, et je pris une profonde inspiration, savourant l'air frais de la nuit.
La lune, pleine et brillante, éclairait mon chemin d'une lumière argentée. Les arbres, dressés comme des gardiens silencieux, semblaient m'encourager à continuer.
Où est-ce que j'irais maintenant ? Y a-t-il un endroit même où je pourrais aller et qui voudrait de moi?
C'est alors qu'un seul endroit me vint à l'esprit : le lac Towada. Je marchai rapidement vers l'arrêt de bus, priant pour ne croiser personne en chemin.
À l'arrêt de bus, je montai dans le bus en direction du lac Towada. Ce lieu symbolisait ma liberté, un endroit où je pouvais être moi-même, loin des attentes et des exigences de mes parents.
Les souvenirs des moments passés avec ma grand-mère là-bas me réchauffaient le cœur. Je me rappelais de nos rires, de ses histoires et de la paix que je ressentais à ses côtés. C’était comme si son esprit me guidait, me montrant le chemin vers la paix et la liberté.
Assise dans le bus, regardant les lumières de la ville s’éloigner, je sentis un mélange d’appréhension et d’excitation m’envahir. Les vibrations du bus semblaient résonner avec les battements de mon cœur.
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Après plusieurs heures de voyage, j'arrivai enfin au lac Towada. L'air était frais, empli de l'odeur des pins et du parfum des fleurs sauvages. Le lac s'étendait devant moi, serein et mystérieux sous la lumière de la lune. La surface de l'eau scintillait doucement, reflétant les étoiles du ciel nocturne. C’était comme entrer dans un rêve éveillé.
Je m'avançai doucement vers le lac, les souvenirs des moments passés ici avec ma grand-mère revenant en force.
Les papillons bleus scintillants, comme dans mon rêve, apparurent soudain, dansant autour de moi dans un ballet enchanteur. Ils semblaient m'inviter à les suivre, et sans hésiter, je m'approchai du bord de l'eau.
Je regardai mon reflet dans le lac, cherchant des réponses dans les ondulations de l'eau. Bien que ce soit mon reflet que je voyais dans le lac, je ne connaissais pas cette personne. Je ne me connaissais pas. Des larmes montèrent en moi. Je suis si pathétique. Ma vie est si misérable.
Soudain, un bruit derrière moi me fit sursauter. Je me retournai rapidement, le cœur battant, mais ne vis rien. Puis, un chat se faufila rapidement entre mes pieds, me faisant perdre l'équilibre. Avant que je ne puisse me rattraper, je tombai dans le lac.
Je ne savais pas nager. L'eau glacée m'enveloppa, et je sentis mon corps sombrer dans les profondeurs du lac. Les bulles d'air remontaient lentement à la surface, tandis que je plongeais de plus en plus bas. Les papillons bleus continuaient de danser autour de moi, éclairant ma descente d'une lueur magique.
Alors que l'air me manquait, une étrange sensation de calme m'envahit. Bizarrement, je ne cherchais pas à me débattre. Peut-être que ce rêve que j'avais fait était une sorte de prémonition. Malgré la panique initiale, je me sentais étrangement rassurée. Si cela devait être la fin, au moins je serais libre. Libre de cette vie de contraintes et de surveillances.
Je crois avoir compris maintenant quel est ce sentiment qui me laisse indifférente à toutes ces émotions : le désespoir.
Mes pensées commencèrent à s'estomper, et je me laissai aller à cette sensation de paix. Les profondeurs du lac m'engloutissaient, mais au lieu de la peur, je ressentais une sérénité que je n'avais jamais connue auparavant. Enfin, je pourrais être tranquille et libre.
Soudain, une lumière intense apparut sous moi, éclatante et aveuglante. Avant que je ne puisse comprendre ce qui se passait, je traversai ce point lumineux et sentis mon corps être tiré dans une autre direction. Le monde aquatique disparut brusquement, et je me retrouvai projetée dans le vide, comme si j'avais franchi un portail invisible.
Je tombais maintenant du ciel, l’air sifflant à mes oreilles. Le paysage qui s’étendait en dessous de moi n'était pas celui que je connaissais. C’était un monde magnifique et féérique, avec des forêts luxuriantes, des rivières scintillantes et des montagnes majestueuses. Le ciel était teinté de couleurs incroyables, des nuances de rose, de violet et de bleu, comme si le crépuscule y était éternel.
Des créatures fantastiques volaient autour de moi, des oiseaux aux plumes brillantes et des êtres lumineux que je ne pouvais identifier. Les papillons bleus, mes compagnons lumineux, continuaient de virevolter autour de moi, guidant ma chute.
Le vent caressait mon visage, et malgré la vitesse de ma descente, je ressentais une paix profonde, une sensation de libération totale.
J'étais tellement absorbée et impressionnée par ce que je voyais que j'oubliais que je tombais en chute libre. Est-ce le paradis ? ai-je pensé. Si c'est le cas, alors je suis morte. Je me demande comment vont réagir père et mère. Seront-ils enfin heureux de plus m'avoir? Moi qui fut une mauvaise fille pour eux.
Alors que je me rapprochais du sol à une vitesse alarmante, je vis quelque chose bouger en dessous de moi. Un grand chat, au pelage doux et épais, surgit du sous-bois. Un chat énorme qui faisait presque ma taille. Ses yeux ambrés brillaient d'une intelligence et d'une douceur étonnantes. Il se dressa sur ses pattes arrière et tendit ses pattes avant, prêt à me rattraper.
Le contact fut doux, presque rassurant. Il m’attrapa avec délicatesse, amortissant ma chute. Sa fourrure épaisse et chaude m'enveloppa, et je sentis une vague de soulagement m’envahir. Je n’étais pas seule dans ce monde étrange. Le chat me regarda avec bienveillance, ses grands yeux pleins de curiosité et de douceur.
Au lieu de ressentir de la panique et me demander où j'étais, je fus impressionnée par ce chat énorme bien que mignon. J'aimais beaucoup les chats, alors en voir un bien grand, c'était un rêve !
“ Un gros chat ! trop bien ! ” ai-je dit en l'enlaçant avec une voix enjouée.
“ Une humaine ! ” dit-il en m'enlaçant à son tour avec la même voix enjouée.
Je caressai doucement le pelage de ce chat, sentant un lien se former entre nous, un lien qui promettait de nombreuses aventures à venir.
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