“ Quel est cet endroit…? ” murmurais-je en avançant prudemment. “ Serait-ce ce chat qui hante ce manoir ? ”
“ Je savais que ce n’était pas une bonne idée de venir ici ! Je n’aurais jamais dû te suivre ! Faisons demi-tour avant qu’il ne nous remarque, nya ! ” supplia Kumo, sa voix tremblante de peur, tout en aggripant mon bras, son visage blême
Je n’entendais plus Kumo, étant trop absorbée par les murmures du vieux chat. Je m’approchai doucement, essayant de comprendre ce qu’il murmurait.
“ Ses yeux étaient d’un bleu profond, comme l’océan… Son pelage, d’un blanc immaculé… Elle avait une grâce infinie, chaque mouvement était une danse… ” murmurait-il, sa voix brisée par l’émotion.
Je répétai ses mots à voix basse, essayant de visualiser cette description.
Mon regard tomba sur un des dessins froissés à mes pieds. Je le ramassai délicatement et l’ouvris. C’était un croquis maladroit et tremblant, d’une chatte, probablement la même que celle qu’il décrivait.
Les traits étaient hésitants, les lignes tremblantes, comme si le dessinateur avait souffert en essayant de capturer ce souvenir.
“ Kumo, je pense que ce chat essaie de dessiner quelqu’un. ” dis-je en lui tendant le dessin froissé.
Kumo jeta un coup d'œil rapide et haussa les épaules.
“ Eh bien, c’est sacrément mal dessiné, Très moche. ” commenta Kumo sans détour, un brin sarcastique.
Je levai les yeux au ciel, exaspérée par son manque de tact.
Mon regard balaya la pièce, cherchant une feuille vierge et de quoi dessiner. Mon coeur battait fort à l’idée de ce que je m’apprêtais à faire.
“ Psst, Yui, arrête ça et partons d’ici, s’il te plaît. ” implora Kumo.
“ Trouvé ! ” m’exclamai-je en dénichant enfin une feuille vierge et un crayon parmi le désordre.
Je savais que je devais essayer de dessiner cette chatte d’après la description du vieux chat. Mais une fois le crayon en main, une vague d’angoisse m’envahit, mes mains tremblantes également.
Depuis combien de temps n’avais-je pas dessiné ?
Je me souviens de l'époque où j'étais encore petite, assise à mon bureau dans ma chambre. La lumière dorée du soleil couchant traversait la fenêtre, éclairant les pages de mon carnet de dessin.
J'adorais passer des heures à dessiner. Au début, c'était des choses simples : des maisons, des arbres, des visages souriants. Mais plus je dessinais, plus mes croquis devenaient détaillés, comme si je cherchais à capturer un monde que je ne pouvais exprimer autrement.
Un jour, alors que j'étais profondément concentrée sur un dessin, ma mère est entrée dans ma chambre sans frapper. Je me souviens encore du regard qu'elle m'a lancé en voyant mon carnet ouvert. Son visage s'est figé, et une ombre a traversé ses yeux.
“ Yui, qu'est-ce que c'est que ça ? Encore en train de perdre ton temps avec ces gribouillis ? ” Sa voix était froide, tranchante.
Je n'ai pas su quoi répondre, le cœur battant à tout rompre. Dessiner me rendait tellement heureuse, mais pour elle, c'était une activité futile, une distraction inutile. Elle m’a arraché le carnet des mains et l’a feuilleté rapidement, ses sourcils se fronçant de plus en plus à chaque page.
“Je t'ai dit d'arrêter ces bêtises. Tu ferais mieux de te concentrer sur tes études. Le dessin ne te mènera nulle part. ”
Je n'avais pas le droit de discuter, alors je me suis contentée de hocher la tête en silence, les yeux baissés pour cacher mes larmes. Elle est partie en emportant mon carnet, et je me suis retrouvée seule dans ma chambre, la gorge nouée par l'injustice.
Mais je n'ai pas pu m'arrêter de dessiner. C'était plus fort que moi. Je me souviens avoir caché des feuilles de papier et des crayons sous mon matelas, dessinant en cachette chaque fois que j'en avais l'occasion. Je dessinais tard le soir, à la lueur d'une petite lampe, priant pour que personne ne vienne me surprendre.
Un jour, pourtant, ma mère a trouvé mes dessins cachés. Elle n'a rien dit, mais à partir de ce moment-là, elle a commencé à surveiller mes cahiers. Je savais que je ne pouvais plus dessiner librement. Chaque coup de crayon était devenu un acte de défiance, mais la peur de la décevoir m'a finalement fait abandonner. J'ai fini par ranger mes crayons, laissant mes rêves de côté, enfermés dans une boîte que je n'osais plus ouvrir.
Mes parents avaient toujours méprisé et interdit cette activité, la qualifiant de futile et inutile, une vraie perte de temps.
Leurs paroles m’avaient marquée, me faisant douter de moi-même à chaque instant.
Je sentis mon cœur s’accélérer, mes mains devenir moites. Mon esprit était en ébullition.
Et si je n’y arrivais pas ? Est-ce que j’avais jamais été bonne à cela, même à l’époque ? Et si ce n’était qu’un souvenir déformé. Je ne me rappelle de rien, mes souvenirs sont flous.
Soudain, une main douce se posa sur mon épaule, me ramenant à la réalité.
“ Je ne sais pas ce que tu comptes faire, et même si je suis contre ton plan, saches que je crois en toi, nya. ” murmura Kumo, dans un rare élan de soutien.
Son soutien me réchauffa le cœur.
Je pris une grande inspiration, calmant le tumulte dans ma poitrine, et je commençai à tracer les premiers traits, suivant fidèlement la description. Chaque mot du vieux chat guida ma main, comme si ses souvenirs prenaient vie sous mes doigts.
“ Ses yeux… d’un bleu profond, comme l’océan… ”
Je dessinais des yeux qui semblaient briller d’une lumière intérieure, une profondeur infinie dans leur regard.
“ Son pelage, d’un blanc immaculé… ”
Le crayon glissait sur le papier, capturant la pureté de son pelage soyeux.
“ Elle avait une grâce infinie, chaque mouvement était une danse… ”
Je travaillai les courbes de son corps, essayant de capturer cette élégance naturelle, cette légèreté.
Lorsque j’eus fini, je restai un moment immobile, contemplant mon œuvre. Le résultat était bien meilleur que ce que j’avais osé espérer.
Les traits du visage de la chatte avaient pris forme sous mon crayon, son expression douce et aimante se révélant sur le papier.
Le dessin, bien que simple, capturait l’essence de la chatte décrite par le vieux chat. Une vague de joie me submergea. Ce sentiment, que j’avais si longtemps enfoui, revenait avec force.
Pour la première fois depuis longtemps, je ressentis une fierté sincère, un sentiment de plénitude que je n’avais pas connu depuis des années.
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